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«Si ces questions avaient été traitées, on n'aurait pas eu l'islamisme»
Juifs d'Algérie, harkis et pieds-noirs
Publié dans El Watan le 26 - 05 - 2011

- M. Harbi, il y a trois tabous qui sont peu abordés en évoquant les conséquences de la guerre de Libération nationale. Le premier est la question juive, le second tabou a trait à la question des harkis, et le troisième, à la place des pieds-noirs qui sont partis massivement après 1962. Vous avancez le chiffre de 10 000 juifs qui se sont retrouvés apatrides au lendemain de l'indépendance, en raison du fait, dites-vous, qu'ils n'étaient pas touchés par le décret Crémieux et aussi parce qu'ils n'ont pas eu droit à la nationalité algérienne après l'indépendance…
Absolument !
- Comment imaginez-vous le traitement de ces trois questions ?
Je pense que si ces questions avaient été traitées dès le début, on n'aurait pas eu l'islamisme.
- constate par exemple un antisémitisme primaire au sein de notre société. Le «houdi» est source de tous les maux…
C'est un phénomène nouveau dans la société algérienne. L'anti-judaïsme a toujours existé dans notre société, tout comme l'anti-islamisme a existé chez les juifs. C'est tout à fait normal, ce sont deux religions en compétition. Mais sous cette forme qui consiste à recueillir les oripeaux des poubelles de l'antisémitisme européen, c'est nouveau. On le lie généralement à la question palestinienne. C'est vrai que ça joue, mais indépendamment de cela, il y a autre chose. On a pu voir après l'indépendance que les juifs qui avaient une responsabilité importante, quand ils sont arrivés à un certain niveau, on les a envoyés paître.
- Et qu'en est-il des harkis ?
Les harkis, moi j'ai participé à pas mal d'ouvrages sur cette question. Il faut profiter de ce 50e anniversaire de l'indépendance pour l'inclure dans les phénomènes de déchirement du peuple algérien. Il ne fait pas de doute que le phénomène harki est lié à trois faits sociologiques : 1- La crise de la paysannerie. 2- Le rapport autoritaire du FLN envers des communautés rurales qui avaient des systèmes de fonctionnement et des modes de préservation de l'honneur qui ont été bafoués. 3- Le déclassement social.
- A combien évaluez-vous les supplétifs de l'armée française ?
Entre mokhaznis, harkis et goumiers, ils étaient plus d'une centaine de mille. D'ailleurs, quand on dit on en a tué 150 000, ce n'est même pas leur nombre.
Ce sont des chiffres inventés. Par exemple, dans la région entre El Harrouch et Oued Zenati, il y avait plein de tribus dont les hommes à 60% ont revêtu l'habit de goumier. C'est dû à la crise, mais aussi à la pression militaire française qui était terrible. Il faut souligner que les gens étaient aussi dans des rôles doubles. Ils n'étaient jamais pour la France ni pour l'Algérie. Leur obsession, c'était comment survivre. Il faut tenir compte de ce facteur-là. Les gens devaient survivre, sinon, ils étaient menacés de disparition. C'est pour dire que les guerres sont toujours sales, et le tout, c'est de ne pas s'y engager.
- Et concernant le départ massif des pieds-noirs, que certains comme le cinéaste Jean-Pierre Lledo décrivent comme une fracture profonde, comment le jugez-vous ?
C'est une fracture énorme, en effet, d'autant plus que l'Algérie, dans son fonctionnement quotidien, était faite pour eux. Le problème est que la question nationale doit être approchée en fonction de la prépondérance d'une majorité rurale qui n'était pas en contact avec les Français. Pour eux, ce n'était pas seulement des étrangers, c'était des ennemis. Ce n'était pas exactement le cas dans les villes où on les vivait, certes, comme des adversaires à combattre, mais on faisait la différence entre les divers groupes de Français. Il y avait des rapports humains. Mais à partir du moment où la ruralité s'est mise en marche, ça devenait un vrai problème, parce que la ruralité engageait le combat en termes de substitution pure et simple aux Français.


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