L'Histoire s'est invitée, cette semaine, avec fracas dans le semblant de débat politique en Algérie. Des acteurs de la guerre de Libération nationale animent (entretiennent) une polémique sur leurs propres itinéraires dans l'engagement militant contre le colonialisme français. Yacef Saâdi et Louisette Ighilahriz s'accusent mutuellement. Des deux côtés, on parle de «zones d'ombre». «Sois un homme, Yacef ! Ne te cache pas, sors et viens en face de moi», a lancé Louisette Ighilahriz. Le nom de Zohra Drif-Bitat est cité pour la première fois. Elle aurait, selon Louisette Ighilahriz, livré, sous la torture, des noms et des lieux sur les combattants du FLN. Fettouma Ouzegane n'a pas manqué «d'enfoncer» Yacef Saâdi en l'accusant de n'avoir été «qu'un portier» durant la Bataille d'Alger. Alger où, d'après Louisette Ighilahriz, le général Schmidt, celui qui a travaillé sous les ordres du général Massu dans les années 1950, a encore… ses hommes. Des petits exemples qui prouvent que rien, ou presque rien, n'a encore été écrit sur «la Révolution» d'avant et d'après 1954. L'Histoire en Algérie, après bientôt cinquante ans d'indépendance, est toujours officielle, à sens unique. Une histoire qui a fabriqué des costumes de héros à des hommes qui n'étaient qu'en marge du combat libérateur, et qui a voulu effacer les noms de véritables militants de la mémoire collective. L'Organisation nationale des moudjahidine (ONM) n'a fait aucun effort réel pour écrire l'histoire et dire la vérité aux jeunes sur la contribution des uns et des autres à la guerre de libération. L'ONM, qui a perdu son poids moral, est complètement effacée. Elle continue de servir d'appui relais au pouvoir sans vouloir se «libérer» et se mettre au service de la société. Les massacres du 8 Mai 1945 sont toujours évoqués de la même manière, folklorique et superficielle, sans débat sur la responsabilité et la culpabilité de ceux qui avaient ordonné de tuer en masse des Algériens sortis manifester pour l'indépendance du pays. Mohamed Cherif Abbès, ministre des Moudjahidine, a déclaré hier que les massacres du 8 Mai 1945 étaient «des crimes contre l'humanité au sens juridique du terme». Une suite à ce constat ? Rien ! Idem pour le dossier des essais nucléaires français dans le Sahara algérien après 1962. Va-t-on un jour aborder la responsabilité du colonel Houari Boumediène dans la poursuite de ces tests atomiques en tant que chef de l'Etat ? Louisette Ighilahriz a mené seule son combat judiciaire contre ses tortionnaires devant les tribunaux français. Elle a eu l'appui d'esprits libres en Algérie et en France. Aucun soutien de l'Etat algérien. Un Etat qui, de temps à autre, évoque «la nécessité» faite à la France de présenter ses excuses sur les crimes coloniaux. Désormais, il n'y a aucun crédit à accorder à ce genre de demandes dont l'objectif est de soulever des poussières pour brouiller les pistes. L'historien Mohamed El Korso a entièrement raison de dire que l'Algérie officielle «tourne le dos à son Histoire». Toute la question est de savoir pourquoi. Lorsqu'il sera mis fin à l'utilisation politicienne et l'exploitation idéologique de ce qui est appelé «la légitimité historique», les Algériens commenceront à avoir des réponses précises.