Officiellement, la position de l'Algérie dans le conflit libyen s'en tient aux principes défendus par l'Union africaine d'une solution politique. Autrement dit, une position de neutralité fondée sur les principes de non-ingérence dans les affaires intérieures des Etats. Cette position aurait pu susciter une large adhésion populaire et rencontrer une légitime compréhension à l'étranger si la violence d'Etat en Libye, qui a transformé le pays en cimetière et en champ de ruines, n'avait pas atteint les proportions génocidaires à la vue de ces images de cadavres par milliers qui nous viennent des villes martyrs de Libye. Face à cette tragédie, les instances régionales et internationales – la Ligue arabe, le Conseil de sécurité de l'ONU – ont pris des initiatives appelant à l'instauration d'une zone d'exclusion aérienne pour réduire les capacités offensives des forces libyennes ; une décision qui est effective sur le terrain depuis plusieurs semaines avec les frappes aériennes de l'OTAN sur des objectifs militaires des forces d'El Gueddafi. L'Algérie, qui voit dans cette décision une intervention militaire étrangère qui ne dit pas son nom, s'est rangée sans enthousiasme du côté de la légalité internationale en affichant son respect de la résolution onusienne sur la Libye. Ménager d'un côté le régime libyen en invoquant le respect de la souveraineté de la Libye ou pour d'autres considérations géostratégiques, voire de sécurité intérieure de l'Algérie, tout en prenant soin, par ailleurs, de ne pas se mettre en porte-à-faux avec le consensus politique international sur la Libye, cette situation inconfortable de l'Algérie qui consiste à jouer l'équilibrisme se traduit au niveau diplomatique par une espèce de cacophonie qui rend inintelligible son action diplomatique en direction de cette crise. De nombreux observateurs ont interprété cette tiédeur de la position algérienne par rapport à la politique volontairement belliqueuse choisie par El Gueddafi pour contenir la rébellion comme un alignement et un soutien au régime libyen par le pouvoir algérien. Le fait que l'option militaire du tout-répressif choisie par le «guide» libyen n'ait suscité aucune dénonciation officielle de l'Algérie constitue, pour ces observateurs, une preuve concrète de cette connivence tacite que l'on se refuse d'assumer publiquement du côté des autorités algériennes. Cette attitude que le simple bon sens et la morale réprouvent, qui consiste à trouver encore fréquentable un dictateur dont les actes de purification perpétrés contre son peuple relèvent des crimes contre l'humanité et des juridictions internationales, fait désordre au niveau interne. Dans le pays, la position officielle est loin de faire consensus. La bourde diplomatique A l'extérieur, elle n'est pas, non plus, bien perçue en dehors des cercles restreints des pays latino-américains et africains que le régime d'El Gueddafi a bien arrosés financièrement et qui se trouvent aujourd'hui débiteurs face à leur généreux créancier libyen. La position de neutralité proclamée par l'Algérie est devenue d'autant plus sujette à caution avec cette bourde diplomatique du ministre des Affaires étrangères, Mourad Medelci, qui a exclu, dans un entretien au quotidien arabophone Echourouk, l'arrivée des rebelles au pouvoir pariant, par conséquent, sur le maintien du régime d'El Gueddafi. Ceci alors que l'étau ne fait que se resserrer autour du régime libyen aux plans politique et militaire. Et que sa chute est présentée comme inéluctable. L'Algérie a-t-elle choisi le mauvais camp dans la crise libyenne en se mettant à dos le Conseil de transition libyen par des déclarations intempestives, des positions timorées et en soutenant El Gueddafi ne serait-ce qu'en ne dénonçant pas les exactions et les crimes commis contre son peuple ? Nombreux, dans la classe politique et dans la société civile, le pensent. Les éclairages fournis par le ministre des Affaires étrangères sur les raisons stratégiques qui ont motivé la position adoptée par l'Algérie dans ce conflit n'ont pas convaincu tout le monde. Certains pensent que les autorités algériennes ont péché par manque de pragmatisme et par absence d'une vision politique clairvoyante dans la manière d'appréhender ce conflit. S'agit-il d'une mauvaise appréciation du rapport de force et de l'équation politique libyenne ? Ou bien faut-il voir dans la position algérienne, que d'aucuns trouvent non conforme aux idéaux que l'Algérie prétend défendre, un choix politique délibéré ? Entre la diplomatie de l'Etat qui doit être l'émanation de la volonté populaire et la diplomatie parallèle qui obéit à des calculs étroits de régime ou de groupes, il n'y a qu'un pas que beaucoup accusent le pouvoir d'avoir franchi. Le régime libyen serait-il un rempart, un garrot destiné à arrêter l'hémorragie de la révolte arabe à notre frontière et à sauver le régime algérien de la bourrasque qui souffle à sa porte ?