En matière d'énergie nucléaire, on est passé de l'illusoire risque zéro, vanté pendant quelques décennies, au risque calculé. Est-ce qu'il vaut la peine d'être tenté ? Nous l'avons demandé à Xavier Rabilloud, l'un des porte-parole du réseau «Sortir du nucléaire», à Lyon. -Est-ce que la phobie du nucléaire est irrationnelle ? C'est le développement du nucléaire qui s'est fait sur des bases irrationnelles. S'en prendre aux antinucléaires, n'est rien d'autre que le discours caricatural de lobbies au service d'une industrie dont le but est le profit. Nous, nous nous appuyons sur des arguments chiffrés, étayés sur des scénarii de sortie du nucléaire extrêmement nombreux qui existent que ce soit pour la France ou n'importe quel autre pays, des scénarii qui peuvent aller d'une durée de quelques années à quelques décennies. Nous ne nous prononçons pas sur un délai, mais sur le principe d'engager cette sortie qui dépend des moyens financiers qu'on consacre à cette ambition. Il s'agit de mettre en place des politiques ambitieuses. -Profit et coût justement. Est-ce que la sortie du nucléaire serait plus chère que des nouvelles centrales vendues comme plus sûres avant même d'avoir vu le jour, comme l'EPR ? Une étude indépendante, menée en 2006, estime en se basant sur le budget officiel du projet d'EPR de Flamanville, qui était à l'époque de 3 milliards d'euros mais qui a gonflé depuis, qu'on aurait pu, en utilisant cette somme consacrée aux économies d'énergies et au développement du renouvelable, avoir deux fois plus d'électricité disponible, et créer quinze fois plus d'emplois qualifiés durables et non délocalisables. Deuxième point, l'association Global chance, qui a participé à un rapport commandité par l'ancien Premier ministre Lionel Jospin en 1997, a établi qu'à l'échéance 2050, un système énergétique français 0% nucléaire ou très nucléaire aurait le même coût, sans les inconvénients des déchets et les dangers pour ce qui est de l'option nucléaire. Dans le parc actuel en France, on a des réacteurs qui dépassent les 30 ans d'âge. EDF cherche à les prolonger, ce qui coûte des centaines de millions d'euros sur chaque réacteur, et si on construit une nouvelle centrale, cela coûte au bas mot 6 milliards d'euros. -Justement, cela coûte très cher, et on cherche pourtant aujourd'hui à vendre des centrales à tous les pays, pas toujours aussi riches que le sont les pays industrialisés. Est-ce bien possible ? Oui, sur le coût, vous avez raison, mais il n'y a pas que ça. La France par exemple cherche à exporter son nouveau réacteur plus puissant, l'EPR, 1600 mégawatts. Il n'y a pas encore un seul EPR opérationnel dans le monde. La réalité est que la communication sur la prétendue vente d'EPR français revient à vouloir surtout vendre l'EPR à l'opinion publique française. Vendre des réacteurs surpuissants à des pays qui n'ont pas de réseau capable de supporter sa production, c'est une aberration totale. Enfin, dans les pays du Maghreb comme du Machrek, le potentiel, c'est le soleil, avec un gisement énorme à utiliser. Les technologies le permettent. On sait d'ores et déjà que le prix du solaire par concentration est inférieur au prix du nucléaire démesuré quand on y intègre les coûts cachés : entretien et mises en normes, traitement des déchets, démantèlement car la durée de vie d'une centrale nucléaire est limitée. De plus, exporter des réacteurs dans des pays qui n'ont pas une tradition centralisatrice, qui n'ont pas d'autorité nucléaire constituée, pas de compétences en place dans ce secteur, c'est difficile. L'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) considère qu'il faut entre dix et quinze ans pour créer l'infrastructure institutionnelle dans un pays qui n'en est pas doté. C'est donc contre-productif d'envisager cela dans beaucoup de pays où on veut vendre des réacteurs, surtout au Sud, là où le vrai gisement est le solaire. 0,14 centimes de dollar le kilowatt/heure pour le renouvelable, contre, d'après les chiffres actuels, 0,20 centimes de dollar le kilowatt/heure pour le nucléaire. -Un autre point est la ressource en eau nécessaire au refroidissement des réacteurs. On parle de centrale en Algérie en bord de mer, mais aussi en Jordanie, en Syrie… Qu'en est-il ? C'est important. Les pays de l'Afrique du Nord ou du Moyen-Orient ont une ressource en eau relativement rare et qui peut aller en s'amenuisant avec les changements climatiques. Une centrale nucléaire, on l'a vu avec la panne de refroidissement de Fukushima au Japon, utilise des quantités d'eau phénoménales. Ce qui limite leur implantation géographique à proximité de ces sources d'eau, au détriment des besoins en eau des populations, et avec le risque de pollution. On n'effacera pas non plus les risques liés au terrorisme, aux défaillances humaines, ou aux phénomènes naturels comme les séismes.