Le ministre de l'Industrie et de la Promotion des investissements vient de séjourner à Londres où il a dirigé, avec Mervyn Davis, ministre d'Etat britannique au Commerce, les travaux du sous-comité bilatéral pour les affaires économiques. Il annonce la création d'un Business Council pour promouvoir les opportunités d'affaires britanniques en Algérie. Dans cette interview, M. Temmar reconnaît l'existence d'un mauvais climat des affaires qui contrarie la venue des investisseurs étrangers et complique la tâche des opérateurs privés nationaux. Il parle de bureaucratie et de corruption. Dans un autre registre, le ministre répond aux critiques du FCE. Il défend des mesures très contestées comme le Crédoc. En même temps, il reconnaît que la machine économique n'est pas performante. Liberté : Votre séjour à Londres s'explique en grande partie par la réunion du sous-comité mixte en charge des questions économiques, commerciales et financières. Comment cette instance peut-elle contribuer à attirer les hommes d'affaires britanniques en Algérie ? Abdelhamid Temmar : Nous avons tenu la réunion constitutive de ce sous-comité à Alger, il y a un an. Cette fois-ci, il était surtout question de voir quels sont les problèmes qui se posent à la coopération économique et ce qu'on peut faire ensemble pour la développer. La partie britannique pense que l'Algérie est un pays important pour elle, sur le plan économique. Pour nous, la Grande-Bretagne est aussi un pays important. C'est évident. Nous avons d'excellentes relations politiques qu'il faut compléter par le renforcement de la coopération économique. Cette coopération se situe à deux niveaux. D'Etat à Etat d'abord. Sur ce plan, nous avons examiné les possibilités pour les Britanniques de nous aider dans le domaine de la formation maritime et managériale. En dehors de ça, nous avons évoqué tout ce qu'on peut faire pour encourager les hommes d'affaires à travailler ensemble. Nous avons abouti à l'idée qu'il faut mettre en place un Business Council. Pour que ce conseil fonctionne, il faudrait que les hommes d'affaires se mobilisent. En ce qui concerne la partie britannique, je suis sûr que l'adhésion des entreprises sera importante. De notre côté, des entreprises aussi bien publiques que privées devront intégrer le conseil. Le problème évidemment est de savoir quels sont les secteurs dans lesquels ils peuvent travailler en commun. En principe, tous les secteurs sont possibles mais en tant qu'Etat, nous souhaiterions que les Britanniques s'impliquent dans des secteurs qui sont importants pour nous. À ce propos, ils ont indiqué qu'ils sont très bons dans des secteurs comme la construction, les infrastructures, l'intelligence, l'informatique, les industries de haute valeur ajoutée. Cela est parfait mais nous voudrions les voir aussi s'orienter vers d'autres domaines comme la pharmacie et l'électronique. La première mission du Conseil aura lieu à Alger l'automne prochain. Hormis le domaine des hydrocarbures, les investissements britanniques, actuellement, sont très marginaux dans les autres secteurs. Pourquoi ? Jusqu'à maintenant, l'intérêt des Britanniques et le nôtre étaient concentrés dans le secteur des hydrocarbures. Mais, aujourd'hui, la nouvelle politique du gouvernement consiste à développer la machine productive. À cet égard, les Britanniques sont prêts à venir investir dans les secteurs hors pétrole, surtout ceux où ils sont les meilleurs, comme la finance. Il y a notamment les services à l'entreprise comme la comptabilité, l'audit, l'évaluation, la Bourse où les Britanniques ont de grandes capacités. Il y a aussi les services financiers où ils sont également très bons. À l'image des Britanniques, les hommes d'affaires étrangers évoquent des difficultés, quelquefois des blocages qui les détournent du marché algérien. Une dernière mesure sur la limitation du capital étranger dans la création de joint-ventures a provoqué des réactions très négatives. Quel est votre commentaire ? Nous avons donné aux Britanniques des explications. J'espère qu'elles les satisferont. Ils ne sont peut-être pas heureux de ces mesures mais, ils auront reçu, en tout cas, une explication logique et rationnelle de la position du gouvernement algérien. Nous n'avons pas fait cela au hasard. Nous voulons utiliser les moyens de l'Algérie pour développer l'industrie algérienne. Pour le moment, les partenaires étrangers ne s'orientent pas vers les secteurs qui nous intéressent. Or, nous voulons qu'ils viennent dans ces domaines-là. Est-ce que vous pensez que votre explication a été comprise par les hommes d'affaires britanniques ? Je pense que les Britanniques ont bien compris. Il reste à savoir s'il sont d'accord. La première réunion du Business Council le démontrera. Mais de mon point de vue, l'enthousiasme qu'ils ont manifesté à l'égard de la mise en place du conseil des affaires laisse penser qu'ils veulent travailler avec nous dans le cadre de la nouvelle politique. Des opérateurs étrangers ont renoncé à leurs projets en Algérie, provoquant une diminution assez importante du montant des investissements directs étrangers. Ils expliquent leur départ par l'existence d'un mauvais climat des affaires. Le FMI dresse un constat similaire. Que fait l'Etat pour corriger cette situation ? Evidemment, des problèmes existent. En premier lieu la bureaucratie. Nous avons des problèmes avec notre bureaucratie. Ce n'est pas facile. Mais si vous allez en Chine, c'est dix fois plus difficile. Au Vietnam, les autorités ont simplifié les choses mais le problème persiste. Pour