Convaincre Tunis Air de baisser le prix des billets d'avion, promouvoir une nouvelle image de la Tunisie ou reporter les échéances bancaires des professionnels du tourisme : alors que la saison a déjà commencé et que les touristes ont déserté les stations balnéaires, toute la Tunisie se mobilise pour sauver le poumon de son économie. Tunisie. De notre envoyé spécial 19 mars 2011. C'est le premier jour des vacances de printemps, mais Tabarka n'affiche pas, comme à l'accoutumée, l'animation d'une ville balnéaire. Les vingt-trois établissements hôteliers de la cité, recevant en pareille période chaque jour plus de 1500 Algériens ayant pris l'habitude de séjourner dans cette station, située à 20 km du désertique poste-frontière d'Oum T'boul (El Taref), sont, au grand dam des Tunisiens et des professionnels du tourisme, vides. Même les Anglais, les Italiens et les Français ne sont pas venus. Trois jours après la première virée, Tabarka reste toujours aussi déserte. Les Algériens tournent, à l'instar des Européens qui ont tout annulé, le dos à un peuple en train de faire sa mue. Ainsi, deux mois après le déclenchement de la Révolution du jasmin, le tourisme, secteur moteur de l'économie tunisienne, peine à repartir. Selon de nombreux professionnels rencontrés à Tabarka, Hammamet, Sousse et Monastir, la saison est compromise. Sachant que par rapport à l'année dernière, 40% de réservations pour la haute saison sont annulés. Accueillant en moyenne sept millions de touristes par an, dont deux millions de Libyens, plus d'un million d'Algériens et plus de quatre millions d'Européens, dont 1,4 million de Français, la Tunisie, qui ne baisse pas les bras, engage une course contre la montre, ne serait-ce que pour atténuer l'énorme déficit qui met en péril le poumon de l'économie tunisienne. Ainsi, la plupart des hôtels des régions touristiques sont fermés et les quelques unités ouvertes tournent à 30% de leurs capacités. Même si elle inquiète, la désaffection des touristes algériens, qui ont mis, pour de nombre d'entre eux, le cap sur le Maroc et la Turquie, ne décourage pas pour autant les Tunisiens. Limiter la casse Habib Bouslama, Slim Zghal, Mohamed Ali Miled, respectivement patrons du Thalassa hôtel de Monastir, du Nahrawess de Hammamet nord, et Houda hôtels de Hammamet Yasmine, rencontrés en marge du workshop qui a regroupé les 21 et 22 mars plus de 100 voyagistes algériens et tunisiens à Sousse, assurent : «Pour faire face à la situation difficile que traverse actuellement le secteur touristique, les perspectives alarmantes qui s'annoncent pour la haute saison et se déclinent à travers le net recul de l'activité des compagnies aériennes charter, l'apport de nos frères algériens est indispensable. Leur retour en force est le meilleur soutien à la révolution du 14 janvier qui n'a pas voulu céder aux fortes pressions des tours opérateurs et transporteurs européens. Lesquels n'ont montré aucune disposition pour aider la Tunisie et relancer le secteur, regrettent-ils. L'urgence est donc de vendre le produit pour préserver des millions d'emplois. Même s'il est illusoire de gagner cette année de l'argent, nous devons tout entreprendre pour limiter la casse. Pour cela, nous comptons énormément sur les Algériens. Les rumeurs propagées par les sbires de l'ancien régime faisant croire que la Tunisie n'est plus ce havre de paix et de quiétude sont dénuées de tout fondement.» Billets à la baisse De leur côté, les professionnels du tourisme, défenseurs acharnés des prix préférentiels pour les Algériens, ajoutent : «Promouvoir autrement la Tunisie post-révolution se traduira par des actions ciblées et des campagnes agressives en Algérie, qui fournit plus d'un million de touristes. Une action promotionnelle dont l'ambition est de présenter une autre et nouvelle image de la Tunisie plurielle.» Mieux encore, nos interlocuteurs promettent de tout faire pour convaincre les dirigeants de Tunis Air, n'étant plus sous l'emprise des Trabelsi, de réduire les prix des billets d'avion sur les dessertes algériennes. L'objectif étant aussi de booster l'activité des voyagistes algériens que la récession n'a pas épargnée. «La baisse d'activité s'est répercutée sur notre chiffre d'affaires, confie Sofiane, gérant de Cesar Travels. A la même époque, l'année dernière, nous avions enregistré plus de quarante réservations. En ce mois de mars, le nombre de réservations est insignifiant. Il n'a pas dépassé les quatre réservations.» Ses collègues, ATS (Algérien Travel Services), MTS (Mecca Travel Services), dans la même situation, ont dans certains cas été contraints de licencier. Spécialiste de la destination Tunisie, Samir Benbaouche, gérant de Koutama Voyages, estime que la révision à la baisse du prix du billet et de la location hôtelière sont un signe fort des partenaires tunisiens. Car ces derniers tiennent à montrer que les manifestants, en dehors des biens du clan Ben Ali, n'ont porté aucun préjudice à l'imposante infrastructure hôtelière de Tabarka, Sousse, Monastir et Hammamet.