Les opérateurs économiques et les simples citoyens s'accordent en chœur à dire que les administrations publiques qui ont pour charge d'écouter, de communiquer et de régler les problèmes de leurs administrés sont loin d'effectuer leur tâche convenablement. Ils ont l'impression que nous avons un tissu d'institutions, payé par des ressources publiques, et qui est en train de compliquer les relations avec les citoyens, se simplifier la vie pour lui-même et la compliquer pour les administrés. Les citoyens incrédules assistent impuissants à des modes de fonctionnement qui les marginalisent et les traitent en mineurs, toujours suspects : donc il faut démultiplier les boucles de contrôle, alourdir les procédures et compliquer toute opération. L'absence de culture d'audits serait l'une des causes qui explique pourquoi, malgré la prise de conscience de la sur-bureaucratisation du pays, nous n'arrivons pas à sortir de l'engrenage. Beaucoup pensent que les audits sont le monopole exclusif des entreprises économiques. Cette assertion est infondée. Toute institution qui consomme des ressources et a une mission est sujette à des audits. Par ailleurs, très peu de nos entreprises publiques et privées ont de saines pratiques d'audits. Mais nous allons centrer notre analyse succincte sur des institutions à but non lucratif. L'apport potentiel des Audits Que peut apporter l'audit à l'amélioration de nos institutions? Nous parlons ici des administrations, des hôpitaux, des écoles, des universités et de toutes les entités qui n'ont guère pour but de dégager un profit en fin d'année. Comment rehausser leur mode de fonctionnement ? Il ne s'agit pas de présenter l'audit comme l'unique outil de modernisation des pratiques et de rectification des erreurs. Il ne constitue qu'un des instruments dont nous disposons en management administratif pour booster le niveau de performance de nos institutions. Il ne constitue pas une panacée. Mais c'est un levier puissant d'action et de correction. Il ne faudrait pas s'en priver. Combien d'audits ont été effectués au sein de chaque université, hôpital, lycée, daïra, etc. ? En premier lieu, chaque institution a une mission. Pour l'université, elle consiste à former des cadres pour l'économie nationale, qui sont des citoyens informés, respectueux des lois et dont les qualifications permettent au pays d'être compétitif au niveau mondial. Pour l'hôpital, elle consiste à assurer les rôles de prévention et de soins avec un rapport qualité/coût acceptable. Elle consomme des inputs (matériels, humains et financiers) et les transforme en services aux citoyens. En audit, on mesure les deux paramètres : les ressources utilisées ainsi que les résultats quantitatifs et qualitatifs. Bien évidemment, l'audit dépasse son rôle traditionnel de simple vérification de la conformité avec les procédures, les décisions internes ainsi que les lois. La confusion la plus dangereuse consiste à considérer l'audit comme un simple contrôle policier. On focalise alors sur la détection des malversations et des écarts par rapport aux lois, normes et procédures. Il ne s'agit pas d'évincer ces activités qui sont incontournables. Mais il faut tout simplement les compléter pour que l'audit joue convenablement le rôle qui lui est dévolu, à savoir l'utilisation efficace des ressources pour accomplir sa mission. Nous avons rarement vu des audits d'universités, d'hôpitaux ou d'administration publiés et qui situent dans notre pays, ce qui a été accompli, à quel coût et les recommandations potentielles pour s'améliorer. Par ailleurs, les gestionnaires des institutions publiques craignent les audits, souvent à juste titre. Lorsqu'on les effectue c'est souvent pour focaliser sur les malversations, alors qu'on aurait pu les concevoir comme une aide, un appui et une formulation d'idées neuves capables de faciliter la tâche des responsables. Pour cela, une institution efficace effectue elle-même ses propres audits avant qu'on ne le fasse pour elle. Elle a un intérêt à analyser ses processus pour les améliorer. Beaucoup de nos managers considère un audit de la part des responsables du secteur comme un manque de confiance, une intrusion dans leurs prérogatives et un essai de la part d'un certain clan de les déstabiliser. Certains responsables se contentent d'effectuer l'opération uniquement lorsque des problèmes graves se posent. Pour l'un comme pour l'autre, la culture des audits reste très embryonnaire. Elle est sentie comme une gêne pour tous et on a du mal à en faire usage. A tous les niveaux, on se prive d'un formidable outil d'amélioration. Ce que l'Audit