Malika Kaïd Youcef, connue sous le pseudonyme de « Yasmine » durant la guerre de Libération nationale, née le 20 décembre 1927 à Cherchell, était fiancée, depuis 1954, au militant de la cause nationaliste de la première heure, Mustapha Saâdoun. Ce n'est qu'en 1962 qu'ils s'étaient mariés. Depuis 1956 jusqu'à 1962, cette femme n'avait cessé d'activer à sa manière, pour participer au combat libérateur de l'Algérie. En dépit de ses bonnes relations avec les familles françaises, elle agissait discrètement pour ne pas éveiller les soupçons. Sa mission consistait à ramasser les médicaments pour les envoyer au maquis, récupérer les tracts pour les distribuer par la suite et remettre les écussons portant l'emblème national aux moudjahidine. A la veille de la commémoration du 45e anniversaire des manifestations du 11 décembre, nous nous sommes rendus chez cette Algérienne, qui vit dans l'anonymat et l'indifférence, pour qu'elle nous relate son témoignage relatif à cet événement. « Je veux, mon fils, que vous précisez dans votre article, qu'il n'y avait que des femmes lors de cette manifestation qui s'était déroulée à Cherchell. Nous n'étions pas encadrées par des hommes. Nous n'étions pas habituées à sortir dans la rue de cette façon. Nous avons répondu à l'appel et défié les militaires », dira-t-elle. Les manifestantes drapées de leurs haïks étaient vêtues de jupes blanches, de pulls verts et portaient un foulard rouge au cou. Notre interlocutrice se souvient de Malika Tahar, l'épouse de Mohamed Kaïd-Youcef, de Houria Kaïd Youcef, des trois sœurs Benmokadem, qui avaient été empêchées par leur père de sortir de la maison car, leur frère ayant déjà rejoint le maquis, Hadj Benmokadem ne voulait pas avoir d'autres ennuis avec les forces coloniales. Le premier groupe de manifestantes commençait à se former au niveau du mausolée Sidi Abderrahmane, qui se trouvait dans une impasse au centre-ville. Le rassemblement du second groupe de femmes avait été constitué au niveau d'une autre impasse, celle du quartier populaire Aïn Kessibah. « Yasmine » se rappelle de cette manifestation qui avait débuté à 8h. Le premier groupe avait emprunté la rue pour rejoindre et récupérer l'autre, tout en scandant « l'Algérie musulmane » et en lançant des youyous, devant des hommes passifs. Les militaires français avaient sous-estimé cette action des femmes. L'effervescence régnait déjà à Aïn Kessibah. Le volume des manifestantes avait pris de l'ampleur au fur et à mesure qu'elles avançaient. Les forces coloniales avaient alors isolé le second groupe qui se trouvait à Aïn Kessibah pour empêcher la jonction. Les services de sécurité français, aidés par les harkis pour identifier les Cherchelloises qui ont osé manifester ce 11 décembre 1960, selon notre interlocutrice, sont passés à l'action, car ayant observé de loin que les manifestantes avaient brandi l'emblème national, avant de le dissimuler dans l'une des maisons. Il n'en demeure pas moins que ces femmes, enveloppées dans leurs haïks, avaient réussi à manifester durant quelques moments et braver l'interdit, avant de se disperser sous les menaces des militaires français. Mustapha Saâdoune, présent lors de cette courte rencontre, semblait fier du courage et du militantisme de sa femme. Avant de nous séparer, « Yasmine », au crépuscule de sa vie, lâche ces mots qui illustrent la triste vérité : « Ils nous ont oubliées aujourd'hui. »