Après avoir été tout le long de son passage à la TV un laïque et un nationaliste arabe, à la mode syrano-irakienne, voilà que Benaïcha pieusement déguisé, se cherche une rédemption sur le dos d'une héroïne qui, malgré, les mythes l'entourant pour mieux l'enterrer, fît et fut l'histoire, histoire de Tamazgha, du pays des Algériennes et des Algériens. Quinze siècles après les chevauchées fantastiques de cette femme hors du commun, chef d'Etat et stratège militaire dans une société de mâles, Benaïcha au crépuscule de sa vie tremble de tous ses membres à l'idée que «la devineresse» aurait pu lui faire rater l'entrée en Islam. Nonobstant son parcours connu de tous où l'Islam alimentaire tenait une part importante, il ne se veut pas dans l'histoire, mais dans le délire interprétatif d'une option virtuelle. Théorique, celle-ci est autrement plus condamnable que sa trajectoire réelle en matière de conviction religieuse. Kahina triomphante, on aurait, comme les chrétiens, commis le péché originel qui nous aurait éloigné définitivement du paradis. Diantre ! Le drame dans ce pays, où Benaïcha n'est qu'un épigone d'élites dévoyées, c'est que l'on peut tenir des propos racistes avec une sérénité sidérante, apanage et privilège de gens convaincus, du haut de leur morgue, suffisance et arrogance mortifères, de personnifier les «civilisateurs». On se croirait presque en Amérique latine du début du siècle dernier avec des peuples entiers assimilés, réduits aux marges de l'histoire et soumis à «la vraie religion» et aux oligarchies. Les théoriciens qui se sont penchés sur ce phénomène l'appelaient le colonialisme intérieur. Si Benaïcha avait lu Portrait du colonisé, d'Albert Memmi, il comprendrait vite la profondeur abyssale de son aliénation psychique et intellectuelle. Il n'a même pas assimilé Ibn Khaldun. Pour Benaïcha, il est normal et même naturel d'être arabiste en Algérie – comment peut-on se poser la question ? – et douter, en filigrane si ce n'est grossièrement, de l'algérianité du berbériste, réduite à la représentation de l'ennemi intérieur. Ce faisant, il reprend la même attaque contre Mammeri que celle de Ben Bella à l'encontre d'Aït Ahmed. En 1962 déjà, ramené dans les soutes de l'armée des frontières, Ben Bella s'installait à Tlemcen. Il s'était fendu d'un communiqué qualifiant Krim, accompagné en la circonstance de Boudiaf, de régionaliste parce que celui-ci venait d'entrer à Tizi Ouzou. Tlemcen, c'est l'Algérie ; Tizi Ouzou ne peut l'être. Tel Bourourou, le croquemitaine amazigh est convoqué, pour s'expier de ses péchés qu'on attribue volontiers à l'autre. Tlemcen et Tizi Ouzou sont deux villes algériennes, et Tlemcen, plus avant que Tizi Ouzou, incarnait l'histoire amazigh en étant la capitale de deux dynasties berbères au Moyen-Âge : Zianide et Abdelwadid. Qui ne connaît pas Yaghmourassen ? Peut-être Ben Bella et… Benaïcha En réalité, le mal est plus profond. Ce sont des générations entières qui sont coupées de leurs racines et de leur histoire. Comme dans tous les pays islamisés, la narration de la geste islamique et l'empathie qui s'ensuit l'emportent sur l'histoire nationale, relève avec pertinence le regretté Mohamed Charfi, ancien ministre de l'Education nationale de Tunisie. Celle-ci, malheureusement et par des raccourcis inexplicables, se confond avec l'histoire arabe. Du reste, le panarabisme et le panislamisme tels qu'exprimés par Ben Bella et Benaïcha et tant d'autres, se superposent, même si l'un se proclame de la laïcité et, l'autre, de la religion. Un autre Tunisien, Abelwahab Meddeb, dans son essai Pari de civilisation * saisit avec lucidité les liens entre les deux idéologies. Il soutient que «comme l'histoire l'a montré, le panarabisme et le panislamisme sont substituables l'un à l'autre. Les caractéristiques qui les rassemblent sont beaucoup plus prégnantes que les distinctions qui les séparent. La laïcité du panarabisme n'est pensée ni philosophiquement ni juridiquement… Là où panislamisme et panarabisme se rencontrent, c'est dans l'exaltation d'une identité alternative anti-occidentale, antidémocratique, nourrie par une protestation qu'anime une idéologie de combat totalitaire». Quant à Mammeri, qui a sillonné sa Kabylie natale, le Gourara, le désert saharien en long et en large, quoi de plus national que cette noria incessante sur notre vaste territoire pour saisir l'âme algérienne, qui est Une avec ses caractéristiques remontant des profondeurs de l'histoire millénaire de l'Afrique du Nord : l'esprit de résistance et de révolte, l'égalitarisme et la liberté ! Avec sa modestie et sa discrétion légendaires, Mammeri n'avait pas besoin de dire qu'il était l'un des auteurs des discours de la délégation algérienne à l'ONU durant la guerre de Libération nationale. Il n'éructait pas son algérianité ; elle était en lui, chevillée en son être. Fermez le rideau ! Tarik Mira. Député de Béjaïa *page 65, édition du Seuil, Août 2009