«Je suis choqué de la manière avec laquelle ils arrivent à détourner nos camarades», confie, inquiet, Adel, de l'université de Blida. Selon de nombreux témoignages, Adel n'est pas le seul a avoir constaté que les halaqate deviennent de plus en plus intrusives. «Avant, “ils“ n'étaient pas aussi actifs, plutôt discrets et confinés dans leurs chambres. En ce moment, c'est presque l'assaut !» s'exclame à son tour Mustapha, résident de la cité universitaire RUB 1 de Bab Ezzouar. Les halaqate en vogue dans les campus universitaires n'étonnent pas Farid, étudiant à l'université des sciences islamiques de Kharouba. «Vous ne pouvez pas rester insensibles par rapport à ce qui se passe dans les cités et les facultés. Nos camarades sont devenus comme les Occidentaux : musique à fond, look dévergondé et on constate une dégradation des mœurs. C'est la faillite, donc il faut bien remédier à cela !» tonne-t-il. Farid s'érige en parfait «protecteur» des bonnes mœurs et a lancé depuis peu une série de halaqate dans sa cité. «Ma chambre n'arrive plus à contenir autant de monde ! Je suis obligé d'orienter les étudiants vers un autre akh, frère, qui va s'en occuper», s'exalte-t-il fièrement. Un rendez-vous que Hafid ne rate jamais. «J'apprends beaucoup de choses de mes frères sur ma religion que nous n'avons, hélas, jamais apprises à l'école», estime-t-il sans toutefois nous préciser la nature des enseignements dispensés. Selon un autre étudiant de la même cité, «ils n'hésitent pas à coller des affiches, à distribuer des tracts et tentent par tous les moyens d'établir leur ordre dans la cité. Des rixes éclatent parfois quand ces «fréros» interviennent pour demander de baisser le son de la télé ou de la radio !» Pour Sofiane, ce mouvement est «suspect». Il nous invite à observer le comportement de certains. Alors que nous nous trouvons à la sortie de la cité universitaire de Bab Ezzouar, une berline grise s'approche de l'étudiant en question. De loin, nous assistons à la scène : l'étudiant reçoit de la main d'un individu, la quarantaine, barbe fournie, vêtu d'un kamis noir, une enveloppe et un carton. «De l'argent et des livres salafistes», affirme notre accompagnateur. «Cet argent servira comme aide aux étudiants les plus démunis, c'est comme ça qu'ils les attirent», atteste-t-il. Nous nous approchons de la personne pour en savoir plus. «Que voulez-vous savoir ? Vous êtes de la police ? C'est mon cousin et il m'a apporté des denrées, j'en ai bien le droit !», nous lance-t-il, agressif, avant de se précipiter dans la résidence universitaire. Le directeur d'une cité U, qui a requis l'anonymat, «vu la sensibilité du sujet», accepte d'évoquer le sujet. «Je suis au courant de tels agissements, mais je n'y peux rien, les interpeller serait considéré comme une atteinte à leur droit de pratiquer la religion. Les laisser faire pourrait éventuellement provoquer des tensions et enfin alerter les services de sécurité serait assimilé à de la délation. Je préfère donc observer et surveiller en catimini ces comportements et n'intervenir qu'en cas de dérive.»