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Les charmes de Dame Nature
Un été sur la côte Béjaouie
Publié dans Liberté le 05 - 07 - 2004

C'est l'été. La côte béjaouie n'arrive pas à contenir le flot humain qui se déverse sur ses plages en cette période de canicule. Notre reporter s'est rendu sur les lieux.
Lui, affiche une cinquantaine bien tassée et plutôt bedonnante. Elle, un tantinet grassouillette, affiche le look de la provinciale qu'une dizaine d'années passées à Paris ont à peine dégrossi des lourdeurs et gaucheries paysannes. Les enfants, trois marmots boutonneux, sont assis à l'arrière d'une 406 break immatriculée à Marseille. Ils viennent tout juste de se garer devant un marchand de légumes. Madame hume longuement un melon tandis que monsieur marchande un kilo de pêches. Les émigrés sont là. Ils reviennent chaque année à la même période, fidèles à la terre qui les a vu naître comme les cigognes. À 115 DA l'euro au change parallèle, ils peuvent s'offrir de belles vacances pour pas cher. De quoi jouer les nouveaux riches à moindres frais et oublier un peu les frustrations d'une année de métro-boulot-dodo dans une banlieue crado de Paris ou Marseille. Un temps passé à se serrer la ceinture à s'en péter la panse.
Bougie-Tichy. Sur une toute petite portion d'autoroute, les voitures filent à vive allure. C'est à peine si vous avez le temps de prendre la voie de gauche qu'un gringalet au volant d'un bolide rutilant vous presse à coups d'appels de phares de la libérer. Nous sommes à l'entrée de Tychy, une station balnéaire de la côte bougiote et qui voit chaque été sa population multipliée par dix. Même défigurée par une poussée anarchique du béton et clochardisée par la prolifération des cabanes de roseaux qui vendent tout et n'importe quoi, elle reste cette perle rare pour tous ceux qui entendent partir en villégiature à Bgayeth. Première halte auprès d'un magasin d'alimentation générale pour faire le plein d'eau minérale. Le vendeur n'est pas vraiment submergé par la clientèle. “Habituellement, il faut attendre le 5 juillet pour voir la saison estivale démarrer réellement. On travaille du 5 juillet au 20 août. Ce n'est pas suffisant pour se refaire une santé”, nous précise-t-il. De Bougie jusqu'à Jijel, ce sont des kilomètres d'une côte qui trustent tous les qualificatifs et tous les superlatifs. Une sorte de Côte d'Azur au naturel. Plutôt populeuse. Sans jet-set et sans glamour. C'est à Melbou que commence cette fameuse Corniche d'Or qui sidère et séduit le voyageur. Des criques, des plages de galets ou de sable fin, des rivières et une montagne qui surplombe la mer du haut de ses falaises.
Melbou, 16 heures pile poil. Sur un parking qui surplombe la plage, Hafid, 30 ans, sétifien de souche, danse au son d'une chanson raï, serviette sur son dos rougi par le soleil. Pour une demi-bouteille d'eau minérale chaude à vous brûler le gosier, il nous raconte qu'il travaille en fraude. Le matin, il embarque quatre copains à bord de sa vieille 405, direction Melbou. À raison de 300 DA la place, il a de quoi s'offrir un sandwich, quelques litres de mazout et mettre de côté un petit pécule tout en profitant de sa journée. “les poids lourds nous gâchent la vie sur la route. Je préfère encore ma taftaffa. Pour venir ici, il y a pas mieux et je ne l'échangerai pas pour une Mercedes”, dit-il. Par taftaffa, entendre la moto bécane qui permet à des centaines de jeunes de fuir la canicule des Hauts-Plateaux pour la caresse des vagues. Ces jeunes, d'ailleurs, constituent l'essentiel de la clientèle des paillotes et petits bouis-bouis qui squattent les plages. Pour renflouer l'économie locale, ils tombent à pic. Comme les falaises de Melbou.
À partir des Falaises, la route est étroite et sinueuse. C'est les gorges du Vercor en plus étroit. Chaque camion, chaque bus qui passe provoque des bouchons à n'en plus finir. Il faut alors manœuvrer des heures durant pour s'en sortir. Tout le monde s'improvise policier pour réguler la circulation.
À Ziama, sur le site des Grottes merveilleuses, peu de monde en ce mercredi, dernier jour de juin. Les grottes sont fermées depuis deux jours. Le petit musée de la nature appartenant au Parc national de Taza l'est également. Pas d'électricité, pas de visites. C'est sans conteste l'un des plus beaux sites touristiques d'Algérie. Une rivière d'eau claire qui coule entre deux montagnes, une très belle plage, une nature généreuse et sauvage, mais une étrange impression d'abandon. Du haut du pont qui enjambe la rivière, on peut voir un seul groupe de baigneurs placides qui profitent des eaux claires du oued : un troupeau de bovins venus se rafraîchir. Aucun campeur ne s'est encore installé.
