La wilaya d'Alger dénombre annuellement près de 20 000 demandes de rectification. Les erreurs de transcription dans les documents administratifs délivrés par les services de l'état civil sont un fardeau de plus pour le citoyen, déjà agacé par la constitution des dossiers pour les documents biométriques. A Alger, des centaines de réclamations et de demandes de rectification sont enregistrées quotidiennement. A la sortie de l'annexe de l'APC de Ben Aknoun, un quadragénaire, les yeux fixés sur un document, déclare : «Je ne leur (les agents de l'état civil) fais plus confiance. A maintes reprises, je suis revenu ‘‘bredouille'' d'une administration parce que mon dossier comprenait des incohérences et des erreurs.» En effet, une lettre en plus ou un point en moins suffisent à mettre dans l'embarras l'acquéreur du document. «Ces erreurs sont dues à un manque de concentration des agents. Il y a aussi les coquilles engendrées par la traduction et les différences de prononciation entre l'arabe et le français», a expliqué Marzouk Lakrouz, P/APC de Rouiba. Pour corriger ces petites gaffes, un officier de l'état civil réécrit correctement le document erroné. Casse-tête Hélas, le parcours de rectification des erreurs de transcription des pièces d'état civil est compliqué et très lent qu'on ne peut l'imaginer. Pourquoi ? «Souvent, l'erreur est commise dans le registre d'état civil. Donc, pour la rectifier, il faut passer par le tribunal compétent», a précisé M. Lakrouz. C'est ce qu'affirme le secrétaire général de l'APC d'El Biar, Menoun Bachir : «Quand l'erreur est constatée au niveau du registre d'état civil, il faut passer obligatoirement par la justice. C'est la gravité de l'erreur qui définit si elle sera corrigée par un jugement ou par une ordonnance.» Et d'ajouter : «Il y a des erreurs dans la transcription des dates, des noms et prénoms, mais on se trompe aussi sur le sexe de l'intéressé. A titre d'exemple, Goussem, née en 1956, a été mentionnée comme étant de sexe masculin. Même mésaventure pour Hayet, née en 1967. Il y a même un homme (dont on taira le nom et prénom), né en 1978, qui était inscrit comme femme dans le registre des naissances.» C'est un vrai casse-tête pour l'administration de l'état civil. Selon M. Menoun, 957 demandes de rectification ont été enregistrées uniquement au niveau de l'APC d'El Biar durant l'année 2010, (nom de famille : 500, prénom : 104, prénom du père : 137, nom et prénom de la mère : 189, date de naissance : 17 et sexe : 10). Le nombre des erreurs recensées au niveau d'Alger est aussi alarmant. Bensaïd Radjem, greffier en chef chargé de l'état civil près la cour d'Alger aux Anasser, affirme que la wilaya d'Alger compte annuellement près de 20 000 demandes de rectifications. «Au niveau du tribunal de Sidi M'hamed seulement, nous avons mentionné plus de 3500 dossiers de rectifications», a-t-il précisé. Négligence et inattention Ces chiffres énoncés démontrent qu'il y a vraiment problème dans les services de l'état civil qui pénalisent le citoyen. «Les documents contenant des erreurs sont délivrés généralement par des agents non expérimentés, issus pour la plupart du filet social et du préemploi. Certains fonctionnaires de l'état civil manquent de conscience professionnelle. Ils ont tendance à ne pas accorder d'intérêt à l'état civil qui est en fait l'identité même du pays», a indiqué M. Lakrouz. Par contre, le SG de l'APC d'El Biar, M. Menoun, rassure que «tous les agents de l'état civil ont une expérience minimale de cinq ans dans ce service», et évoque un autre facteur : «L'acte de naissance spécial 12S a révélé l'ampleur des erreurs commises antérieurement dans les registres d'état civil. Nous avons des registres qui remontent à 1836 et nous ne pouvons pas assumer seuls aujourd'hui la responsabilité de toutes ces incohérences.» Aussi, Bensaïd Radjem invoque la question de l'arabisation de l'état civil qui n'a pas été sans conséquences négatives. «Jusqu'au début des années 1980, les registres étaient bilingues, mais à partir de janvier 1981, la transcription dans tous les registres d'état civil se fait uniquement en arabe. Cela a causé des incohérences dans la rédaction des documents d'état civil», a-il-souligné. M. Bensaïd n'hésite pas, néanmoins, à dénoncer «la négligence de quelques officiers de l'état civil» qui pourrait engendrer des vraies anomalies et la multiplication de ces erreurs. «Entre 1990 et 1994, près de 3000 erreurs ont été constatées au niveau du registre de naissance de l'hôpital Parnet, dans la commune d'Hussein Dey. Dans tous ces cas, il a été oublié de mentionner le prénom du nouveau-né sur le registre, bien que l'acte de naissance soit correctement transcrit sur le livret de famille», a mentionné le greffier en chef. Rectification juridique Une fois l'erreur définie, dit-il, le citoyen doit se rapprocher du bureau d'état civil du tribunal le plus proche avec les documents suivants : une demande manuscrite, l'acte erroné, l'acte de naissance n°12 de l'intéressé, du père et de la mère (selon les cas), ainsi qu'un acte de mariage des parents. La procédure de rectification juridique est différente selon la gravité de l'erreur. Selon M. Bensaïd : «Il existe deux types de rectifications. D'abord, celle par simple décision écrite du procureur de la République. On l'appelle la rectification administrative, et elle concerne des erreurs simples dites matérielles, qui ne changent pas le sens du contenu du document. Par exemple, au lieu de mentionner dans le nom Ben Ahmed, on écrit par erreur : Ben Hmed. Le deuxième type de rectification est appliqué par ordonnance du président du tribunal. C'est une erreur qui change complètement le contenu de l'acte concerné. Par exemple, au lieu de mentionner dans le nom Ben Ahmed, on écrit par erreur : Bouhamed.» Concernant la lenteur de la procédure de rectification déplorée par les citoyens, notre interlocuteur répond : «Cette lenteur est conditionnée par la complexité de l'erreur. Il faut dire aussi que le nombre important de rectifications qui affluent vers nos guichets pèse négativement sur la vitesse de la procédure, surtout avec le cumul des années. D'ailleurs, il faut envisager de désigner directement des magistrats chargés uniquement de l'état civil pour espérer améliorer la rentabilité des bureaux de rectifications.» Des solutions à prévoir Afin de «lutter contre ce phénomène» et éviter d'autres erreurs à l'avenir, M. Bensaïd pense que «les Algériens doivent prendre la bonne habitude de vérifier eux-mêmes l'exactitude des informations consignées sur le registre de l'état civil. Même les illettrés peuvent avoir l'assistance d'un proche lettré pour la vérification des textes des trois déclarations : la naissance, le mariage et le décès». De son côté, M. Menoun propose une solution a priori efficace : «L'informatisation et l'archivage électroniques des registres de l'état civil s'imposent.» Et d'ajouter : «Il faut aussi alléger davantage les dossiers administratifs pour réduire la pression sur les guichets de l'état civil. On demande des actes de naissance n°12 pour les écoliers à chaque rentrée scolaire. On peut s'en passer.» Revenant sur les potentialités humaines des services de l'état civil, M. Lakrouz propose à ce que «les chefs de service et les simples agents soient formés et recyclés en permanence». Mieux vaut prévenir que guérir !