Le printemps arabe inspire Tahar Ben Jelloun. Le prix Goncourt de 1987 vient de publier aux éditions Gallimard, en France, deux nouveaux livres : Par le Feu où il raconte la biographie imaginaire du jeune Tunisien Mohamed Bouazizi et L'étincelle, révoltes dans les pays arabes où il nous livre une série de chroniques sur les révolutions arabes. Dans cet entretien, Tahar Ben Jelloun, 67 ans, revient sur les derniers changements qui secouent le monde arabe et sur sa relation avec Jean Genet à qui il a consacré deux livres l'année dernière. - Vous avez récemment publié deux livres sur le printemps arabe. Quel regard portez-vous sur les différents changements qui secouent actuellement le monde arabe ? Le monde arabe est en train de changer de manière radicale ; plus jamais de dictature, d'humiliation, d'arbitraire. Les gens se sont révoltés parce que cela fait si longtemps qu'on les méprise et les écrase. Cette révolte est d'ordre moral et éthique. Elle a un sens qui dépasse l'espace géographique du monde arabe. Quel que soit l'avenir, une chose est sûre : le monde arabe sort de la malédiction. Il faudra évidemment juger les criminels comme El Gueddafi, Ben Ali et Moubarak. D'autres tomberont et seront jugés soit par la justice internationale, soit par leur peuple, soit par l'histoire. - Quel rôle doit prendre un auteur arabe, et un intellectuel en général, aujourd'hui ? Le rôle de l'intellectuel est d'être un témoin actif et rigoureux. Il accompagne les changements, dénonce, critique et reste vigilant, car on sait que les révolutions peuvent être détournées et devenir des dictatures. L'intellectuel ne doit pas faire confiance aux apparences ; sa voix doit être entendue quelle que soit l'évolution de la situation actuelle.
- Dans votre livre Jean Genet, metteur sublime (Gallimard, 2010), vous rendez hommage à un auteur et un homme engagé qui a infatigablement défendu la cause palestinienne. Un auteur que le monde arabe commence à oublier. Pouvez-vous nous raconter votre relation avec Jean Genet ? Ma rencontre avec Jean Genet a été suscitée par lui. Moi, je n'aurais jamais osé déranger un si grand écrivain et surtout un homme connu pour son caractère particulier. Mais très vite, j'ai compris que l'important pour lui c'est la Palestine. Il venait de rentrer de Jordanie et des camps de réfugiés. Il était scandalisé par la condition de vie des Palestiniens et voulait témoigner. C'est ce que nous allions faire lui et moi en écrivant un article sur la condition des femmes palestiniennes dans les camps ; l'article sera publié dans Le Monde Diplomatique. Aujourd'hui, je pense que le monde arabe a oublié Jean Genet, à part quelques intellectuels. - Votre relation avec Jean Genet s'est consolidée surtout après la parution de Harouda (1973). Ce qui vous a lié le plus, l'un à l'autre, est l'engagement ou bien la littérature ? Notre lien a été plus dans le sens de l'engagement politique pour la Palestine que littéraire ; il n'aimait pas du tout parler de ses livres. Il a consacré la fin de sa vie à la cause palestinienne et son dernier livre, Un captif amoureux, est un chef-d'œuvre littéraire et aussi une quête de la mère. Ce n'est pas un livre politique, il est très littéraire et mélange les préoccupations politiques avec l'exigence de l'écriture rigoureuse et belle. - En Occident, la littérature arabe a toujours été liée à certains noms, notamment Naguib Mahfouz, prix Nobel 1988. Est-ce qu'on peut prochainement parler d'une nouvelle vague d'auteurs, surtout après le printemps 2011 qui s'étend sur le monde arabe en entier ? Je suis certain que ce printemps arabe donnera de beaux textes ; je suis certain que de nouveaux écrivains vont émerger. Il y aura une nouvelle vague d'écrivains arabes, et cette fois-ci l'Occident fera attention à leur production. - Vous écrivez en français, mais avec un imaginaire beaucoup plus arabe. Quand vous écrivez, vous ciblez quelle catégorie de lecteurs ? En vérité, je vise tous les lecteurs et je ne privilégie aucun. A partir du moment où certains de mes livres ont été traduits dans plusieurs dizaines de langues, mon public est partout.