Eté 2003. Balade dans la Souika. Entre le début et la fin de la promenade qui va durer trois heures, beaucoup de choses changeront : les cellules tapissant la rétine s'habituent à épouser les siècles des murs en ruine, l'ouie est submergée par le flots des bruits suspendus à la falaise, les pas s'entraînent à apprivoiser les pentes en dédales, les arrêts devant tel fronton de porte portant le numéro 13 sur une main de Fatma. Le guide accidentel qui nous accompagne dit aimer sa ville. La chaleur qui écrase le rocher ne décourage pas la passion naissante du visiteur. Visiteur dans le sens mystique également. « Constantine n'est pas une ville. C'est une situation », s'accordent à constater les sens déstabilisés par l'absence de centritude, par l'urbanisme en altitude et la majesté des ponts rongés par la solitude. Mais la ville se meurt. Les bâtisses, comme celles de La Casbah algéroise, jumelle d'infortune, s'effondrent l'une après l'autre, happées par l'autorité locale et le ravin creusé par le Rhumel. Ce sont toutes ces perspectives de beauté et de détresse que l'on retrouve dans l'ouvrage Constantine, citadelle des vertiges(1), dont les textes sont signés par le journaliste-sociologue Abdelmadjid Merdaci et l'illustration assurée par le photographe Kouider Metaïr. Le texte de Merdaci réussit le pari de l'universalité et du partage : son attachement viscéral à l'antique Cirta se traduit par une approche qui lie sensibilité et rigueur. Mais aussi sens du partage de sa passion en revisitant les lieux et les noms de sa cité. Il explique le sens de « la prise de la ville », idée matricielle de la lutte nationaliste, mais aussi de la découverte pierre par pierre de cette « île aérienne ». L'histoire est convoquée sans ambages : faire parler Flaubert et évoquer Massinissa, rappeler Malek Haddad et appeler la regrettée Najia Abeer, citer Ben Badis et prendre le temps d'écouter Cheikh Raymond. Le texte est sonore. Plein de bruits et de rumeurs. Constantine en univers connaissant une série de big-bang depuis plus de 2500 ans conforte, écrit Merdaci, « la thèse récurrente du mythique Sphinx renaissant de ses cendres ». Cendres dont on retrouve les traces dans la moindre parcelle de la souika menacée de mille ruines. La ville envoûte et enchante ; Kateb Yacine dans le ventre de la falaise, dans ce foundouk underground, l'aura vu et compris, saisi et magnifié. Bémol de l'ouvrage : les photographies qui semblent pécher par un langage conventionnel qui contredit l'intrépide fantasmagorie quotidienne de la ville. Peut-on porter un regard strict sur une cité décentrée, ouverte sur le vertige des siècles, slalomant entre plusieurs niveaux de conscience ? Mais l'ouvrage est là et participe déjà au corps textuel de la cité des horizons suspendus. Espérons juste que la Souika lui survive. Eternellement. Constantine, citadelle des vertiges, de Madjid Merdaci- Photos de Kouider Metaïr éditions Edif 200, Media plus et Paris Méditerranée