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L'argent de l'Ansej aux mains de la mafia
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Publié dans El Watan le 10 - 06 - 2011

Pour récupérer des registres du commerce, alimenter la mafia du sable ou financer la harga… L'argent injecté par l'Etat dans les dispositifs d'aide à l'emploi des jeunes attise les convoitises. Le milieu informel a déployé toute une stratégie pour aborder les candidats et récupérer l'argent public. En toute impunité. Enquête à Alger, Boumerdès, Mostaganem et Oran.
«J'attends avec impatience l'accord de l'Ansej pour réaliser mon rêve : quitter ce pays !» Mourad*, 22 ans, de Dar El Beïda, a déposé une demande auprès de l'Agence nationale de soutien à l'emploi des jeunes pour ouvrir une pâtisserie. Son but inavoué : récupérer l'argent et «acheter un visa pour partir d'ici. Je veux faire mon avenir à l'étranger». Et de l'argent, il y en a, surtout depuis que le président Bouteflika a ordonné que plusieurs mesures doivent être prises pour faciliter les micro-investissements : plafond du crédit sans intérêt revu à la hausse, extension des exonérations fiscales ou encore rééchelonnement dans le remboursement de crédit. Selon le Premier ministre, Ahmed Ouyahia, 15 000 crédits au profit des jeunes auraient été octroyés depuis janvier dernier dans le cadre de l'Ansej.
Ce dispositif a-t-il permis pour autant de créer des emplois ? C'est là toute la question. «Vous savez, les jeunes profitent des dernières mesures d'apaisement prises par l'Etat pour se remplir les poches, avoue un haut responsable de l'Ansej. Rares sont les projets qui vont aboutir. La seule motivation des jeunes, c'est de décrocher le crédit bancaire et partir à l'étranger.» Dans les couloirs de l'Agence, nous avons croisé Sofiane, 27 ans, de Chéraga. «Je veux m'acheter une voiture et me payer un voyage en Turquie cette année. Je vais bientôt récupérer mon argent…» Les crédits octroyés dans le cadre de l'Ansej chaque année sont estimés à plus de 2400 milliards de dinars pour «ne rien créer», estiment de nombreux experts que nous avons sollicités.
Projets fictifs
«Lorsqu'elle était semi-autonome, l'Ansej était beaucoup plus performante et opérationnelle, actuellement elle est un instrument du DRS, affiliée au département Education et régentée par Boughazi, le conseiller du président Bouteflika», nous renseigne une source militaire. L'Ansej se résumerait donc à une caisse d'enregistrement dépourvue d'organe de contrôle, son rôle consistant à donner un accord à des projets fictifs. Comment s'opère alors le trafic ? Avant l'implication de gros barons de l'informel, les candidats de l'Ansej négociaient directement avec les fournisseurs qui leur signaient les factures pro forma nécessaires pour constituer leur dossier. Ces fournisseurs étaient généralement des petits commerçants. Une fois le chèque encaissé par le fournisseur – car la banque paye le fournisseur et non le candidat – une partie du matériel commandé est livrée pendant que le reste est restitué sous forme d'espèces.
Par exemple, un candidat établit dans sa liste d'achat pour le lancement de sa pâtisserie, un frigo, des appareils électroménagers, un four, etc. Une fois la transaction effectuée, il récupère chez son fournisseur les appareils électroménagers et le frigo, des marchandises qu'il peut facilement écouler sur le marché, pendant que le prix du four sera récupéré en espèces. Le fournisseur, lui, prend le soin de majorer les prix. Depuis janvier dernier, d'importants commerçants versés dans l'informel, flairant les bonnes affaires, se sont mêlés à ce très juteux business.
10% de la transaction
Leur méthode d'infiltration ? Ils engagent des intermédiaires et les envoient dans les agences Ansej pour proposer aux jeunes leurs services. «Quel type de dossier voulez-vous déposer ?», nous lance un jeune à l'entrée de l'annexe de l'Ansej de Dar El Beïda. Issam a 31 ans, il travaille au noir pour un gros commerçant d'El Hamiz. «Moi, je vous propose de monter un dossier pour ouvrir une boulangerie. Je m'occupe des factures pro-forma, du local…», nous explique-t-il en nous garantissant l'octroi d'un prêt au plus tard dans un mois. En contrepartie, Issam pose ses conditions. «Une fois le chèque encaissé, nous prenons 10% du montant global de la transaction et nous récupérons aussi les registres du commerce», tranche-t-il.