notre part, nous avons pris beaucoup de mesures pour simplifier la bureaucratie. En collaboration avec la Banque mondiale, nous avons constitué un groupe pour voir ce qu'on doit faire afin d'améliorer le climat des affaires. Le climat des affaires a trait à cette bureaucratie que subissent les investisseurs quand ils s'adressent aux administrations, aux services des douanes, aux impôts, à l'Andi, aux banques, à la Sonelgaz pour des raccordements… La venue des hommes d'affaires étrangers est tributaire de l'existence de règles de transparence. Ne pensez-vous pas que la corruption est un problème plus grave que la bureaucratie et fait fuir encore plus les investisseurs ? Nous sommes le seul pays au monde à reconnaître avoir des problèmes de corruption. Les Marocains ont d'énormes problèmes et ne les reconnaissent pas. Les Tunisiens, les Egyptiens et les Américains encore moins. Pour notre part, nous avons le courage de dire qu'il y a un problème de corruption qu'il faut résoudre. Dans ce sens, nous avons pris des mesures pour que les lois s'appliquent strictement mais elles ne semblent pas suffisantes. Maintenant, si vous faites allusion à Sonatrach, le problème de Sonatrach est très particulier. Les procédures de cette société ne sont pas comme les nôtres. Il s'agit d'un secteur pétrolier qui obéit à des normes internationales et les applique. Malheureusement, beaucoup de monde chez nous ne comprennent pas ces normes-là. Mais les affaires de corruption ne concernent pas seulement Sonatrach. Elles sont étendues à beaucoup d'autres secteurs. La corruption est inévitable. Mais, encore une fois, nous avons le mérite de reconnaître son existence et de la combattre à travers la justice. Cela est très positif même s'il faut encore nettoyer. Des opérateurs économiques privés, à travers le Forum des chefs d'entreprises (FCE), viennent de monter au créneau. Ils accusent le gouvernement de restreindre leur liberté d'action à travers des mesures restrictives, comme le Crédoc. Quelle est votre réaction ? C'est quoi ces histoires-là ? Si nous avons limité la part du capital étranger dans les sociétés mixtes à hauteur de 49% contre 51% pour les nationaux, c'est d'abord pour avantager les entreprises algériennes publiques et privées. Comment le FCE peut-il dire que nous restreignons le droit des privés à l'investissement. Au contraire, nous avons bloqué l'investissement étranger à 49% pour permettre aux Algériens d'investir. Dans le cadre des privatisations, nous accordons aux opérateurs algériens des facilités de payement lors d'achat d'entreprises alors que les étrangers n'ont pas ce genre d'avantages. En revanche, le FCE peut dire qu'il y a un problème avec le climat des affaires. Les hommes d'affaires algériens ont aussi des problèmes avec la douane, les administrations… Tout le système est gêné par ce climat des affaires. Qu'en est-il du Crédoc ? En ce qui concerne le Crédoc, il faut savoir qu'il s'agit d'une norme internationale qui est appliquée dans tous les pays du monde. Chez nous, le problème ne consiste pas dans le Crédoc mais dans sa mise en place. L'établissement qui en a la charge est la banque. Non seulement la procédure est lente, mais les banques ne font pas de crédit documentaire. Il s'agit plutôt d'une formalité documentaire. Depuis trois mois, les choses se sont améliorées. Les banques ont commencé à s'organiser. Le ministre des Finances a fait plusieurs réunions avec elles à la demande du Premier ministre et du Président de la République. En fait, beaucoup d'importateurs ont crié au scandale à l'instauration du Crédoc, parce qu'auparavant ils traitaient directement avec les exportateurs sur la base de relations préférentielles. Cette façon de faire était beaucoup plus simple pour les opérateurs. Mais nous l'avons bloqué en instaurant une réglementation car nous n'arrivions plus à contrôler l'importation. Nous sommes arrivés à un stade où l'importation s'est multipliée par trois en l'espace de quatre ans. Evidemment, c'est trop lourd. Le second motif d'inquiétude des opérateurs privés concerne le rétablissement des licences à l'importation Nous n'avons pas de régime de licences. La liberté de commerce en Algérie est totale. Les gens peuvent importer ce qu'ils veulent où ils veulent. Les autorisations concernent des produits bien précis. Des experts économiques dressent un constat assez négatif de la situation économique en évoquant une croissance éphémère à travers l'injection d'énormes ressources financières dans des projets d'équipements. Contestez-vous cet état de fait ? C'est vrai que nous faisons une grande confusion. On pense qu'on est en train d'investir parce que l'Etat construit une route. Mais il s'agit d'une dépense publique dans le cadre du budget de l'équipement. Nous avons changé de politique maintenant. Notre politique consiste à favoriser le secteur de la production et l'économie. Avec la crise, nous nous sommes aperçus que nous importons trop de choses et qu'il faut maintenant pousser la machine de la production. C'est pour cela que nous voulons réorganiser le secteur public et promouvoir le secteur privé en le faisant bénéficier d'un grand programme de mise à niveau et dans la mesure du possible mettre en place des conseils d'affaires pour encourager les étrangers à investir chez nous. Actuellement, nous avons un secteur de la production anémié, atrophié. Nous ne pouvons pas continuer comme ça. Il faut absolument le développer. C'est la raison pour laquelle, nous avons mis en place une stratégie pour relancer l'appareil de production. S. L.-K.