- Depuis plusieurs mois, l'entourage du Président évoque avec insistance la révision de la Constitution, la loi sur les partis, le code de wilaya… Dans son discours, vendredi dernier, Bouteflika a surfé ces sujets et n'a donné aucun délai quant à leur mise en œuvre. Quelle est votre appréciation ? Le discours à la nation du Président est avant tout le bilan positif de tout ce qu'il a fait depuis son retour aux affaires. Tout a été parfait ! Il a réussi à faire tout ce qu'il voulait ! Tout le reste du discours ne semblait pas l'intéresser outre mesure. Il lui fallait annoncer des réformes pour tenter de faire taire les revendications, ou du moins gagner du temps. De toutes les réformes qu'il a annoncées, seule peut-être la réforme constitutionnelle peut avoir de l'intérêt pour lui. Et même là, il me paraît qu'il y a un lien direct avec son état de santé et l'obligation qu'il a de sauver son régime. Il lui faut absolument organiser sa succession de manière à ce que le pouvoir n'échappe pas à son clan et que le système qu'il a mis en place soit pérennisé. Le scénario qui s'annonce devrait être celui-là : revoir la Constitution de manière à instituer un système véritablement présidentiel. Un système à l'américaine qui instituerait le poste de vice-président, qui prendrait immédiatement la place du président en cas de disparition ou d'incapacité totale de ce dernier. Ce sera à mon avis la seule grande réforme qu'il faille attendre d'une révision constitutionnelle, qui est déjà totalement encadrée. Pas de Constituante, remplacée par une commission composée des partis et personnalités qui voudront bien y participer. Or il est presque certain que beaucoup de partis et de personnalités représentatives de l'opposition refuseront de participer à cette commission qu'ils considèrent déjà comme un simple faire-valoir ou une boîte aux lettres. Quant aux autres réformes promises par le Président dans son discours, elles seront certainement toutes vidées des mesures véritablement démocratiques exigées. La loi sur les partis politiques tentera certainement une petite ouverture pour la création et la reconnaissance d'autres partis. La loi électorale fera, elle aussi, une petite avancée pour permettre l'élection de nouveaux venus sur la scène politique. Mais, d'évidence, ce ne sera que du saupoudrage. - Restons dans les réformes, selon votre analyse, pourquoi le chef de l'Etat n'a pas dit un mot sur le rendement de l'APN et sur le mandat présidentiel ? Un sujet qui a fait remous dans le monde arabe en général …
Le Président est tout sauf naïf. Il sait que l'APN est mal élue et qu'elle est complètement discréditée. Il ne pouvait donc pas parler de l'APN sans annoncer sa dissolution et des élections législatives anticipées. Or il n'a pour l'instant aucun intérêt à cela. L'annonce d'une révision constitutionnelle reporte naturellement la résolution de ce problème – si problème il y a. Il en est de même pour le mandat présidentiel. Il ne pouvait pas décemment se déjuger sur une révision qu'il avait fait voter à la hussarde, pour instituer une espèce de mandats présidentiels à vie. Il se pourrait que la nouvelle Constitution limite le nombre des mandats, mais pour un autre président que lui. Concernant les événements qui secouent le monde arabe, pourquoi voulez-vous qu'un président qui clame, et qui fait clamer, que les problèmes que vit le pays actuellement ainsi que les revendications populaires n'ont rien de politique, fasse référence à des événements qui, eux, sont éminemment politiques. Les revendications des Algériens sont sociales. Et c'est tout ! Et l'Algérie a les moyens financiers de faire face à ces revendications sociales! Faire une référence claire à ce qui se passe ailleurs dans le monde arabe serait une reconnaissance indirecte que les problématiques sont identiques. Ce n'est pas un hasard, si le Président n'a traité le problème des événements qui secouent le monde arabe que sous l'angle de la non-ingérence dans les affaires intérieures. Une manière de dire à l'opinion publique internationale que l'Algérie verrait d'un très mauvais œil que l'on s'occupe de ce qui se passe chez elle, comme l'on s'est occupé de la Libye, du Yémen ou de la Côte d'Ivoire. - Le discours de Bouteflika sonne comme une synthèse des discours tenus récemment par Ouyahia et Belkhadem. Peut-on croire qu'il y a une entente et non des divergences au sommet de l'Etat. Quelle est votre analyse ? Si divergences il y a, elles ne peuvent être que formelles et marginales. Sur l'essentiel, Ouyahia et Belkhadem et les deux partis qu'ils représentent sont d'accord. Ils sont les facettes différentes d'une même réalité politique. Ils ont le même intérêt à la pérennisation du système qu'ils gèrent à leur seul profit. Par contre, il existe des divergences entre les deux hommes et même entre les deux partis en ce qui concerne leur place au sommet du pouvoir. Et même dans la suite du scénario, pour ce qui concerne la succession du Président. Chacun des deux hommes – donc des deux partis – se positionne pour l'avenir. Il y a aussi