Mahmoud fait partie des clients de Issam. Il a bénéficié de son crédit Ansej il y a un mois. «Issam m'a beaucoup aidé et en un temps record j'ai récupéré mon argent, j'ai acheté ma voiture et je compte passer mes vacances en Turquie», nous révèle-t-il. A en croire les témoignages, ils sont nombreux à avoir eu recours aux services d'Issam. Mais que font-il ensuite des registres du commerce ? Il ne nous en dira pas plus. La réponse se trouve chez cet autre intermédiaire de Hussein Dey. «Ces registres serviront à obtenir des marchés publics, la restauration dans les écoles, les casernes, les grandes sociétés. C'est une couverture que mon patron utilise pour ne pas être identifié et ça marche pour lui», nous informe-t-il.
Faux bons de livraison
Via ce trafic, l'argent de l'informel se retrouve ainsi dans le circuit du transfert illicite de devises à l'étranger. Car le trafic ne s'arrête pas uniquement aux transactions fictives de vente et d'achat. Ces mêmes barons profiteraient de ce business pour masquer des transactions douteuses dans les affaires d'import. Et blanchir de l'argent. Ainsi, l'importateur peut justifier devant les impôts de son business. «La plupart de ces personnes importent des conteneurs vides qui leur permettent de transférer de l'argent. Puis ils profitent des candidats de l'Ansej en leur établissant de fausses factures de produits importés. Une fois le chèque de la banque encaissé, ils fournissent à leurs clients de faux bons de livraison», nous explique un douanier.
Un membre d'une commission de l'Ansej confirme ces informations. «J'ai établi une liste d'entreprises douteuses et je révoque les dossiers systématiquement, nous assure-t-il. D'autant que ces mêmes candidats ne connaissent pas l'objet de leur projet ni les spécificités du commerce qu'ils veulent exercer. Ils mettent sur la fiche technique la facture pro forma du matériel qui coûte le plus cher et aux caractéristiques techniques compliquées. Quand vous leur demandez à quoi servent ces machines, les candidats commencent à raconter des histoires. En vérité, ils ne sont là que pour l'argent !»
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Mosta : Comment l'Ansej finance la harga
A Mostaganem, le business se fait discrètement et à petite échelle. Ici officiellement, certains jeunes sollicitent l'Ansej pour s'adonner à leur activité préférée : la pêche. Pour la plupart, ce sont des passeurs qui ont trouvé en l'Ansej un moyen pour réduire les coûts. Mohamed a récupéré son crédit pour l'achat de chalutiers mais… il n'en fait rien. «Je préfère passer commande pour m'acheter de petites barques et envoyer un maximum de jeunes en Espagne», confie-t-il, sûr de lui. «J'ai beaucoup de réservations en ce moment et je n'avais pas les moyens de les satisfaire. Grâce à mon crédit Ansej, j'ai passé commande pour la construction de 10 boti (barques)», raconte le jeune passeur. Il n'est pas le seul.
«Vous n'allez pas nous dénoncer aux autorités ! Allah ghaleb, nous n'avons pas d'autres moyens pour gagner notre vie», nous supplie Djilali, 32 ans, balafre à la joue et bras mutilé, avant de nous menacer. «Si je lis quoi que ce soit concernant cette affaire dans le journal, vous le paierez très cher», nous prévient-il. Kader est l'un de ses futurs clients, il vient de bénéficier d'un crédit de l'Ansej. Il récupérera son argent de chez son fournisseur fictif la semaine prochaine. La date de la traversée n'est pas encore précisée. «J'embarquerai avec mes deux frères. Le reste de l'argent, nous l'avons changé en euros. On va enfin quitter ce pays !, nous confie ce jeune de 21 ans. Le jour où la banque me convoquera pour le paiement des créances, je serai déjà loin !». Pour d'autres, «L'Etat finira par effacer nos dettes comme elle l'avait fait pour les fellahs…»
Boumerdès : Entreprises fantômes et mafia du sable
Les demandes introduites dans le cadre de ce dispositif d'aide à la création d'entreprises au profit des jeunes varient selon les wilayas et le business local. A Boumerdès, c'est la mafia du sable qui a mis la main sur le dispositif. Vu le caractère rural de la wilaya, les principales demandes vont dans le sens de la création d'entreprises relatives au bâtiment (fabriques de parpaings, etc.), à l'agriculture (fermes, laiteries, etc.). Mais rares sont les projets qui aboutissent, selon des sources locales. «Vous savez, les candidats profitent du matériel mis à leur disposition dans le cadre de l'Ansej pour le louer ou le revendre à de tierces personnes. La nature de l'activité nécessite du matériel lourd, tels que les camions, tracteurs, tractopelles pour extraire le sable des oueds», révèle une source sécuritaire locale. Nous avons alors décidé, grâce à la collaboration d'un cadre de l'Ansej qui nous a fourni une liste de bénéficiaires, d'aller à la recherche des entreprises dont les adresses étaient indiquées sur la liste. En vain : que des locaux vides !
