Ibrahiman Sakandé, directeur général des éditions Sidwaya à Ouagadougou (Burkina Faso), revient sur l'espace médiatique burkinabé marqué par une forte présence des radios libres et des médias d'opinion. Chaque année, le gouvernement apporte, à travers le ministère de la Communication, un soutien à la presse privée sans interférer dans les choix éditoriaux. Ouagadougou. De notre envoyé spécial
- Le Burkina Faso, comme la plupart des pays de l'Afrique de l'Ouest, connaît une évolution rapide de la presse. Comment se présente le paysage médiatique aujourd'hui dans le pays ? Au Burkina Faso, nous avons un espace médiatique ouvert, presse écrite ou audiovisuel. Il y a un grand boom des quotidiens, des hebdomadaires, des radios, des chaînes de télévision…Ce mouvement fait le bonheur des journalistes que j'appelle les ouvriers des micros et de la plume. Il y a l'ambition que ce paysage médiatique contribue activement à informer la population…
- Il y a beaucoup de radios au Burkina aussi…
Oui. Cela a commencé avec le début du processus de démocratisation dans les années 1990/91. Ce processus, qui a été observé dans d'autres pays africains, a été accompagné par la liberté de parole. Cela a donné naissance à la liberté de créer des organes de presse dans nos pays. Au Burkina Faso, il est facile de lancer un journal. Pour cela, il faut former une équipe, publier deux premiers numéros, les déposer auprès du Procureur de la République, se faire enregistrer et informer le Conseil supérieur de la Communication. La réponse est obtenue rapidement. Les autorités sont peu regardantes, pourvu qu'on respecte les questions d'éthique et de déontologie.
- Et qui siège au Conseil supérieur de la communication ?
Le Conseil est dirigé par ma consoeur Béatrice Damiba. En son sein, siègent tous les syndicats et les associations de journalistes, des représentants de la société civile, l'opposition, le gouvernement. Il y a des professionnels, des non professionnels, des magistrats, des avocats… Ce ne sont pas des policiers de l'information. Ils accompagnent le mouvement médiatique. Parfois, le Conseil appelle les responsables des médias pour échanger et discuter. Le didactique prime beaucoup. Il y a un encouragement pour la création des médias.
- Revenons aux radios, les stations communautaires semblent être dominantes, comme au Niger et au Sénégal…
Parfaitement. Aujourd'hui, chaque commune au Burkina veut avoir sa propre radio. Les grandes villes ont déjà plusieurs radios. Elles sont appuyées par les communautés, la société civile, les ONG et l'Etat. Quels que soient les plans de développement, ils ne réussiront pas sans soutien des populations. La communication est importante pour sensibiliser les populations à ces plans. Des villages veulent aussi avoir leur propre radio pour améliorer leur système de communication.
- Ces radios arrivent-elles à avoir facilement de la publicité ?
Oui. Il y a de la publicité locale. Elles arrivent aussi à avoir des soutiens auprès de la société civile et des ONG. Nous sommes surpris que certaines radios locales soient en concurrence actuellement avec les radios nationales. Elles sont dotées de réseaux d'émissions vastes et de programmes corrects. Ces radios sont efficaces et servent d'exemple. Des émissions diffusées par des stations communautaires raflent même les premiers prix destinés à la presse.
- La BBC et RFI sont sur la bande FM ici au Burkina, cette concurrence n'est-elle pas gênante ?
Elle ne gêne pas. Lorsque l'émission est produite en mooré, l'auditeur de Koudougou écoute et sent qu'on s'adresse à lui. On utilise les mots qui le pénètrent et la gestuelle qui lui est propre. Les intellectuels préfèrent suivre les infos diffusées par les radios communautaires plutôt que les écouter sur la Radio nationale du Burkina, RFI ou autre. Une radio internationale bien inspirée gagnerait à travailler avec ces radios communautaires en reprenant leurs émissions. Il y a une concurrence saine. Les radios les plus écoutées et les plus démocratiques sont celles qui ont accès aux villageois, aux paysans, qui sont les plus nombreux.
- Peut-on tout dire dans les médias du Burkina ?
Tout peut se dire pourvu qu'on respecte la déontologie et l'éthique de la profession, et qu'on ne tombe pas dans la diffamation. Nous sommes dans un processus de démocratisation dans lequel la presse est impliquée. Au Burkina Faso, les médias participent activement à ce processus. Ils évoluent et les journalistes ont pris leurs responsabilités pour assumer la liberté de la presse. En tant que professionnel, je crois encore en la capacité des journalistes à conquérir davantage d'espaces de liberté. On a beau parler de système dominant, de gouvernement, de lobbies ou d'opposition qui bloquent la presse. Cela peut être une réalité, mais les journalistes peuvent lutter.
- A-t-on tourné la page de l'épisode douloureux de Norbert Zongo (journaliste, directeur de l'hebdomadaire L'Indépendant, assassiné en décembre 1998 après avoir entamé une enquête sur le meurtre mystérieux d'un chauffeur de François Compaoré, frère du président Blaise Compaoré) ?
Cet épisode a été dépassé. Comme dans tous les pays, cette affaire, malgré la douleur, a fait avancer les choses au Burkina. Les douleurs, les malheurs, les chocs, les conquêtes, les combats aident aussi à aller de l'avant, font avancer les pays.
- L'opposition a-t-elle facilement accès aux médias ?
Ces derniers temps, le chef de file de l'opposition a fait une déclaration, reprise par tous les médias du Burkina. Le journal Sidwaya* est un média de service public, un journal de tous les Burkinabés. Le quotidien ouvre ses portes à tout le monde. Les activités des partis, de la société civile, du gouvernement sont correctement couvertes. On veille à ce que tout le monde ait droit à la parole. Les médias sont tellement divers que chacun trouve son espace. Il y a également une presse d'opinion au Burkina.
*Le quotidien public Sidwaya a le plus grand tirage du pays. L'Agence d'information du Burkina (AIB) et le magazine Carrefour Africain sont gérés par les éditions Sidwaya.
Mots clés : Burkina Faso - Journalistes - Ibrahiman Sakandé