L'histoire de la guerre en Irak est en train de s'écrire. Et même plus tôt que prévu. En effet, Sir Jeremy Greenstock, ancien représentant britannique en Irak en 2003 et 2004, a estimé que l'intervention militaire en Irak n'en valait peut-être pas la peine. Lui qui a, notamment, occupé le poste d'ambassadeur de Grande-Bretagne auprès de l'ONU avant, puis au début de la guerre en Irak, a estimé que les Irakiens souhaitaient, certes, le renversement de Saddam Hussein, mais qu'ils espéraient aussi que la coalition serait plus « compétente » que ce qu'elle a jusqu'à présent été dans la reconstruction du pays. Selon lui, la plus grande erreur de la coalition a été de laisser un vide sécuritaire se développer. Les violences vont encore se poursuivre pendant de nombreuses années, et trop peu de moyens, dès le début, ont été donnés pour assurer la sécurité lorsque la guerre a commencé, a-t-il déclaré. Sir Jeremy Greenstock a estimé que la coalition s'était trompée en croyant que les opérations seraient plus faciles que ce qu'elles ont été et en pensant que les Irakiens se suffiraient à eux-mêmes « pour marcher vers un nouvel Irak ». « Il y a pourtant eu plusieurs mises en garde sur ce qui risquait de se passer, mais celles-ci n'ont pas été entendues », a-t-il ajouté. Encore plus proche de la réalité puisqu'il a eu à la gérer, l'ex-Premier ministre irakien Iyad Allaoui, chef de la Liste irakienne nationale aux législatives du 15 décembre, soulève lui toute cette problématique en accusant l'actuel gouvernement d'avoir échoué et d'avoir mené le pays « au bord du gouffre de la guerre civile ». Lui n'avait pas fait mieux, il faut en convenir. « Les forces de sécurité se livrent à des exactions contre les candidats, divisant le pays et le plaçant au bord du gouffre de la guerre civile qui peut l'embraser à tout moment », a déclaré M. Allaoui. « Trois ans après la chute du régime de Saddam Hussein, le pays s'est appauvri, s'est divisé et compte pour sa survie sur les forces étrangères », a regretté l'ancien Premier ministre, que l'on se plaît à présenter comme un chiite laïc, dans une attaque frontale contre l'équipe dirigée par son concurrent Ibrahim Jaâfari, un chiite conservateur. « Peut-on avoir confiance en un gouvernement empêtré dans les affaires de corruption, qui a augmenté les prix du carburant et qui est incapable de subvenir aux besoins des citoyens ? », s'est interrogé M. Allaoui. Il a en outre accusé le gouvernement de confier des tâches de sécurité à des milices armées, une allusion aux hommes de l'organisation Badr, du Conseil suprême de la révolution islamique en Irak, alliée de M. Jaâfari. « Nous sommes à la croisée des chemins et le danger nous guette », a-t-il ajouté en appelant les Irakiens à aller voter le 15 décembre pour changer cette situation. De ce point de vue, les accusations se multiplient et toutes tendent à dénoncer un système carcéral et sécuritaire que les Irakiens croyaient combattre. Un général irakien, ancien chef des forces spéciales du ministère de l'Intérieur, a dénoncé les tortures infligées, selon lui, à des prisonniers en Irak, notamment ceux liés à la rébellion supposée sunnite. Le général Mountazar Jasim Al Samarraï, un sunnite, réfugié à Amman, a décrit ces violences perpétrées dans des centres secrets de détention. Il a assuré qu'il avait quitté l'Irak récemment après avoir tenté, en vain, d'alerter ses supérieurs sur ces exactions. Les organisations politiques et religieuses sunnites ont accusé le gouvernement du Premier ministre chiite, Ibrahim Al Jaâfari, d'au moins tolérer ces pratiques. Le général Al Samarraï a été la cible le 16 avril 2005 d'une tentative d'assassinat lorsque son convoi avait été pris pour cible à Baghdad par des inconnus. Evoquant le sort d'un chef présumé de la guérilla, Najim Al Takhi, il a assuré : « J'ai pu voir les tortures que ses geôliers lui avaient infligées. Il avait reçu des décharges électriques. On l'avait flagellé à coups de câble. Et pour finir, ils lui avaient planté des clous dans le corps. » Il a assuré être en mesure de donner des précisions d'identités et de dates sur des dizaines de cas. « La plupart des tortures ne se font pas dans les commissariats officiels, mais dans des centres de détention clandestins », a-t-il ajouté. Pendant ce temps aux Etats-Unis, les élus ou responsables du Parti démocrate américain rappellent qu'ils n'obéissent pas à une quelconque consigne, mais plutôt à leur conscience en ce qui concerne la guerre en Irak. En ce sens, des responsables démocrates ont déclaré qu'ils assumaient pleinement leur division sur cette question, ce qui, au contraire, conforte la position de l'Administration du président George W. Bush et de son parti républicain. « Sur ce qui touche à la guerre et à la conduite de la guerre, nous avons toujours dit depuis le début que c'est une décision complètement individuelle », a déclaré la chef de file des démocrates de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi. Mme Pelosi avait étalé au grand jour les divisions de l'opposition la semaine dernière, quand elle avait endossé la proposition de son collègue John Murtha, qui a appelé au début immédiat du redéploiement des troupes stationnées en Irak. A l'autre extrême du groupe démocrate, le sénateur Joseph Lieberman a plusieurs fois été salué publiquement par le président Bush pour avoir fait état des progrès accomplis en Irak et plaidé pour le maintien des troupes. La plupart des autres caciques parlementaires du parti ont adopté une position médiane, tablant pour un début de retrait à court terme, suivi par un désengagement progressif au fur et à mesure que des objectifs définis auront été atteints. Le président du parti démocrate Howard Dean, opposant de toujours à la guerre en Irak et également favorable à la position de M. Murtha, a également reconnu les désaccords entre démocrates, tout en les minimisant.Mais tout cela, semble-t-il, ne constitue pas une stratégie avec des prévisions fondamentalement pessimistes frappant de dérision les élections législatives irakiennes de la semaine prochaine. Rien, en effet, n'indique une quelconque amélioration de la situation sécuritaire. En dépit de la forte présence militaire américaine dans le pays et des multiples opérations lancées pour au moins contenir l'opposition armée et préparer le terrain aux élections, cette semaine a été particulièrement sanglante.