Des nouvelles inquiétantes sont parvenues hier à Ras Jdir, le poste-frontière tuniso-libyen, vers lequel quelque 3000 personnes ont afflué. Des témoignages de réfugiés font état d'exécutions systématiques de Libyens qui tentent de rejoindre la Tunisie. Dans les camps de Ras Jbir (frontière tuniso-libyenne). De notre envoyée spéciale Des informations inquiétantes sont rapportées par les réfugiés ayant fui la ville de Zaouia, située à l'ouest de Tripoli. «J'ai vu des hommes armés fouillant toutes les salles de l'hôpital à la recherche de blessés libyens pour les exécuter. Les images étaient atroces. Ils ont été tués à bout portant en visant la tête. Ils nous ont dit que seuls les étrangers pouvaient quitter le pays. Nous étions plusieurs et parmi nous quelques Libyens se sont faufilés, mais ils ont été rattrapés en cours de route pour être froidement exécutés», raconte ce Bengali d'une trentaine d'années, encore sous le choc et visiblement très affecté. Agent d'hygiène à l'hôpital de Zaouia, il est entré au poste de Ras Jbir avec une centaine de ses compatriotes. D'une voix étouffée, il raconte comment les pro-Gueddafi l'ont malmené en lui confisquant ses papiers, son téléphone portable et son argent. «Ce sont des Ali Baba, ils m'ont tout pris. Je n ai plus rien, même pas mon passeport et c'est le cas de tous ceux qui ont réussi la traversée. Il y a des milliers d'autres Bengalis et étrangers qui sont bloqués là-bas, il faut les aider à entrer…», dit-il, avant d'embarquer à bord du bus mis à la disposition des réfugiés se dirigeant vers le camp de Choucha, où s'entassent plus de 13 000 de ses ressortissants dans des conditions les plus inhumaines. De plus en plus nombreux, ils constituent l'écrasante majorité des réfugiés encore sur le sol tunisien. Pour chaque besoin, ils font des chaînes interminables, parfois de plus de deux heures. Des files d'attente longues de près de 500 mètres au moins se forment devant les véhicules chargés de moyens de télécommunication satellitaire, et mis à leur disposition pour appeler leurs familles. Souvent, ils tentent de franchir les barrières à la recherche d'une bouteille d'eau pour étancher leur soif, d'une cigarette pour calmer leurs nerfs ou tout simplement d'une baguette de pain pour se rassasier, mais c'est peine perdue, parce que ces actes provoquent à chaque fois l'émeute au moment où des milliers profitent pour se servir en même temps. Les odeurs nauséabondes, les ordures jetées pêle-mêle autour des camps, la poussière et la chaleur font partie du décor de leur quotidien. Beaucoup sont affaiblis, malades, mal nourris et légèrement habillés pour des nuits glaciales et des journées torrides. Ils passent leur temps à quémander de l'eau potable et du lait. Ils se font rarement comprendre et recourent au langage des gestes. Leur situation est une véritable tragédie. Parfois, de petites altercations se transforment en émeute. Cela a été le cas mardi dernier, lorsque quelques Nigérians ont tenté de passer à travers une file d'attente. Une violente bousculade s'en est suivie, poussant les uns et les autres à s'échanger des coups. Le stress et l'angoisse les rendent plus vulnérables. Hier, plusieurs dizaines, pris de colère, ont tenté de revenir vers le poste frontalier pour retourner en Libye. Ils ont tout de suite été calmés par leurs compatriotes, devenus leur porte-parole. Ils sont doublement victimes. D'abord d'El Gueddafi puis de la ségrégation dont ils font l'objet de la part des grands du monde qui assistent impuissants (impassibles) à leur drame. Hier, un mouvement de foule a failli provoquer l'irréparable. La colère est souvent perceptible sur les visages, comme en cet après-midi lorsque le haut-commissaire des Nations unies aux réfugiés a rendu visite aux camps. Il lui était quasiment impossible d'y accéder du fait que les Bengalis voulaient tous l'interpeller. La bonne nouvelle, c'est lui qui va l'annoncer. Un pont aérien sera déployé tout prochainement pour transférer un millier de personnes par jour. L'opération sera prise en charge par l'Organisation internationale pour les migrations (OIM) et le HCR. A l'aide de mégaphones, l'appel des premiers passagers ayant réglé leur problème de papiers d'identité se fait dans une véritable anarchie. Le flux de véhicules libyens suscite la suspicion Hier, l'afflux de Soudanais était impressionnant. Ils arrivaient par dizaines. Ils attendaient d'être installés mais il n'y avait plus de tentes. Au campement, les Somaliens vivent dans la hantise de se faire rapatrier chez eux. «Je n'ai pas de pays. Je ne veux pas retourner en Somalie», lance un réfugié. La main plâtrée, il est sous une tente avec une dizaine de ses ressortissants dont des femmes et des enfants. «J'ai été tabassé par des hommes armés qui m'ont volé tout ce que j'avais sur moi : argent, téléphone, appareil photo et effets personnels. Ils m'ont fracturé le bras alors que ma sœur a été violée sous mes yeux…», raconte-t-il, troublé. Sa sœur est là, avec lui, dans la même tente qu'il partage avec des cousins mariés et pères de famille. Juste à côté, la tente des Erythréens qui eux aussi ne veulent pas retourner dans leur pays. «Il y a de nombreux compatriotes qui sont bloqués à Tripoli et n'attendent que l'occasion pour fuir…», disent-ils. A quelques dizaines de mètres, des Nigérians se disputent du vieux linge collecté par des volontaires tunisiens. «Nous sommes partis de Tripoli, à bord de taxis et en cours de route, des partisans d'El Gueddafi nous ont interceptés pour nous fouiller et nous enlever tous nos effets personnels. Mon ami a été froidement exécuté et je ne sais même pas pourquoi….», témoigne notre interlocuteur. Il nous montre les traces de violence subies lors de son périple. Egalement nombreux, les Soudanais occupent plusieurs camps. Certains d'entre eux ont fait plusieurs jours de marche pour quitter la ville de Zaouia et rejoindre, affaiblis, traumatisés et durement affectés, le poste frontalier de Ras Jdir, sans papiers ni argent. «Ils nous ont dit que les étrangers pouvaient rentrer chez eux, alors nous avons décidé de partir. Mais, ils nous ont dépouillés de tout et le taxi nous a laissés en cours de route, alors nous avons poursuivi le trajet à pied…», raconte l'un d'eux. Mardi, la désorganisation des camps commençait à se faire sentir, alors que des structures de stockage des dons apparaissaient à Benguerdane. EIles devront permettre de mieux gérer les colossales aides éparpillées ici et là. Fait énigmatique et bizarre. De nombreux véhicules libyens, type grosse cylindrée, ont traversé le poste de Ras Jdir pour rejoindre la Tunisie, en plus des poids lourds bourrés de marchandises. Les chauffeurs semblent très sereins et donnent l'impression d'être en face de touristes. Selon certains, il s'agit de contrebandiers qui viennent vendre le contenu du double réservoir rempli en Libye. D'autres, plus nombreux, y voient des militaires libyens venus espionner les lieux. Ce qui est sûr, c'est qu'ils ne dépassent pas la ville de Benguerdane, à 30 km. D'ailleurs, l'un d'eux a failli être lynché par la foule qui n'appréciait pas de voir un «agent d'El Gueddafi» dépasser les limites de Benguerdane.