De la hogra à la harga en passant par la politique économique et le code de la famille, tous les sujets sont revus dans les tribunes des stades. Le plus impopulaire chez les jeunes supporters ? Le Premier ministre ! Après la suspension des matchs du championnat suite aux émeutes de janvier, El Watan Week-end est allé prendre la température lors de la rencontre Mouloudia-USM Harrach… Chaud ! «Doula rahi koulat, Ouyahia hchahalna, rah elhak el vote rahi tzagat, Bouteflika ya el khourda» (l'Etat coule, Ouyahia nous a roulés, c'est bientôt les élections, Bouteflika le déchet). Ce slogan ne sort pas de la bouche d'un opposant radical ni d'un parti politique critique mais… des supporters de l'USMA ! Plus exactement, il s'agit d'un tube chanté dans nos stades durant les matchs du championnat. Politisés, les footballeux ? Depuis bien longtemps. Les nostalgiques se souviendront de la fameuse «Seb3alaf batata ya din errab» (70 DA la pomme de terre, nom de Dieu !) lancée en 2007 au président Bouteflika lors de la finale de la coupe d'Algérie. Les séances plénières dans les stades deviennent de vrais spectacles à qui sait tendre l'oreille. Comme une réponse aux autorités qui déploient un bouclier de forces antiémeutes à chaque sortie des stades pour réprimer toute tentative de marche. Dans la foulée des émeutes de janvier dernier, les autorités ont suspendu le championnat pendant plus d'un mois sans la moindre explication. Aujourd'hui, la température est montée de quelques degrés Celsius dans les tribunes et les chants ont radicalement changé, laissant place à un parfum de révolution. Nous sommes mardi 13 février. Match du jour : Mouloudia versus USM Harrach au stade de Rouiba, dans la banlieue est d'Alger. Ambiance électrique, tension visible. Le pire est à craindre, le match dépasse le cadre sportif. Il s'agit d'une guerre de gangs ou de quartiers. La misère pour inspiration Certains supporters armés de couteaux, lames ou pétards promettent un carnage à leurs adversaires de toujours. Le match derby entre le Mouloudia et l'USMH est comme d'habitude placé sous haute surveillance. Le rassemblement commence par des séances d'échauffement verbales, préludes aux échauffourées d'après-match. Les jeunes supporters chantent en chœur et par cœur des tubes et des hymnes à la gloire de leurs équipes respectives. L'essence même de leurs chansons : leur vécu quotidien, leurs conditions de vie. Et bien évidemment, la politique n'est pas en reste de la ola. Les supporters des deux camps se croisent. Tout le monde chante «Echa3b yourid ezzatla batal» (le peuple veut de la drogue gratuitement), refrain inspiré du fameux slogan «Echa3b yourid iskat ennidam» des révolutions arabes actuelles. Les supporters de toutes les équipes nationales le chantent presque à chaque sortie. Les jeunes répliquent aux politiques et leur promettent le pire. Comme dans une séance de l'Assemblée nationale, où les opposants s'offrent les ministres, les supporters tour à tour chargent nos responsables politiques. Tambour, karkabou, derbouka à la place des microphones : tels sont leurs seuls moyens d'expression. Audibles à des milliers de mètres du stade. Ahmed Ouyahia, le Premier ministre, est la cible préférée de nos supporters. Ainsi, la plupart des chansons lui sont consacrées pour attester de son impopularité. «Ouyahia ya la3mira, bal3ati bel hadra, ba3 essahra hab yzid ybi3 el port» (Ouyahia ma chérie, le beau parleur, il a vendu le Sahara et il veut vendre aussi le port) scandent les supporters du Mouloudia sous le regard amusé des policiers. Dawla darou bombat ! Nourreddine Yazid Zerhouni, vice-Premier ministre, n'est pas en reste. Les propos tournent à l'invective. «Zerkaoui, Zerkaoui, allah yarahmou, Zerhouni, Zerhouni i… ». Voilà Zerhouni assimilé à l'ex-chef d'Al Qaîda en Irak, Abou Moussab Al Zerkaoui pour ses méthodes violentes et restrictives. «Irhab eddawla» (terrorisme d'Etat) nous explique un supporter du Mouloudia. Chakib Khelil, ex-ministre de l'Energie, lui, est traité de larbin des Etats-Unis. «Khalil qaw… el maricane, hab ebi3 essahra, isstiklal makan makan, zawali bka mah'gor» (Khelil le larbin des Etats-Unis a voulu vendre le Sahara, l'indépendance n'est que de la foutaise, les pauvres sont toujours méprisés), chantent, quant à eux, les supporters de l'USMH. A travers Chakib Khelil, les supporters visent le scandale Sonatrach et parlent de leur marasme au quotidien et de la misère. Et la liste des personnalités publiques est longue : Belkhadem trouve son compte chez les supporters de l'USM Harrach : «Ki tchouf El Belkhadem, lahia twilla, salat ettarawih ga3 fa saf el awal, rakad 3a les milliards, wa yada3a badine, howa bayat chab3ane, wa zawali bayat ji3ane» (lorsque vous voyez Belkhadem avec sa barbe, à la première ligne de la prière des tarawihs, il dort sur des milliards, alors qu'il prône la religion comme discours, lui dort rassasié mais le pauvre a faim). Ali Benhadj, l'ex-leader du FIS dissous, est traité de tous les noms et mis par les supporters dans le même sac que nos dirigeants politiques. «Ali Benhadj ykolalhoum ndir jihad, yahchiha lel ghachi, yhalal fi Bouteflika, ykolou nwellou hbab» (Ali Belhadj dit : je vais faire le djihad, il nous prend pour des idiots, il supplie Bouteflika en lui disant je veux qu'on redevienne amis). Les sujets se suivent comme dans un discours politique, l'informel est abordé pour la première fois dans les gradins. «Melli zadmou el kavia, el mamnou3e wella yatba3 fel marchiyat» (depuis l'arrivée des bagarra, les produits prohibés se vendent dans les marchés), assurent-ils unanimement. Vieux fantôme qui ressort régulièrement : le qui-tu-qui des années de terrorisme : «Dawla darou boumbattes, yhasslouha fel Qaîda, marana fahmine walou» (l'Etat a posé des bombes, on accuse Al Qaîda, nous n'avons rien compris). Face à l'affolement des policiers, les jeunes répliquent : «Zenga, zenga, idour, idour, fi Bouloughine ncha3lou ennar», promettent-ils. La crise du logement est aussi passée en revue «Bnaw l'AADL, madouhoum berrachwa, les familles baytine barra, laq… rahoum saknine, Bouteflika ya a…» tonnent-ils. Quant au président Bouteflika, les propos sont acerbes : «3cha3b rahou ymout, ghir houwa mahabch emout, bessah takhlass 3lih mal, dork chwia ndourou 3likoum» (le peuple est en train de mourir, il n'y a que lui qui ne veut pas mourir, mais ça finira mal pour lui, nous allons nous retourner contre vous) chantent en harmonie les supporters d'El Harrach en avisant le pouvoir d'une imminente révolution. Et de conclure : «Ya Bouteflika, dor dor jaya lik» (elle tourne, elle tourne, c'est bientôt ton tour).