Témouchent grouille d'estivants ces jours-ci. Sur la RN2, c'est un continuel cortège de véhicules. L'automobiliste ou le passager transbahuté apprécierait grandement quelque distraction sur son chemin. Comme par exemple, à 3 km après El Maleh, dans la direction d'Oran, s'il pouvait apercevoir une inexistante stèle indiquant que là, au lendemain de l'Aïd Seghir de l'an 1518, soit le 30 septembre vers 23h, avait péri Baba Arroudj. Là, à 54 ans, le plus célèbre des corsaires de la Méditerranée fut transpercé d'une lance. Deux raisons au moins militent en faveur de l'érection d'un monument, la première étant que le lieu de la dernière bataille livrée par Baba Arroudj a été longtemps sujet à controverse. En effet, le brevet conférant la noblesse à Garcia Fernandez de la Plaza pour avoir tué de sa main Baba Arroudj, bien qu'il relate en détail les circonstances de l'événement, est vague sur le lieu des faits. C'est H.-D. Grammont qui, en 1878, dans le n°22 de Revue Africaine, qui rétablit les faits dans leur conformité. Mais encore sur les lieux voisins, pour avoir été le champ de bataille d'un autre affrontement entre Turcs et Espagnols, des centaines de cadavres les jonchèrent d'où le nom «talweg de chair» donné à l'agglomération de Chabat El Laham. Deuxièmement, l'homme n'était pas n'importe qui, puisqu'il fut, avec son frère cadet Kheir Eddine, le fondateur de la Régence d'Alger et celui qui donna à l'Algérie ses premières frontières, celle du Nord, le Sahara étant alors encore «blad essiba». C'est lui qui, depuis, fit d'Alger la capitale de l'Algérie. En outre, dans une région où pullulent les koubbas de marabouts, il n'y a ni sépulture, ni un quelconque repère pour indiquer où repose le corps de Baba Arroudj, lui qui avait perdu un bras dans une bataille et dont la tête avait été coupée pour être emportée en guise de trophée. Par l'érection d'un monument, c'est tout un pan de l'histoire d'Algérie qui ressurgirait dans l'esprit du voyageur, lui rappelant un repère comme il en manque tant à une identité nationale émiettée. Cela serait opportun à l'heure où bat son plein la manifestation «Tlemcen, capitale de la culture islamique», car l'événement est en rapport étroit avec l'histoire islamique de l'Algérie et de Tlemcen en particulier. Cela serait tout aussi opportun, à l'instar de la stèle érigée à 30 km de là, à l'endroit où le Traité de la Tafna avait été conclu et où l'évocation est double par la dénomination du village qui voisine le lieu : Emir Abdelkader. Mais que rappellerait exactement cette stèle ? Qu'à une époque lointaine, une fois que la Reconquista récupéra l'Andalousie, elle passa littéralement à l'abordage de la rive sud de la Méditerranée. Le Maghreb central était écartelé entre de multiples principautés (Etats villes, Etats tribus), sur lesquelles régnaient des roitelets qui se faisaient la guerre. Les uns après les autres firent appel à Baba Arroudj pour les sauver du péril espagnol. Les villes du littoral furent libérées une à une. De Tlemcen sous le règne périclitant de la dynastie zianide, les habitants demandèrent secours à Baba Arroudj contre leur souverain Abou Moussa. Les Espagnols, s'inquiétant de la pénétration du Turc à l'Ouest, mettent en branle une armée de 10 000 hommes en renfort en direction de Tlemcen. C'est au cours de son repli, là où sur la RN2 se succèdent deux ponts contigus sur les oueds El Maleh et Chabat El Laham, que Baba Arroudj livra son dernier combat.