-Selon vous, pourquoi certains députés ont tenu à réintroduire dans la loi de finances complémentaire (LFC) 2011 l'importation des vêtements usagés ? En réalité, ces parlementaires (ceux qui ont introduit l'amendement en question) ont avancé le chiffre de 12 000 salariés dans le secteur de l'informel qui risqueraient de perdre leurs emplois. Ceci dit, ces députés ont des contacts réguliers avec des gens qui font dans l'importation frauduleuse des vêtements, sachant qu'elle est interdite. J'en déduis qu'ils sont en étroite relation avec ces mêmes importateurs. Lorsque des députés viennent faire la parade pour de la friperie au Parlement tout en sachant que ces gens-là font dans l'illégalité, c'est flagrant. Cette démarche est suicidaire, il ne s'agit pas de l'article en lui-même, mais de la manière dont celui-ci a été introduit. -Quels sont les arguments des députés ? On ne peut pas les arrêter, ils continueront à importer frauduleusement ! Voilà comment justifient les députés leur démarche. C'est un aveu d'échec et d'impuissance. Dorénavant, on pourra s'attendre à ce qu'on légalise beaucoup de choses, même la drogue ! Alors que le propre du politique est de dire je peux faire des miracles, et non pas de céder aux pressions. Ils attestent également que la friperie est un gagne-pain pour certains. On ne sait pas s'ils sont structurés, s'ils payent leur cotisation de Sécurité sociale, leurs impôts…Dire qu'on va leur donner une couverture légale prouve qu'ils travaillent déjà dans l'illégalité. -Y a-t-il des barons qui veulent mettre à genoux la production locale du textile ? Le secteur de la friperie fait gagner des milliards de dinars. Derrière toute cette parade, il y a des intérêts et des enjeux. Les députés en question ne se sont jamais inquiétés du sort des travailleurs d'une usine qui ne touchent pas leurs salaires, ils n'ont jamais pensé à aider l'usine de leur localité qui n'a pas de matière première ou qui a d'énormes problèmes avec la banque. Mais quand il faut porter leur voix pour légaliser l'informel, ils répondent favorablement. -Quel bilan faites-vous du secteur de l'industrie du textile local ? C'est un secteur malade depuis fort longtemps, ça date depuis l'ajustement structurel, et la décennie noire ne l'a pas épargné. Ceci a été suivi par l'ouverture du marché tous azimuts, ce qui a engendré une concurrence déloyale. C'est un secteur qui ne peut être qu'à genoux. L'Etat a injecté 30 milliards de dollars dans la relance de l'économie nationale et deux milliards pour le secteur de l'industrie du textile et de l'habillement. Ce budget conséquent a été injecté afin d'assainir les dettes fiscales, parafiscales et bancaires, mettre en place un plan d'investissement et relancer la formation dans le domaine du textile. Car ce dernier a malheureusement perdu les repères de la formation. -Quelles sont les répercussions de cette loi sur l'industrie du textile? Les répercussions sont énormes, pas uniquement sur le secteur de l'industrie du textile, mais sur l'économie nationale en général. Les gens vont revenir vers l'import-import et personne ne les arrêtera, car ils ont trouvé la facilité. Cela démontre qu'il y a une absence de politique, de programmes, d'idées et de discours politiques. Est-ce que tout le monde s'inscrit dans l'informel, dans l'argent facile ? On se retrouve installés confortablement dans une politique de la consommation et de l'importation tous azimuts. L'Algérie ne produit rien. On dépend de l'importation, mais pour combien de temps ? -Cette loi ne risque-t-elle pas d'ouvrir la brèche à l'informel ? Oui, je pense que cette façon de faire démontre qu'il y a une sorte de perte totale de repères. Il faut contenter et acheter tout le monde. Acheter la paix sociale sans pour autant mesurer les conséquences. Le gouvernement essaie de contenter tout le monde à coups d'augmentations, de lois… Ce n'est ni rationnel ni économique.