Au parking, c'est Hamza qui officie. Du haut de ses quatorze ans, il gère une table de cigarettes qu'il revend au détail et le stationnement payant. “M'dayer tabla”, dit-il quand on l'interroge sur sa présence sur ces lieux. Pour lui aussi, la haute saison ne commence que le 5 juillet. Chaque été, la région connaît une remarquable affluence touristique, mais c'est bien peu par rapport à son potentiel. Dieu sait pourtant s'il y a des choses à voir. Les gorges de oued Dar El Oued, la grotte de Sougar, la forêt de Guerrouch, les gorges de oued Taza, son cimetière préhistorique, la plage des Aftis et autres merveilles de la nature sont peu connues du grand public.
Passées les grottes, sur le chemin du retour, je m'arrête un instant pour admirer le paysage. Aussitôt, une famille de singes macaques surgie de nulle part, entoure mon véhicule pour quémander quelque chose à se mettre sous la dent. Malheureusement, je n'ai rien à offrir à mes cousins primates qu'un sourire compatissant et dont ils n'ont que faire.
Retour sur Melbou et petite pause au plus vieux bar de la région. Celui que l'on a coutume de désigner sous le nom de dernière halte alcoolisée avant le grand désert des soiffards en allant vers Jijel. L'établissement semble bien fréquenté au vu du nombre de véhicules stationnés sur les deux côtés de la chaussée. La modeste taverne de jadis s'est muée en l'une de ces boîtes qui pullulent sur la côte et qui offrent un mélange détonnant d'alcool, de femmes et de musique raï. Sur la terrasse avec une vue imprenable sur la grande bleue, derrière un homme-orchestre, un cheb maigrichon déverse sa malvie dans un flot de décibels assourdissant. Une nuée de fausses blondes aux formes plantureuses et aux tenues suggestives papillonnent de table en table à la recherche du pigeon éméché qui leur tomberait tout rôti dans le bec. Les clients, pour la plupart des jeunes dans la trentaine, semblent avoir la bière triste. Les chopes sont pleines mais la piste de danse reste désespérément vide. Le patron, que je finis par dénicher à l'entrée en train de prendre le frais, est sceptique quand on évoque la saison estivale. “Il n'y a pas de tourisme sur la côte. D'ailleurs, nous n'avons ici ni téléphone fixe, ni Djezzy, ni GSM. Il n'y a que la prostitution qui marche. La plupart des boîtes qui existent sont des maisons closes. L'économie de la côte bougiote repose sur Sidi Belabbès et Tiaret. La population a fait des pétitions pour dénoncer cet état de choses mais elles sont restées lettre morte”, dit-il. Son verdict est implacable. Sans femmes, il faut fermer boutique. “Allez donc voir ailleurs comment cela se passe”, nous suggère-t-il. Lui se défend de faire dans la prostitution. Les femmes ne sont là que pour le décor. Elles tiennent compagnie aux clients. Il nous précise que dans un établissement comme le sien, elles peuvent tout au plus se faire 1 000 DA par jour. Ailleurs, avec les passes, c'est dix fois plus. “Cette année, notre chiffre d'affaires est réduit de 70%. S'il n'y a rien d'ici le 5 juillet, c'est foutu. Pour le moment, on est en train de remplir nos congélateurs de poissons et d'attendre que ça change”, ajoute-il dépité. Tandis que nous en discutons, deux pêcheurs arrivent et lui proposent leur prise du jour. Deux gros poissons, des galilettes et du pageot gros yeux. Chaque soir, c'est le même rituel. Emballez, c'est pesé.
À propos d'aller voir ailleurs et pour en avoir le cœur, il faut bien se décider à investir l'un de ses tripots dont on parle tant. C'est un hôtel bar-restaurant situé dans un endroit que nous ne nommerons pas. L'ambiance est glauque. Des hommes et des jeunes femmes aux tenues aguichantes devisent en sirotant leur bière. J'avise l'une de ces créatures peinturlurées et l'invite à ma table. Je décline ma profession et lui fait comprendre honnêtement que ses atours ne m'intéressent pas et que je ne suis là que pour les besoins de mon enquête. Elle accepte de parler pour un verre offert et un paquet de cigarettes. Originaire de l'ouest du pays, elle a débuté dans le métier il y a tout juste un mois et demi, racolée par ses copines. Elle est là à l'écoute du client qui ne fait pas toujours que papoter. Elle monnaye ses charmes, 1 600 DA si monsieur le désire. 1 000 DA pour elle et 600 pour la chambre. Elle gagne ainsi deux à trois briques par mois et fait vivre sa famille qui la croit coiffeuse à Alger.
Du dire de tous, la haute saison sur la côte n'a pas encore commencé, mais il va de soi que le tourisme fait vivre beaucoup de gens. Surtout le tourisme sexuel.
D. A.


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