Les habitants de Bab El Oued n'ont plus goût à la vie ; les gangs, qui gangrènent ce quartier mythique de la capitale, rendent leur quotidien difficile. Se sentant lâchés et délaissés par les autorités, ils comptent mettre de l'ordre à leur façon. Aujourd'hui, ils ont décidé de suspendre la circulation sur la route menant aux Trois-Horloges, le rond-point de toutes les discordes. Un calme précaire régnait hier à Bab El Oued, plus exactement au lieudit Trois-Horloges. Les petits marchés informels des rues adjacentes étaient quadrillés par des éléments de la police, suite à la nuit mouvementée qu'a connue le quartier vendredi dernier. On dénombre deux blessés : un civil et un policier. Les habitants, lassés par les promesses non tenues de la sûreté de daïra, concernant l'éradication des gangs, ont décidé de passer à l'action. «Aujourd'hui, en bloquant la circulation, c'était une manière d'interpeller les pouvoirs publics sur le danger qui nous guette», selon leurs dires. Pour les représentants des habitants de Bab El Oued, s'exprimant sous couvert de l'anonymat par peur de représailles, «le laxisme des autorités ne fait que perdurer. Ce qui laisse le champ libre aux délinquants d'agir en toute impunité. Le nouveau commissaire principal Abdelghani Derrar a de bonnes intentions. Mais nous avons constaté qu'il n'y avait pas assez d'opérations pour mettre fin à la terreur des chefs de gangs». Bab El Oued vit ces deux dernières années au rythme de violents affrontements qui opposent des clans. Ces derniers sont constitués de jeunes, des repris de justice pour la plupart, originaires de Carrière Joubert, de Climat de France et de marché Lekbir. Les chefs de gangs, une quinzaine environ, se sont lancés dans une guerre sans merci. Leur objectif, c'est d'avoir l'exclusivité pour vendre de la résine de cannabis et des psychotropes. La conquête du territoire, digne d'un film à la Scorsese, n'a pas été sans dramatiques conséquences. Il y a eu mort d'homme par le passé. Le nombre de blessés est des plus inquiétants au vu de la chronologie des événements. Ce tragique scénario envenime la vie des familles. Elles n'ont qu'un seul désir : quitter Bab El Oued, mais pour aller où ? Plus loin, les représentants des habitants dénoncent un commerce de drogue au vu et au su de tout le monde. «Des vendeurs de l'informel ont mis sur pied des étals grâce auxquels ils peuvent écouler leurs stupéfiants. Ils vendent des chaussettes, des chemises et des polos, tandis que sous la table, ils peuvent vous vendre des plaquettes de cannabis. Les acheteurs proviennent des 48 wilayas, sans oublier des émigrés qui affluent en été, car le produit n'est pas cher comparativement aux prix pratiqués en Europe», témoigne-t-on. Toto Riina n'est pas loin Pour nos interlocuteurs, Bab El Oued va exploser. «L'absence de l'Etat est une insulte à notre égard. Nous ne savons pas pourquoi. Serait-ce parce que Bab El Oued a été le fief de l'islamisme au début des années 1990 ? Les habitants de la commune pensent dans leur grande majorité que c'est une vengeance étatique.» Outre la recrudescence des actes de banditisme, ce qui fait craindre les «Babelouadis», c'est la hiérarchisation des clans. Selon eux, «les gangs adoptent les coutumes du crime organisé, un peu à la sauce italienne». Un médecin natif de Bab El Oued ajoute : «D'ici quelques années, il ne sera pas étonnant de voir à Alger, des gangs copie conforme de La Camora ou de la Cosa Nostra.» Pensant que «l'Etat veut créer une délinquance institutionnalisée», les habitants veulent prendre les choses en main. «Nous serons les justiciers du quartier. Vendetta oblige», indiquent-ils.