Malgré la chaleur suffocante, des centaines de manifestants continuaient hier d'occuper l'emblématique place Tahrir, dans le centre du Caire, pour presser le pouvoir militaire de relancer les réformes. Les manifestants ont passé la nuit dans un village de tentes dressées sur place. Le secteur était fermé au trafic automobile et des barrages contrôlés par des militants étaient installés aux différents accès pour vérifier l'identité des personnes entrant sur la place. Des dizaines de milliers d'Egyptiens ont, rappelle-t-on, tenu durant la journée de vendredi les plus importantes manifestations des derniers mois dans le pays, descendant en masse dans les rues du Caire et d'autres villes pour exiger que les membres du régime de Hosni Moubarak soient jugés, et pour exprimer leur impatience face à la lenteur des réformes. L'euphorie qui a suivi le renversement du président Moubarak, le 11 février, après 18 jours de manifestations populaires, s'est transformée en frustration. De nombreux Egyptiens estiment que la révolution est désormais bloquée. L'économie égyptienne reste léthargique et nombreux sont ceux qui se demandent ce que l'avenir leur réserve. La rue égyptienne soutient l'idée aussi que même si le Président et plusieurs de ses collaborateurs ont quitté le pouvoir, des piliers du régime sont toujours présents au sein du système judiciaire, de la police et de la fonction publique. Des doutes ont aussi commencé à émerger quant au conseil militaire qui dirige le pays, que certains jugent réticent à poursuivre les policiers et les anciens responsables du régime accusés de complicité dans le meurtre de près de 900 manifestants pendant le soulèvement. C'est pourquoi d'ailleurs les revendications de la population portent sur le jugement de responsables de l'ancien régime suspectés de bénéficier de la clémence du nouveau pouvoir, et des sanctions contre les policiers accusés du meurtre de manifestants durant la révolte de janvier-février. Autre aspect qui risquerait de susciter le courroux des professionnels des médias : le pouvoir a décidé de réactiver le ministère de l'Information. Et c'est à Osama Heikal, ancien responsable du journal du parti libéral laïque Wafd et ancien membre de la direction de l'Opéra du Caire, que revient la responsabilité diriger ce département. Il a d'ailleurs prêté serment hier devant le maréchal Hussein Tantaoui, chef du Conseil suprême des forces armées (CSFA), qui dirige le pays. M. Tantaoui, selon une source militaire, a souligné la nécessité d'une «réorganisation des médias égyptiens» et demandé un «plan pour répondre aux problèmes qui ont résulté de la suppression du poste de ministre de l'Information». Mais rien ne dit qu'il ne s'agit pas là d'une tentative des militaires de reprendre en main le secteur. A rappeler que le poste de ministre de l'Information avait disparu le 22 février, lors de la formation d'un nouveau gouvernement après la chute quelques jours plus tôt de M. Moubarak sous la pression d'une révolte populaire. Le ministère de l'Information était considéré, sous M. Moubarak, comme un pilier de la propagande du régime et sa suppression faisait partie des revendications des manifestations contre son pouvoir. Les protestataires qui ont réinvesti la rue vendredi n'ont d'ailleurs pas omis de réclamer des changements dans les médias d'Etat, dénonçant la présence de personnalités proches de l'ancien régime. Le dernier ministre de l'Information de M. Moubarak, Anas El Fekki, accusé de corruption, a été arrêté fin février. Relaxé récemment dans une affaire de malversations financières, il reste toutefois encore en détention préventive pour d'autres dossiers.