La lourde chape de plomb qui pesait sur les journalistes de TV Tamazight a fini par se lézarder pour laisser échapper de véritables cris de détresse. Lettres de démission de la part de journalistes au bord de l'épuisement moral, lettres de dénonciation de pratiques inqualifiables au sein de la rédaction, appels au secours adressés à des responsables, témoignages poignants de femmes violentées, meurtries dans leur dignité, c'est une véritable boîte de Pandore qui s'est ouverte sous nos yeux ahuris. Pour ce qui est des témoignages de harcèlement sexuel, il convient de souligner que certains nous ont été livrés de vive voix par les victimes alors que d'autres ont été livrés par écrit à qui de droit. Z. N. (*), une jeune journaliste raconte : «Chaque fois que je le rencontrais (le directeur) dans le couloir ou dans son bureau, c'était toujours des commentaires déplacés, des plaisanteries douteuses, des propos malsains puis des tentatives d'attouchements tout en faisant semblant de rigoler. Au fil des semaines et des mois, j'ai appris qu'il agissait de même avec toutes les femmes de l'entreprise.» B. R., autre journaliste témoigne : «Il me disait : pourquoi tu ne me fais pas la bise ? Moi, je pourrais être ton grand-père. Fais-moi la bise ! Viens dans mon bureau, parle-moi de ta vie…» Quelquefois le harcèlement sexuel va jusqu'à se transformer en véritable agression. Une dame relate : «Il n'a jamais accepté que je lui touche la main. Quand je tendais ma main, il m'attirait de force vers lui. Vu son âge, je le prenais pour mon grand-père et lui témoignait du respect. Un jour, il m'appelle dans son bureau. Il me parle longuement de ma situation sociale à tel point que je croyais qu'il avait de la sympathie pour moi, puis il me dit : si tu veux rester ici sois docile avec moi. A ce moment-là, il s'est jeté sur moi et m'a embrassée. Je l'ai repoussé et je me suis enfuie de son bureau. Depuis ce jour, mon état psychologique s'est détérioré. Je n'ai pas déposé plainte parce que j'avais peur de subir le sort de X chassée de la télévision pour avoir dénoncé le même comportement.» Il arrivait au directeur incriminé d'appeler de la salle de rédaction un de ses amis haut placés sur son téléphone portable. Voici le genre de conversation que tout le monde pouvait entendre : «Allo, monsieur X ? Je suis à côté d'une très belle fille. (Suit une description détaillée de la fille en question). Tenez, je vous la passe.» Au risque de perdre son emploi déjà précaire, la fille, qui se voit tendre le téléphone, doit se montrer «gentille» avec l'ami si haut placé à l'autre bout du fil. Et plus si affinités. Dans un rapport remis à sa hiérarchie, une jeune journaliste parle de propos suggestifs, de propositions indécentes associées à des menaces récurrentes et indirectes de licenciement. «Je suis menacée dans ma dignité au sein même de mon lieu de travail. Tout le monde est au courant de ce que nous subissons à la Chaîne IV. Nous sommes devenus la risée des collègues des autres chaînes», écrit-elle. Une autre plainte concerne le sous-directeur de la TV Tamazight qui, apparemment, aurait pris exemple sur son supérieur hiérarchique. Une jeune stagiaire témoigne : «Il me disait viens dans mon bureau très tôt le matin. A 6h du matin.» Au bout de trois mois, le contrat de la jeune stagiaire a été résilié pour avoir résisté à toutes les avances. Le plus grave, c'est que les responsables de la Télévision nationale ne pouvaient pas ignorer ce qui se passait à la Chaîne IV au vu des nombreux rapports qui leur parvenaient. L'un des derniers rapports que le conseil syndical des journalistes de la télévision a adressé au DG de l'EPTV précise qu'aucun journaliste de la TV 4, ni ancien ni nouveau, n'a échappé à ses exactions (du directeur). Les rédacteurs du rapport évoquent un «climat tendu la Chaîne IV» avant de parler de «harcèlement administratif de la part du directeur de la Chaîne IV». Dans un autre communiqué rendu public, le même syndicat dénonce «les abus multiples du DG de la TV4» et «appelle le DG à prendre des mesures concrètes pour mettre fin à ces agissements obscènes qui ne font pas honneur à une entreprise publique telle que la télévision». Selon les dernières indiscrétions glanées auprès du collectif des travailleurs de la Chaîne IV, les victimes de harcèlement sexuel ainsi que leurs familles se sont rapprochées de Me Dilem afin de déposer plainte au niveau de la justice. (*) Les initiales ont été changées pour protéger l'anonymat des victimes