Le visage blême et les traits crispés, ammi (oncle) Ramdane est arrivé un soir au camp des réfugiés à Ras Jdir, à la frontière tuniso-libyenne, dans un état d'anxiété et d'angoisse très avancé. Recherché par les militaires libyens, il a quitté précipitamment la ville de Zouara, située à une quarantaine de kilomètres, pour rejoindre le territoire tunisien. Ammi Ramdane se sent totalement engagé dans ce qu'il appelle «la révolution des hommes». Son histoire est émouvante. Il nous la raconte la gorge nouée. Elle commence en Algérie, où la succession des problèmes familiaux le pousse à quitter Tizi Ouzou, où il a laissé sa femme et ses enfants en 2007 pour s'exiler en Libye. Il s'arrête à Zouara, une ville berbère située à quarantaine de kilomètres de Ras Jdir. Une ville qu'il finit par adorer, d'autant qu'elle ne diffère pas de Tizi Ouzou, où les gens parlent tamazight. Ferronnier de métier, il ne tarde pas à trouver du travail avant de s'installer à son compte, et l'argent qu'il gagne est transféré à sa petite famille en Algérie. Pendant des années, ammi Ramdane vit le bonheur. Il ne se sent pas dépaysé. Les chansons de Maâtoub Lounès et de Aït Menguellat sont partout, même sur les téléphones portables en tant que sonnerie. Mais cette situation de bonheur va basculer avec les événements. Vu les relations étroites qui le liaient à la population, il ne pouvait rester neutre dans une «guerre» qu'il jugeait «injuste et barbare». Sollicité, il n'hésite pas à mettre son atelier de ferronnerie à la disposition «des révolutionnaires» pour installer les armes sur les véhicules 4x4, (des Stéchènes) et réparer les percuteurs bloqués des fusils mitrailleurs et des kalachnikovs. «J'ai appris à monter les armes sur les 4x4 sur le tas. Je bricolais les armes et j'arrivais à les réparer et à les modifier sans aucun problème», précise-t-il. Son engagement dure plusieurs semaines durant lesquelles son commerce était à l'arrêt. Il passe d'un quartier à un autre et brave tous les dangers. «Je n'avais pas peur parce que j'estimais que c'était un combat légitime. Si je meurs, ça sera en martyr…», déclare-t-il. Mais tout a une fin. «Tout allait bien jusqu'à ce que les forces d'El Gueddafi récupèrent la ville. Ils savaient qu'il y avait un Algérien qui aidait les révolutionnaires, mais ils n'arrivaient pas à l'identifier. La décision de m'évacuer a été prise. J'ai refusé au début, mais j ai fini par accepter. Ils voulaient à tout prix me protéger en m'éloignant avant que les militaires ne m'arrêtent. D'autant que Zouara a fini par être totalement contrôlée par les troupes de Gueddafi». C'est à contre- cœur que ammi Ramdane quitte «le champ de bataille, le temps que la situation change», dit-il. Caché à bord d'un véhicule Stèchène, il fait la traversée du désert durant des heures avant de rejoindre la Tunisie. Installé dans le camp des réfugiés, il refuse de rentrer en Algérie. Pour lui, la Libye est son pays. Il attend le moment opportun pour y retourner. Il suit les informations au jour le jour, et attend avec impatience de retrouver son petit commerce de ferronnerie à Zouara. «Ma vie et mes biens sont là-bas. Je me sens bien mieux que dans mon pays…», déclare-t-il.