Achaab yourid el houriya li Rachid (le peuple veut la liberté pour Rachid)». C'est en scandant ce slogan que des dizaines de Marocains se sont rassemblés, mardi en fin d'après-midi, devant le tribunal de première instance de Aïn Sbaa, à Casablanca, où se déroulait un procès pas comme les autres. Casablanca (Maroc). De notre envoyée spéciale Banderoles, portraits et voix qui portent, ces citoyens, conscients de la gravité de l'acte d'emprisonnement d'un journaliste pour ses écrits, sont venus manifester leur soutien et leur solidarité au journaliste et directeur de publication du groupe El Massae Media, incarcéré depuis le 28 avril dernier. «3ayech ou khayef, ana ma khayef, Nini ma khayef», «Si vous voulez qu'on vive dans la peur, alors nous vous disons nous n'avons pas peur et Nini n'a pas peur, c'est vous qui avez peur», lançaient les manifestants en citant les noms des personnes d'influence au Maroc (El Himma, Hamouchi, Berghiti) mentionnés dans les articles de Nini, ce qui lui a valu d'être poursuivi pour atteinte à la sûreté de l'Etat. Une grande banderole accrochée par les manifestants sur les remparts du palais de justice porte cette phrase dite par Nini depuis sa cellule : «Je suis fier de payer ainsi mon tribut au changement au Maroc ; et cela n'est que l'entame d'un long chemin.» «D'habitude il n'y a pas toutes ces barrières de police autour du tribunal, mais voyez, aujourd'hui, on juge un journaliste pour ses écrits, quel crime !» nous dit Youcef Jajili, rédacteur en chef de l'hebdomadaire Awel édité par le groupe El Massae. Nous arrivons à nous introduire à l'intérieur du tribunal, laissant sous le soleil ces dizaines de manifestants criant leur soif de justice. Contrairement à nos attentes, c'est une petite salle d'audience qui a été réservée à ce procès dont l'écho a pourtant dépassé les frontières marocaines. Pas moins de 500 avocats se sont portés volontaires pour défendre Rachid Nini. Seuls une dizaine d'entre eux ont pu accéder à la salle d'audience. Vu l'exiguïté du lieu et la chaleur suffocante qui y règne, la défense demande le report du procès et sa programmation dans une salle qui sied à un procès équitable. «Nous refusons de plaider dans ces conditions. Nous exigeons respect et équité», lance d'un ton grave le président du comité de défense, en réclamant le départ des agents de police qui n'ont, dit-il, «rien à faire» dans la salle. «Ce n'est pas un criminel que vous allez juger monsieur le juge, qu'ils quittent cette salle», lance encore l'avocat, relayé par ses confrères qui, tour à tour, protestent contre les conditions dans lesquelles se déroule le procès. Autre fait contesté par la défense : l'absence de l'accusé. Une absence justifiée par le procureur comme une volonté de «protéger son intégrité physique». Sur cette justification, la défense s'emporte et exige la présence de Nini : «C'est nous qui avons peur pour son intégrité physique maintenant. Nous voulons le voir et il ne peut en aucune manière être jugé en son absence.» Durant plus d'une heure, la défense ne cesse de réclamer un procès équitable et que Nini ne soit pas traité comme un vulgaire criminel en étant présenté dans le box des accusés. «C'est un journaliste qui doit être jugé par le code de la presse et non par le code pénal comme un criminel», disent les avocats, qui qualifient ces conditions de «simulacre de procès». Après délibération, le juge décide du report du procès au 17 du mois en cours et d'une autre audience, le 12 mai, pour statuer de la permission à accorder ou non au prévenu de ne pas comparaître dans le box des accusés. Vu l'insistance des avocats pour voir Nini, la police a fini par faire entrer l'accusé pendant quelques minutes. Sa sœur Nora – seule autorisée, avec son frère, à rendre visite une fois par semaine à Rachid – note qu'il a maigri mais que son moral n'est pas atteint : il reste aussi déterminé qu'avant. De l'avis des amis et confrères de Nini, ce procès est une pure «mascarade». Dehors, les manifestants continuent de crier leur colère de constater «une volonté de musellement de la presse libre». «Où va-t-on comme cela ? Que valent des réformes si on emprisonne des journalistes ?» nous dit un citoyen. Un autre manifestant se rue sur Jajili en lui disant naïvement, ignorant peut-être que Nini est en prison pour qu'il arrête d'écrire : «Donnez-lui du papier et un stylo, il faut qu'il continue à écrire même à partir de sa cellule.» Pour rappel, la demande de mise en liberté provisoire de Rachid Nini a été refusée à deux reprises et les charges retenues contre lui sont nombreuses, notamment «atteinte à la sûreté de l'Etat», et ce, alors qu'aucune plainte n'a été déposée contre lui.