Lundi dernier, le 4e Festival international de la littérature et du livre jeunesse (Feliv) d'Alger accueillait deux écrivains. Le premier, Jorge Volpi, Mexicain de son état, né en 1968 au Mexique, célèbre pour sa trilogie sur le xxe siècle, une somme volumineuse où il tente d'explorer successivement dans l'Allemagne nazie, la France de mai 1968 et l'Amérique contemporaine la faillite des idéologies et leurs corrélations avec des conflits intimes. Le second, plus connu sur la scène nationale, est journaliste chroniqueur au Quotidien d'Oran et nouvelliste deux fois primé pour le prix Mohammed-Dib. Ces deux auteurs ne se connaissent pas, ne se sont pas lus. De quoi parler dans ce cas ? Comment entamer un dialogue lorsque ni l'un ni l'autre n'ont une idée du travail et de l'un et de l'autre ? Il existe sans doute deux démarches : la première est celle que nous avons constaté depuis le début du cycle «Auteurs en dialogue», un échange de propos généraux sur la littérature, avec parfois une évocation faussement pudique de son propre travail ou pire, de ses anecdotes cosmopolites, et finalement une heure trente de banalités. Ou alors, admettre l'absurdité de ce genre de conclave, et convoquer Borges : deux auteurs imaginaires, parlant de livres imaginaires pour un public qui tente d'imaginer ce qu'il aurait pu lire s'il l'avait fait. C'est la «métaphore du voyageur dans le train», dit Kamel Daoud. «Vous êtes en face d'un type dans un train, et son humanité se révèle à vous au fil du voyage, par ses gestes, ses paroles, et vous finissez par ne plus vouloir que le train s'arrête». En gare donc pour des allers-retours Alger-Mexico. Et les similitudes entre la démarche des deux auteurs ne tardent pas à se révéler. La première concerne les utopies ou plutôt leurs chutes. Jorge Volpi a tenté, dans son travail, d'explorer la faillite des grandes idéologies du siècle dernier. Le fascisme, avec la figure du physicien allemand Werner Heisenberg, chargé de mettre en place la bombe atomique pour Hitler et qui échouera ou fera en sorte d'échouer. Le communisme, avec l'histoire d'un intellectuel mexicain de retour de Paris après 1968 au Mexique, et finalement, le capitalisme avec l'histoire de cinq Américaines. Pour Kamel Daoud, c'est l'utopie nationaliste qui est remise en cause. Plus précisément «la propagande nationaliste» dont il dit avoir souffert. Comment écrire lorsque, né dans les années 70, on a été éduqué à la grandeur d'une Révolution que l'on n'a pas faite, au point d'être culpabilisé de ne pas être un martyr ? Et que finalement «La meilleure vie que nous puissions avoir, c'est d'en mourir». Il s'agit pour Kamel Daoud de confronter sa propre «histoire» ou ses «histoires» au poids de l'Histoire officielle, de produire des récits pour s'extirper des deux récits majeurs, ceux «de la propagande et le récit religieux». Autre point commun : comment devenir écrivain lorsque l'ombre des «pères fondateurs» plane encore sur la littérature de son pays ? Le problème est plus épineux pour Jorge Volpi, et pour cause, les figures tutélaires de la littérature mexicaine, Carlos Fuentes, Garcia Marquez, sont encore vivants. Pour sortir du «réalisme magique», l'écrivain mexicain a tenté d'écrire des romans qui se déroulent ailleurs qu'au Mexique, il fut qualifié «d'auteur exotique», s'exclame-t-il. Finalement, les deux écrivains se sont accordés sur le statut transfrontalier et universel de l'écrivain. Terminus, tout le monde descend, station Riadh El Feth. F. B.