Alger, simples confidences. C'est l'histoire de deux jeunes femmes qui vont à la découverte d'Alger. L'une munie d'un enregistreur et d'un carnet de notes, la seconde est armée de papier, de crayons noirs et de tubes de gouache et d'aquarelle. C'est une folle aventure qui a donc donné naissance à une exposition et à un superbe livre, certainement le premier du genre. Alger sous une autre facette, avec un regard différent, plus innocent, mais aussi plus authentique. Mais, commençons par le commencement. Une exposition se tient depuis aujourd'hui, à la galerie Arts en Liberté. En apparence, des aquarelles, des gouaches, une exposition, quoi. Madame Adjali, directrice de la galerie, nous briefe : « Elles sont arrivées à Alger avec un projet particulier. Elles avaient fait la tournée de la capitale, rencontré des gens... » Et elle poursuit : « J'ai beaucoup apprécié leur travail fait sans aucune touche d'orientalisme ou d'exotisme. Elles ont essayé de faire parler les Algérois d'eux-mêmes, dans leur quotidien constitué d'humour, de pénurie d'eau, de marchés. » « C'est l'une des rares fois où on voit les Algérois se raconter, se livrer, sans analyse. » Voilà, il s'agit d'une exposition qui accompagne le livre, Alger, simples confidences, lequel contient les œuvres exposées et des témoignages de gens anonymes. Alger sous tous ses angles : vue sur le port, ruelles de La Casbah, intérieurs de maisons, salles de bains avec bassines d'eau, pêcheurs, tabla doukhane (une table où on vend des cigarettes)... toutes ces images qu'on croise dans notre quotidien et qui, pour nos yeux indifférents d'habitants de la capitale, représentent notre folklore, nos habitudes, nos journées banales. Il s'avère que ce quotidien n'a rien d'ordinaire vu de l'extérieur. Et c'est, dans un sens, l'objectif de ce carnet de voyage hors du commun, hors du temps et des regards négativistes. Zahia Hafs, celle qui était chargée de faire le texte, est Française d'origine algérienne. Elle se prête volontiers à nos interrogations. « Elsie est dessinatrice professionnelle, elle est l'une de mes associées dans la maison d'éditions que j'ai créée il y a deux ans, Jalan Publications, qui est spécialisée dans les carnets de voyages fondés sur le dessin et le texte », nous raconte-t-elle. Une découverte en trois temps Zahia Hafs est donc née en France et n'a que très peu connu l'Algérie. Une fois, à l'âge de 12 ans, pour un mois, puis une autre, il y a quelques années, pour trois jours à Ghardaïa, et une nuit à Alger. Et alors qu'elle n'avait jamais eu le moindre lien affectif ou culturel avec Alger, son dernier séjour l'avait frustrée. C'est de là qu'est née l'envie d'éditer un livre sur cette ville inconnue pour elle, accompagnée d'Elsie pour l'illustration. Et l'aventure démarre, car il s'agit réellement d'une aventure pour ces deux femmes qui voulaient tout voir, tout découvrir d'Alger dont l'image à l'extérieur était plutôt ternie par les massacres, les bombes et les agressions. Leur découverte de la ville s'est faite en trois temps : novembre 2004 (dernière semaine du mois de Ramadhan), mars 2005, puis juillet 2005. Trois saisons différentes, pour faire parler des personnes de toutes les tranches d'âge, de différents quartiers et horizons. « On a rencontré plein de monde, on a voulu montrer ce que voulait dire vivre à Alger aujourd'hui, tout en restant authentique et sincère », nous précise Zahia Hafs. Ce qui les a étonnées ? l'ouverture et la disponibilité des gens, ravis de les mener vers d'autres interlocuteurs. Ce qu'elles ont trouvé ? « Une ville belle, fière et orgueilleuse. Alger est une femme avec toute sa beauté, son impuissance, ses rondeurs, ses silences... », nous confie-t-elle. Quant aux impressions après coup : « On a été prises dans un filet, on s'est mutuellement apprivoisées et on a beaucoup ri. » Mais l'objectif derrière n'est pas si innocent. « Donner une autre image de l'Algérie en France. Son image est restée figée depuis les années de terrorisme. Notre démarche est sincère, nous voulions livrer la ville avec ses contradictions, mais j'espère que ce livre va contribuer à changer cette image et je compte le promouvoir dans ce sens, surtout vu le contexte actuel », conclut l'éditrice. Puis, c'est au tour de la dessinatrice de s'exprimer. Elsie Herberstein, Française d'origine autrichienne. « J'ai accepté de faire ce travail parce que j'ai connu beaucoup d'Algériens, des étudiants de l'Ecole des beaux-arts », nous explique-t-elle. Des appréhensions ? « Evidemment. J'ai entendu des récits terribles sur l'Algérie et j'étais restée sur cette image véhiculée en France. Et une fois ici, ça été formidable. Nous n'avons eu aucun problème, au contraire. Les gens étaient surpris mais curieux, de cette curiosité bienveillante », nous confie la dessinatrice. Ce qui l'a surpris le plus ? « Ce sont la disponibilité des gens et leur sensibilité. » « Alger et les Algérois m'ont beaucoup plu et inspirée. J'avais envie de tout dessiner. » Et avec le recul ? « Les premières fois sont toujours inoubliables. Ce voyage est imprimé en moi. J'aime Alger, j'aime son désordre, sa géographie, ses couleurs, ses points de vue sur le port, ses bruits, ses odeurs... » Totalement sous le charme de la capitale, l'artiste espère que ce livre donnera envie aux gens de venir en Algérie, du moins, « certains sont déjà sur le point de venir ! » Que c'est beau d'entendre des étrangers parler de sa ville dont on croit tout savoir et dont on n'espère plus grand-chose. On devrait tous se prendre par la main et parcourir sa ville, quelle qu'elle soit. La redécouvrir, réapprendre à l'aimer, s'aimer les uns les autres...