Le romancier mexicain, Jorge Volpi, qui visite l'Algérie pour la première fois, n'aime pas les frontières et les vérités établies, alors que Kamel Daoud rejette la littérature militante et revendique sa part du rêve. Les utopies ou plutôt la fin des utopies étaient au cœur d'un débat, lundi soir, au quatrième Festival international de littérature et du livre de jeunesse (Feliv 2011) à l'esplanade Riadh El Feth, à Alger. Le romancier mexicain, Jorge Volpi, et l'écrivain algérien, Kamel Daoud, étaient les invités de l'espace «Auteurs en dialogue». Le journaliste, Youcef Saiah, qui a modéré le débat, a relevé que les deux écrivains se rejoignent dans l'évocation des rêves volatiles liés aux utopies. Cela est, selon lui, présent dans Minotaure 504, le recueil de nouvelles de Kamel Daoud, paru récemment en France, exprimé à travers des personnages en quête de nouveaux repères et de construction d'autres idéologies. Jorge Volpi a, lui, publié une trilogie autour des utopies (plus de 1500 pages en tout !). «Trois romans qui n'ont rien à voir les uns avec les autres, mais évoquent la chute des utopies au XXe siècle et des horreurs qui ont été commises en leur nom», a-t-il précisé. Dans A la recherche de Klingsor, Jorge Volpi s'est inspiré de l'histoire du physicien nazi, Werner Heisenberg, qui devait concevoir la bombe atomique pour Hitler. Un projet qui a échoué. Après 1945, Heisenbreg a soutenu qu'il avait fait exprès pour «ne pas donner une bombe» au fondateur du IIIe Reich. Des aveux contestés partiellement par les historiens. «C'est donc un roman sur l'éthique scientifique», a précisé l'écrivain mexicain. Pour lui, la relation entre les intellectuels et les pouvoirs fait toujours débat. Les deux autres romans de Jorge Volpi, La Fin de la folie et Le Temps des cendres évoquent les déceptions des idées révolutionnaires des années 1960 et 1970 et la chute du communisme soviétique. Il y a aussi une dénonciation du libre marché et ses lois. Kamel Daoud, qui a écrit un roman, Ô Pharaon (paru en 2005), et des recueils de nouvelles, a estimé que «l'utopie» lui a été «vendue» depuis sa scolarité. «Nous sommes tous les enfants d'une utopie nationaliste algérienne. Au début, l'écriture était pour moi un amusement. Amusement devenu sérieux avec le temps. Ecrire était une manière de démanteler l'univers qu'on m'a légué. Il y avait un discours triomphaliste que nous avons tous subi. J'ai grandi dans un univers où il y avait une propagande. L'écriture était pour moi un exercice de libération, de résistance et d'affirmation», a-t-il soutenu. Jorge Volpi, 43 ans, a relevé qu'il a vécu pendant des années sous le règne du PRI (Parti révolutionnaire institutionnel), «fondé au début des années 1930 dans le même esprit des partis fascistes européens». Le PRI a, selon lui, dominé et corrompu la vie politique au Mexique pendant plusieurs décennies. L'écrivain est revenu sur le massacre du mouvement estudiantin à Mexico en 1968. «Dans les livres d'histoire, on n'évoque pas l'épisode où l'armée a tiré sur les étudiants. Pour moi, c'était toujours un mystère», a-t-il noté. Dans son roman La Fin de la folie, il revient sur cette page noire de l'histoire mexicaine. «Je suis contre l'hypocrisie du pouvoir et contre la religion. Avec l'arrivée d'un parti de droite aux commandes du pays, au début des années 2000, l'Eglise catholique a commencé, à nouveau, à avoir un pouvoir important», a-t-il relevé. Jorge Volpi a estimé qu'il écrit par curiosité et par insatisfaction. «Je doute toujours d'une vérité. Il s'agit pour moi d'écrire contre les vérités absolues», a-t-il souligné. Fasciné par l'Argentin Jorge Luis Borges, Kamel Daoud dit vouloir imaginer des livres plutôt que de les écrire. «J'ai découvert la littérature par ennui. Dans mon village, il n'y avait pas d'électricité, donc pas de télévision. A travers des romans policiers de Chase, j'ai appris la langue française (…) Je suis gêné quand on me qualifie d'écrivain. J'aime bien écrire, raconter des histoires, mais je ne me sens pas écrivain», a-t-il confié. Enfant, Jorge Volpi dessinait les cartes géographiques. «C'est pour cela que j'ai écrit des romans dont l'histoire ne se passe pas au Mexique. On m'a demandé pourquoi je n'écris pas sur le Mexique. Le domaine de la littérature n'a pas de frontières. Les frontières politiques sont une forme de discrimination», a-t-il expliqué. Le romancier a créé avec d'autres écrivains le mouvement «Crack», qui revendique l'universalité de la littérature, rejette les pesanteurs du nationalisme et les légèretés du best-seller. «En France, j'étais choqué par les questions sur l'Algérie. C'est-à-dire que je suis enfermé dans l'algérianité, alors que j'ai toujours écrit pour sortir de la nationalité. En Algérie, nous avons la tradition de l'écrivain militant. Celui-ci doit être de gauche, opposé au pouvoir et auteur d'une littérature utilitaire. J'ai horreur de la littérature militante», a analysé Kamel Daoud. L'auteur de La Fable du Nain s'est voulu très clair : «Je revendique le droit à l'imaginaire. J'ai envie de rêver, réécrire Les Mille et Une nuits à ma façon.» Selon lui, l'imaginaire sud-américain a permis plus d'ouverture que le réalisme nord-américain ou est-européen. «Je suis ébloui par cette capacité des Sud-Américains de créer des fables», a-t-il dit. D'après Jorge Volpi, le rapport de la nouvelle génération d'auteurs avec le réalisme magique sud-américain est plus compliqué. «Le réalisme magique, qui était libérateur, est devenu un cliché obligatoire. Après le succès du roman 100 ans de solitude de Gracia Marquez, les auteurs venus après ont voulu l'imiter. A partir 1990, nous avons commencé à rompre avec le réalisme magique», a souligné l'auteur de Le Jardin dévasté.