Devant le siège officiel d'une entreprise – qui s'avère fictive – à Corso, nous rencontrons Mustapha, 22 ans. Nous demandons après le gérant. «Il n'est pas là, il ne vient jamais. Vous le trouverez sûrement sur son chantier», nous dit-il sans préciser l'adresse. Suite à notre insistance, Mustapha décide de parler : «Il fait dans l'extraction de sable des oueds et de la plage. Il a beaucoup de clients. D'ailleurs, il lui arrive de donner des rendez-vous ici. Je suis chargé de le mettre au courant de leur arrivée», confie-t-il. Un gros trafic auquel se livreraient de nombreux jeunes parrainés par les barons locaux. En 2007, le colonel Barour Sahraoui, chef du groupement de la gendarmerie de Boumerdès, a établi le lien entre la mafia du sable et les groupes terroristes du GSPC. «Il existe une complicité entre les groupes terroristes du GSPC et la mafia du sable», et de préciser que «cette alliance a été confirmée, notamment à l'est de la wilaya de Boumerdès».
Oran : La frime en berline
A Oran, 90% des demandes enregistrées au niveau de l'Ansej concerneraient… la création d'entreprises de location de voitures ! Les succursales sont prises d'assaut au quotidien avec des scènes de bousculades. Parfois, des bagarres éclatent dès l'ouverture des bureaux, devant les guichets de l'agence à Canastel. Nous nous sommes rapprochés de Hamid, Sofiane et Rédha. Même dossier, mêmes motivations : la création d'une agence de location de voitures. «Je veux mon agence comme tout le monde. Presque tous mes amis ont bénéficié des crédits de l'Ansej pour lancer leur business», avoue Sofiane. La mode n'est donc plus à l'ouverture des taxiphones et de kiosques multiservices. «Les jeunes d'aujourd'hui veulent frimer. D'une pierre deux coups, ils ouvrent une agence et friment avec une berline, le tout avec l'aide de l'Etat», commente un haut responsable à la wilaya d'Oran.
«Des responsables en charge de l'Ansej se plaignent de cette situation, mais ils ne peuvent rien faire ! Les consignes sont claires : laissez-faire et donnez aux jeunes ce qu'ils veulent ! Au nom de quoi ? La paix sociale et l'apaisement des esprits !», dénonce-t-il. Par ailleurs, le business ne s'arrête pas là, puisque, suite à la prolifération de ces agences, le marché informel de l'automobile connaît une effervescence jamais enregistrée. «Certains n'hésitent pas à mettre en vente les voitures acquises dans le cadre de l'Ansej sur le marché noir. Des voitures qui coûtent chez les concessionnaires 1 million de dinars sont revendues à plus de 1,2 millions, notamment les Clio Campus et les Seat Léon, très demandées par les jeunes», révèle une source sécuritaire. Pour en savoir plus, nous nous sommes rendus dans l'une des agences de location de voitures «Désolé, nous n'avons aucune voiture de disponible, revenez dans une semaine», nous répond Halim, la trentaine, gérant d'une agence au centre-ville.
Selon ses voisins, «Halim ne possède aucune voiture, il a tout revendu, il n'en a gardé que deux, une pour lui et l'autre pour sa copine. Il m'a proposé une voiture, mais a exigé une somme qui dépasse de loin le prix réel ! Ces jeunes profitent de l'indisponibilité qui dure des mois chez les concessionnaires pour réguler le marché à leur guise. Je pense que les concessionnaires sont pour quelque chose dans cette histoire», accuse-t-il. Pour l'anecdote, le neveu d'un propriétaire d'hôtel à Oran aurait sollicité l'Ansej pour l'ouverture d'une agence de location de voitures au service de l'hôtel. Il n'est pas le seul, à en croire les rumeurs confirmées par la rue oranaise, puisque d'autres fils de hauts fonctionnaires auraient fait de même.
«Effectivement, nous avons enregistré des demandes provenant de fils de hauts responsables locaux, militaires ou civils, pour la création de leur entreprise. Ils ciblent des domaines fort rémunérateurs pour profiter des marchés publics, surtout que la nouvelle loi privilégie les entreprises créées localement pour l'octroi des marchés de l'Etat», nous renseigne un cadre local de l'Ansej. Nous avons tenté de joindre le directeur de la direction régionale de l'Ansej. En vain. «Le directeur est en réunion, rappelez plus tard», nous a répondu une secrétaire au téléphone.


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