Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.
Le gramme de coke coûte 6500 DA sur le marché local Abdelmalek Sayeh. Directeur général de l'Office national de la lutte contre la drogue et la toxicomanie
Face à un marché gigantesque, de filières innombrables et de réseaux locaux, le directeur de la lutte contre la drogue demande à la population de dénoncer les dealers. Il est prêt à les rémunérer grâce à la mise en place d'un fonds spécial. - Pourquoi la consommation de cannabis s'est-elle banalisée en Algérie ? C'est vrai qu'on peut parler de banalisation. J'en veux pour preuve les quantités de cannabis saisies par les services de sécurité. D'ailleurs, l'enquête nationale d'épistémologie initiée par l'Office national de lutte contre la drogue et la toxicomanie a révélé que le cannabis est disponible dans les 48 wilayas du pays en quantités importantes. - L'Algérie est passée du statut de pays de transit à celui de consommateur et de producteur. Qu'est-ce qui explique ce basculement ? On reste essentiellement un pays de transit puisqu'une grande partie de la drogue qui passe par l'Algérie n'est pas destinée à la consommation locale. Ce qu'on constate, c'est l'augmentation de la consommation en Algérie et des tentatives, pour l'heure vaines, de produire localement la drogue. En 2008, les services de gendarmerie ont découvert et détruit 77 plants d'opium et 26 000 plants de cannabis, mais depuis, il n'y a plus eu de champ découvert. C'est pour cela que l'on ne peut pas qualifier l'Algérie de pays producteur. Reste que nous observons aussi la culture de la part de certains Algériens de petites parcelles destinées à leur propre consommation. - La législation algérienne est très répressive à l'encontre des trafiquants, mais il n'y a jamais eu autant de drogue en circulation en Algérie… C'est vrai que les condamnations ne font plus peur. Pour les barons de la drogue, le risque de passer le restant de leur vie derrière les barreaux n'est plus dissuasif, parce que les sommes engrangées par le trafic sont colossales. Cet argent est investi dans l'achat d'habitations, et dans des PME, qui agissent comme des lessiveuses pour permettre de recycler l'argent sale. Une fois en prison, les familles des barons sont à l'abri du besoin. J'ajouterai que même les lois les plus répressives, comme celles adoptées dans certains pays tel l'Iran, où les trafiquants de drogue sont condamnés à mort, n'ont pas pu résoudre le problème. C'est pourquoi en tant qu'ancien magistrat, je milite d'une part pour la mise en place d'une nouvelle politique pénale, et un redéploiement de l'Office de lutte contre la drogue et la toxicomanie d'autre part, dans le cadre de la nouvelle stratégie axée sur la sensibilisation et la prévention. Je pense aussi qu'il faut que les citoyens s'impliquent dans cette lutte en dénonçant les dealers. Il faut instaurer la peur de la dénonciation chez le revendeur, lui rendre la tâche plus difficile pour provoquer une rupture dans la chaîne de commandement entre le dealer, le réseau de distribution et les barons. C'est la seule façon d'assécher la distribution et de perturber le marché de gros de résine de cannabis. Pour rappel, l'année dernière, 4600 dealers ont été condamnés par les tribunaux. - Vous avez proposé la mise en place d'un fonds spécial national pour récompenser les Algériens qui dénoncent les dealers. Comment ce fonds devra-t-il fonctionner ? Ce dispositif existe déjà dans plusieurs pays tels que le Portugal et l'Espagne où il a fait ses preuves et a permis aux forces antidrogue de remonter et de démanteler des réseaux. A titre d'exemple, les policiers espagnols ont pu saisir pas moins de 450 tonnes de résine de cannabis en 2009 grâce à la contribution et à la vigilance des citoyens. C'est pourquoi, nous avons proposé la création d'un fonds qui doit au début être alimenté par le Trésor public puis par le produit de la vente des biens immobiliers saisis aux trafiquants. Il doit aussi permettre de financer les opérations d'infiltration des services de sécurité et de récompenser les policiers qui permettraient la neutralisation des filières, en guise de reconnaissance de l'Etat. Ce fonds est aussi destiné à encourager le citoyen à dénoncer les dealers et les barons. Je pense qu'il ne faut pas hésiter à prendre les mesures les plus radicales pour combattre ce trafic, d'autant qu'il a déjà pris des proportions énormes. Aujourd'hui, il y a