Le ministre algérien des Affaires étrangères, Mourad Medelci, a saisi hier l'opportunité de l'entretien téléphonique qu'il a eu avec son homologue français, Alain Juppé, pour démentir, une énième fois, toute implication de l'Algérie dans le conflit libyen. A une question franche et directe d'Alain Juppé consistant particulièrement à savoir si le gouvernement algérien, ainsi que le soutiennent certaines informations, a fourni du matériel de guerre au régime libyen, le chef de la diplomatie algérienne a répondu, comme précédemment, par la négative. «J'ai eu un entretien (…) avec mon homologue (algérien, ndlr). Je lui ai dit voilà, il y a des informations qui circulent selon lesquelles El Gueddafi aurait reçu plusieurs centaines de véhicules armés et transportant des munitions en provenance d'Algérie», a fait savoir le ministre français lors d'une rencontre hier avec l'Association de la presse diplomatique française. Et d'ajouter : «Je lui ai posé la question et il m'a assuré que (...) ce n'était pas vrai.» A noter quand même que cette fois l'Algérie n'est plus accusée d'envoyer des mercenaires à Tripoli pour faire avorter «la révolution populaire libyenne», mais plutôt d'alimenter El Gueddafi en armes. Mais si le responsable du Quai d'Orsay a donné l'impression devant la presse de se satisfaire de la réponse de M. Medelci avec lequel il précise qu'il a eu un entretien «très cordial», on ne peut pas vraiment dire de même des insurgés libyens qui demeurent encore très agressifs dans le discours vis-à-vis des autorités algériennes. Le moins que l'on puisse dire est que l'avenir des relations entre l'Etat algérien et le Conseil national de transition libyen (CNT) – qui fédère actuellement le gros des opposants au colonel El Gueddafi – s'annonce sous de mauvais auspices. Après avoir accusé, au moins à trois reprises, les autorités algériennes d'avoir prêté main-forte au régime d'El Gueddafi en lui fournissant et en transportant des mercenaires, les responsables du CNT qui sont activement soutenus par Paris (la France a été d'ailleurs le premier pays à reconnaître le CNT comme représentant du peuple libyen) viennent de franchir un nouveau pas dans la polémique qui les oppose à Alger en prenant l'initiative de saisir officiellement la Ligue arabe. Les insurgés libyens, attestent de nombreuses sources médiatiques arabes, ont notamment demandé au secrétaire général de la Ligue des Etats arabes, Amr Moussa, de mener des «discussions» avec Alger sur ce dossier des présumés mercenaires algériens faits prisonniers à Benghazi et d'initier une enquête sur la violation, par l'Algérie, de la zone d'exclusion aérienne au-dessus de la Libye, instaurée sur décision du Conseil de sécurité de l'ONU. Pour l'heure, le secrétariat général de l'organisation panarabe n'a pas donné de suite à la requête du CNT. La démarche initiée par les insurgés libyens intervient au lendemain de l'envoi par le secrétaire général de la Ligue libyenne des droits de l'homme (LLDH), Slimane Chuiguir, d'une lettre de deux pages (dont nous détenons une copie) au président de la Ligue algérienne des droits de l'homme (LADDH), Mustapha Bouchachi, dans laquelle il réitère les mêmes accusations à l'endroit de l'Algérie et invite son «homologue» algérien à essayer de faire entendre raison aux décideurs algériens. Dans sa lettre datée du 15 avril, Slimane Chuiguir, dont l'organisation est basée à Genève en Suisse, a fait état, par ailleurs, de l'arrestation par les opposants aux régimes d'El Gueddafi de nombreuses personnes qu'il présente comme des «mercenaires d'origine algérienne». Des mercenaires, a-t-il souligné, qui seraient passés aux aveux et auraient confirmé leur envoi par l'Etat algérien. Le responsable de la LLDH – qui ne donne toutefois pas leur nombre et leurs noms – se propose, en outre, d'intercéder en leur faveur auprès du CNT pour les faire libérer, cela «même s'ils ne peuvent même pas être considérés comme des prisonniers de guerre». La même source évalue entre deux et trois mille le nombre global de «mercenaires algériens qui se sont mis au service de la cause d'El Gueddafi». Des membres de la LADDH ont, pour leur part, confirmé la réception de la lettre du secrétaire général de la Ligue libyenne des droits de l'homme. Toutefois, ils se sont montrés dans l'incapacité, pour le moment, d'émettre un quelconque jugement sur son contenu tant, ont-ils souligné, qu'ils n'auront pas pris attache avec la Croix-Rouge internationale, les concernés eux-mêmes et, surtout, tant qu'ils ne se seront pas rendus à Benghazi pour enquêter afin, le cas échéant, de tirer toute cette affaire au clair. Dans notre souci de trouver des réponses aux nombreuses questions suscitées par la lettre de la LLDH, nous avons également tenté, à de nombreuses reprises, de prendre attache (par mail et par téléphone) avec M. Chuiguir. Nos tentatives se sont malheureusement avérées vaines. De leur côté, les autorités algériennes démentent catégoriquement les «accusations infondées» portées contre elles par le Conseil national de transition libyen. Contactée par nos soins, une source du ministère algérien des Affaires étrangères qui a requis l'anonymat, outre de récuser avec véhémence une nouvelle fois les «thèses farfelues» défendues par les insurgés libyens, a mis au défi les membres du CNT d'apporter le moindre élément crédible qui prouve l'envoi par l'Etat algérien de mercenaires en Libye. Notre source – qui précise au passage avoir identifié les cercles qui colportent ces rumeurs et qui cherchent à nuire à l'image de l'Algérie – mentionne que les membres du CNT n'ont d'autre preuve à présenter que des articles de presse dont certains sont puisés dans des sites internet traditionnellement connus pour leur hostilité envers l'Algérie. Des sites dont certains sont même animés par des Algériens «qui ont souvent essayé de nous imposer leur modèle de société». En réaction aux accusations du CNT, le ministère des Affaires étrangères avait, rappelle-t-on, mis l'accent le 12 avril sur le fait que «cet acharnement irresponsable à vouloir impliquer à tout prix les autorités algériennes nous interpelle sur les desseins et les motivations de ceux qui sont derrière cette conspiration contre un pays dont le tort est de refuser de s'immiscer dans les affaires intérieures libyennes». Le ministère des Affaires étrangères avait estimé par la même occasion que le fait de «déplorer l'usage disproportionné de la force et de mettre en garde contre les dangers mortifères de l'infiltration de troupes terroristes sur le territoire libyen» constitue un élément supplémentaire alimentant cette conspiration.