peut nous apporter Enraciner dans nos pratiques la culture des audits n'est pas chose aisée. Seules quelques grandes entreprises le pratiquent, dans notre contexte, mais souvent sans aller au fond des choses. Les auditeurs internes n'ont pas l'indépendance et les prérogatives essentielles pour effectuer convenablement leurs missions. Nous avons des institutions qui pourraient jouer le rôle de locomotive dans ce domaine : cour des comptes, IGF, etc., à conditions de leur donner les moyens et l'autorité qu'il faut. Nous avons besoin d'aller dans cette direction et travailler surtout lorsque la situation est normale pour l'améliorer. Le rôle de détection de la malversation est aussi important que celui de l'amélioration du management. Le premier volet est mieux pris en charge que le second. Tout comme la justice, l'audit a besoin d'indépendance pour effectuer correctement son travail. Bien utilisé, l'audit peut être un formidable outil de rationalisation. Il débouche sur la mise en place d'outil de mesures et d'optimisation. Une comptabilité analytique hospitalière serait indispensable pour mesurer l'efficacité managériale des responsables. Des outils de mesure des niveaux de formation des diplômés (genre Princeton Testing Center) est indispensable pour évaluer la performance des managers des universités. Les audits peuvent détecter l'absence de ces outils. Nous parlons d'un système d'audit élargi qui inclut les activités de contrôle de gestion. Mais il y a des conditions importantes pour que l'audit joue convenablement son rôle. Dans un nombre important de secteurs, on considère que le management est une science ou une discipline qui n'est utile que pour les entreprises économiques, surtout les grandes. Il est beaucoup plus facile de gérer une entreprise économique que des institutions à but non lucratif. L'entreprise économique est dotée d'indicateurs sur lesquels les managers sont responsabilisés : parts de marché, résultats nets, chiffres d'affaires, etc. De nombreux écrits et séminaires lui sont consacrés. Des gens se forment pour prendre les différents postes de responsabilité au sein des directions, des départements et des sections. Les membres de l'entreprise sont sensibilisés aux différents principes qu'il convient d'appliquer dans l'entreprise : mesure de la contribution, concertations, etc. Mais on considère à tort que les institutions à but non lucratif nécessitent seulement beaucoup de bonne volonté et d'implication. La situation est rendue plus complexe par l'absence d'indicateurs. Une entreprise de production sous-gérée disparaît ou passe à l'assainissement financier. Elle est identifiée. Une institution à but non lucratif n'a pas un indicateur fort qui puisse montrer ses défaillances. Il faudrait alors la doter de paramètres qui illustrent son niveau d'efficacité. Elle a besoin de plus et non de moins de management. Il est plus complexe d'obtenir des résultats dans ce genre d'institutions que dans des entreprises économiques. Ceci explique pourquoi de nombreux pays sont en train de passer d'un système de gestion du budget public par le contrôle des dépenses à un système d'analyse des résultats. Le gouvernement français fait appel au fameux bureau d'études américain le BCG (Boston Consulting Group) pour réaliser ce passage. Nous n'en sommes pas encore là, mais l'idée simple est que nous avons beaucoup plus besoins d'outils et d'indicateurs pour gérer des institutions à but non lucratif que ce que l'on fait maintenant. Peut-on s'améliorer sans audits ? Il ne s'agit pas de dérouler un cours sur les audits, mais simplement de situer leur importance vitale dans notre contexte. Il y a urgence de moderniser notre manière de faire. L'audit améliore la communication interne, c'est un processus de concertation ou la mission de l'institution est placée au premier rang des priorités. Il améliore la transparence et tend à situer l'institution par rapport à des normes. Dans un hôpital, on mesure les performances de tous les départements : quel est le taux de guérison des victimes d'attaque cardiaque ? Quel le coût moyen ? Quel est le taux de satisfaction des malades ? Par ailleurs, une grille de comparaison entre institutions similaires est établie. On peut alors mesurer les améliorations. Quel hôpital s'améliore le plus et dans quels départements, etc. ? Il y aurait comme une compétition inter- institutions qui s'établirait pour le bien de tous. La probabilité de s'améliorer sans développer la culture des audits est si faible qu'il devient urgent d'entreprendre son introduction, son élargissement et sa modernisation.