le problème du MSP, membre de l'Alliance présidentielle, qui rue dans les brancards. Essentiellement par l'intermédiaire de son président, Bouguerra Soltani. Lui aussi met ses deux fers au feu, dans la perspective des joutes futures. Soltani se positionne lui aussi pour l'après-Bouteflika. - Le président de la République a décidé de s'adresser à la nation le 15 avril, et ce, après un long silence. Pourquoi à ce moment ? Après un premier mandat et un début de second mandat caractérisés par des prises de parole incessantes et innombrables – une véritable logorrhée – sur pratiquement tous les sujets, le Président s'est astreint au silence – au moins verbal - pour des raisons que l'on peut deviner. Une santé déclinante et une apparence physique qui ne cache rien de la gravité de sa maladie. Sa communication est devenue dans sa quasi-totalité épistolaire : une manière de se montrer, sans qu'il ne soit réellement visible. Il n'est pas étonnant que le Président ne se soit pas exprimé de manière visible et verbalement à la suite des événements – graves – qui agitent le pays depuis le mois de janvier 2011. D'une part, il ne pouvait pas être physiquement et en permanence présent – comme le fait, par exemple, le président du Yémen – et d'autre part, voulant absolument éviter la politisation des mouvements de contestation, il devait penser qu'une intervention directe de sa part serait un aveu que la contestation est éminemment politique. D'ailleurs, toute la communication du pouvoir a consisté à dénier à la contestation le qualificatif de politique. S'il s'était montré - autrement que par communiqués et parfois par des mises en scène filmées par l'inénarrable ENTV – il aurait fait la démonstration contraire : lui qui a fait du silence sa marque de fabrique, il aurait par ses interventions démontré qu'il était inquiet de la tournure que prenaient les événements. - Mais le choix du timing répond-il à un objectif précis ou une stratégie quelconque ? La date choisie pour son discours à la nation – et il me semble bien que c'est le premier de son troisième mandat – n'est certainement pas fortuite. Mais il ne me semble pas qu'elle ait une signification vraiment politique. Je la lie directement avec la date du 16 Avril pour laquelle il s'était préparé physiquement pour apparaître à Tlemcen pour y inaugurer l'Année de la culture islamique. C'était peut-être le seul événement qu'il ne pouvait pas rater. Ceci dit, le Président ne pouvait pas faire l'économie d'une adresse au peuple. Il ne pouvait pas attendre encore des mois, au risque de passer pour complètement insensible à tout ce qui se passe dans le pays. Il lui fallait aussi démontrer qu'il était en «bonne» santé et qu'il tenait fermement les rênes du pouvoir. - Oui, mais c'est le contraire qui s'est produit. Tout le monde a remarqué l'état déclinant du Président. Il est apparu faible et il donnait l'impression de parler sous la contrainte… Tout à fait d'accord. Je crois que s'il y a une seule chose à retenir de ce discours à la nation, c'est effectivement l'état de santé déclinant du Président. Avec cette vision d'un homme affaibli, sans force physique – y compris pour tourner les pages de son discours – le regard fixe, le visage enflé certainement par la thérapie qu'il est obligé de suivre – plus personne ne peut ignorer la gravité de la maladie du Président. Plus rien de ce président pimpant du premier mandat qui allait vers la foule d'un pas vif et alerte. Il ne reste plus que l'image d'un homme fatigué qui marche difficilement, qui a du mal à s'exprimer et qui salue les gens avec des gestes lents et figés. Même si ses capacités psychiques semblent épargnées par la maladie, le doute est maintenant permis sur la suite de la carrière du Président. Arrivera-t-il à la fin du mandat actuel ? De toutes les façons, exit un quatrième mandat ! - Le Président s'est prononcé pour la dépénalisation du délit de presse et le niet pour l'ouverture du champ médiatique, pourquoi ? La dépénalisation du délit de presse concerne essentiellement la presse écrite. Si la mesure est officialisée (ce qui n'est pas encore gagné), elle aura un effet limité aux journaux dont les lecteurs deviennent de plus en plus une espèce en voie de disparition. Ouvrir le champ audiovisuel à toutes les tendances est considéré comme un danger pour le système. Les voix discordantes ne peuvent pas être acceptées, surtout si elles ne peuvent plus être canalisées à l'intérieur d'un outil aux ordres : la télévision nationale et la radio nationale. Le Président a ordonné au gouvernement d'ouvrir la télévision et la radio à toutes les sensibilités politiques. Tout le monde est en mesure de comprendre qu'une telle mesure ne signifie nullement la pluralité de l'expression politique. Il est très possible que l'on assiste dans le très court terme à des interventions d'opposants irréductibles à la télévision et/ou à la radio nationales. Mais personne ne sera dupe : ce sera toujours le pouvoir qui détiendra les rênes de l'audiovisuel. Et il pourra siffler la fin de la partie à tout moment.