des quartiers entiers qui ont été achetés grâce à l'argent d'«el hana» (surnom donné à la résine de cannabis, ndlr). Lors de mes nombreux déplacements à travers le territoire national, mes interlocuteurs m'emmenaient visiter des quartiers dont les biens ont été acquis par les narcotrafiquants grâce à la revente d'«el hana». Ces biens sont connus de tous… - Si ces biens sont connus de tous, que fait la police ? La police a besoin de la coopération de la population, c'est indispensable. En ma qualité de directeur de l'Office de lutte contre la drogue et la toxicomanie, je veux être crédible aux yeux des citoyens qui souffrent de ce fléau et je leur demande d'être vigilant et d'agir pour le bien de leurs enfants. La police et les magistrats sont là pour aider et protéger ceux qui décident d'apporter leur contribution. Je vais vous donner un exemple concret des résultats escomptés lorsque les citoyens s'impliquent. Nous avons reçu au niveau de l'office un fax d'une mère de famille qui dénonçait toute une famille de trafiquants qui agissait dans son quartier. Le parquet général près la cour d'Alger a été saisi de cette affaire et la police a été chargée d'enquêter sur ses révélations et de procéder aux arrestations, d'autant que, selon les informations qui nous ont été communiquées, cette famille faisait du porte-à-porte dans le quartier pour écouler la drogue. - Demander aux citoyens de dénoncer les dealers n'est-ce pas reconnaître l'échec des politiques menées contre le trafic de drogue ? Je ne pense pas qu'on puisse parler d'échec. Les services de sécurité font de leur mieux, mais l'ampleur du phénomène est telle qu'ils ne peuvent pas s'en sortir seuls. Tous les pays qui affrontent ce fléau ont besoin de la participation des citoyens, car les arrestations ne peuvent se faire que si les barons ou dealers sont pris en flagrant délit. C'est pourquoi, la participation des citoyens est indispensable. Le nerf de la guerre dans la lutte contre la drogue, c'est l'information. Obtenir un renseignement permet aux services de sécurité, après vérification, d'exploiter ces données en temps réel et de procéder rapidement aux arrestations et au démantèlement des filières. Je lance un appel aux Algériens pour qu'ils deviennent des policiers dans leur quartier. Il n'y a rien de scandaleux à demander aux citoyens de coopérer avec les forces de sécurité, au contraire je trouve que c'est un devoir. C'est une prise de conscience collective face à la gravité de la situation qui peut permettre de combattre efficacement le trafic de drogue et d'empêcher la banalisation de ce commerce.Car pour le moment, ce trafic ne concerne que la résine de cannabis, mais d'autres trafics comme ceux de la cocaïne et de l'opium sont susceptibles de se mettre en place en Algérie si nous ne faisons rien pour casser les réseaux de distribution. - Combien coûte actuellement le gramme de cocaïne sur le marché local ? 6500 DA le gramme de cocaïne pure, et 3500 DA pour celle qui est coupée avec d'autres substances. - Quelle quantité de cocaïne est consommée en Algérie ? Pour l'instant, cette consommation ne représente pas grand-chose. Elle reste minime par rapport aux quantités de résine de cannabis consommées. La cocaïne était, comme je l'ai déjà souligné, la drogue de la jeunesse dorée, mais ces derniers temps, elle devient accessible à d'autres couches de la population, car son prix ne cesse de baisser. Il n' y a pas si longtemps, le gramme de coke était cédé à 18 000 DA. Aujourd'hui, elle a baissé déjà de moitié. Cette baisse s'explique par la disponibilité de la substance en plus grande quantité. Il y a une tentative des narcotrafiquants d'installer un marché de la coke en Algérie, parce que les gains sont beaucoup plus importants comparativement au shit. - Peut-on envisager une dépénalisation contrôlée de la résine de cannabis ? Les experts de l'ONU développent un nouveau discours. Ils affirment que la répression a ses limites et qu'il faut axer sur la prévention. Par exemple, en France il y a un débat sur la possibilité de la dépénalisation partielle de la résine de cannabis. Pour le cas de l'Algérie, nous n'en sommes pas encore là. Mais s'il n' y a pas de prise de conscience de la population, on ne pourra pas échapper à un débat sur la question dans les prochaines années. - En tant que responsable de l'Office de lutte contre la drogue, êtes-vous soutenu dans vos actions ? Sans commentaire…