Le directeur de TV Tamazight se livre au jeu dangereux du fractionnement ethnique. Des animateurs et des producteurs radio apportent de nouveaux témoignages. «Le pouvoir a placé un anti-amazigh à la tête de la chaîne amazighe.» La situation au sein de TV Tamazight a presque atteint le seuil du pourrissement depuis que des journalistes et animateurs de la chaîne IV ont osé dénoncer courageusement et publiquement les agissements de leur directeur. Les représailles et les pressions multiples continuent de s'abattre sur eux alors que la commission d'enquête interne, diligentée par le ministère de tutelle, vient à peine d'achever l'audition de tout le personnel de la chaîne. Pendant ce temps, malgré les graves accusations portées contre lui, le directeur de la chaîne n'a fait l'objet d'aucune mesure conservatoire. Les témoignages poignants, livrés par ses victimes et leurs larmes de rage et de dépit devant les membres de la commission n'ont apparemment pas incité la tutelle à le relever temporairement de ses fonctions pour permettre à l'enquête interne de se dérouler de manière impartiale. Il continue de diriger la chaîne comme si de rien n'était, tout en se livrant à un innommable travail de fractionnement entre ethnies berbérophones, dressant Mozabites, Chaouis et Targuis contre «des Kabyles qui veulent accaparer la chaîne». Encore une fois, c'est la fameuse carte du «complot kabyle» qui est brandie. Ainsi, des rumeurs insidieuses sont savamment distillées à l'encontre des journalistes qui ont osé s'exprimer pour les faire passer aux yeux de tous comme de dangereux agitateurs liés au MAK et au RCD. Saïd Lamrani se prend désormais pour le général Betchine qui s'est retrouvé au cœur d'une tourmente politico-médiatique il y a de cela quelques années. «C'est un complot kabyle. A travers ma personne, c'est le président de la République qui est visé», dit-il à qui veut l'entendre. Rien de moins. C'est le journaliste et présentateur Cherif Mameri qui est nommément accusé de comploter pour prendre la direction de la chaîne. Contacté, celui-ci répond : «Je n'ai jamais été intéressé par ce poste. Toute ma vie j'ai fait du terrain, sillonnant l'Algérie du Nord au Sud et d'Est en Ouest. Je serais encore heureux de le faire, pourvu qu'il y ait la santé. Seulement, je dois dire qu'en 22 ans de métier, je n'ai jamais vu un comportement qui tend à dresser les composantes amazighes au sein de la rédaction les unes contre les autres comme le font actuellement le directeur et le sous-directeur. C'est très grave et dangereux!» Parallèlement à cela, depuis la publication par El Watan de ce qui est convenu d'appeler le scandale de la chaîne amazighe, ce sont des dizaines de journalistes, animateurs radio, chanteurs et producteurs qui ont pris attache avec notre journal pour apporter leurs témoignages. Beaucoup de ces travailleurs de la Chaîne II de la radio ont tenu à apporter leur soutien et à exprimer leur solidarité avec leurs collègues de la télévision. Le passage de Saïd Lamrani à la Chaîne II de la radio a laissé de douloureuses séquelles. C'est l'histoire d'un ennemi déclaré de la culture berbère, d'un adepte des pratiques de la censure viles et serviles qui se révèle dans toute son horreur. A travers ce personnage, c'est également le traitement hypocrite réservé par l'Etat à la promotion de la culture amazighe qui se dessine en filigrane. M. K, producteur radio, 30 ans de métier, en parle : «Cet homme est la censure elle-même. C'est quelqu'un qui a gardé l'esprit du parti unique et qui censurait même quand personne ne le lui avait demandé. Par excès de zèle. Pour faire plaisir à ses maîtres. Au départ, je voyais les filles sortir de son bureau en larmes et je ne comprenais pas. Par la suite, j'ai su à quoi il se livrait. Le plus grave avec lui, c'est la responsabilité de ceux qui ont décidé de lui confier la chaîne IV. Comment ont-ils osé mettre à la tête d'une chaîne amazighe quelqu'un de foncièrement anti-amazigh ?» Auteur dramaturge, aujourd'hui à la retraite, Saïd Zanoun tient à témoigner sans anonymat : «J'ai réellement enduré avec Lamrani. J'ai été censuré à plusieurs reprises. Lui qui n'a jamais écrit et ne peut écrire était responsable de tous les dépassements à l'encontre des artistes, comédiens et créateurs. Bannir ou interdire à l'antenne toute création et intelligence était son jeu préféré. Faites une enquête messieurs et vous verrez qu'il a porté atteinte à la radio, à la télé, au peuple et à l'Algérie entière.» Cet ancien animateur de plusieurs émissions radiophoniques et chanteur d'un célèbre groupe des années 1980 a tenu également à apporter son témoignage : «A mon premier contact avec lui, Saïd Lamrani m'a interdit de prononcer le mot amazigh ‘azul'. Avant de passer à l'antenne, moi et mes coanimateurs devions lui remettre, pour lecture, tous nos textes. Et le lendemain, carnet à la main, il nous convoquait dans son bureau pour interrogatoire… Pourquoi citer ce nom, pourquoi cette information et cette idée d'où l'avez-vous recueillie ? Pour lui, tout ce qui est kabyle est pervers. On l'a traîné comme un boulet.» Sonia Aït Ahmed, veuve Ladjadj, brillante animatrice de l'âge d'or de la Chaîne II de la radio, a également tenu à apporter publiquement son témoignage : «Je peux vous dire que je n'étais pas la seule victime de ses agissements. Je tiens à témoigner publiquement car j'ai déposé plainte contre lui pour harcèlement moral et sexuel en novembre 1995, au tribunal d'Alger. Lamrani était mon responsable et j'ai personnellement déposé plainte contre lui au commissariat de police du boulevard des Martyrs et il m'a envoyé deux jeunes femmes de main pour me tabasser. Je m'en suis sortie avec 21 jours d'incapacité de travail pour coups et blessures. L'affaire ayant été vite étouffée, j'ai préféré quitter mon travail que de l'avoir comme responsable.» Appelons-la Zakia. C'est une animatrice vedette de la chaîne, une icône adorée et respectée de ses milliers d'auditeurs : «Que de mauvais souvenirs avec ce soi-disant responsable. Alors qu'il était sous-directeur à la Chaîne II en 1992/93, j'ai été censurée à maintes reprises pour avoir simplement couvert les activités d'une association ayant célébré le Yennayer berbère. Il me disait : Toi tu es berbériste, tu fais de la politique ici à la radio. A compter d'aujourd'hui, tu passes au bureau me lire tes papiers. Je t'interdis de sortir en reportage. Dans ton émission, je ne veux entendre dorénavant que de la musique. Et puis, il faut me tenir informé de toutes les chansons choisies avant leur diffusion !» En tout état de cause, nous ne pouvons faire part de tous les témoignages de censure et de harcèlement moral et sexuel. Il faudrait pour cela toutes les pages de ce journal. En dernier recours, plusieurs victimes de harcèlement sexuel ont décidé de se tourner vers la justice pour obtenir réparation, soutenues en cela par le Syndicat national des journalistes qui a pris l'affaire en charge. Débarqué de la radio à l'âge de la retraite, Saïd Lamrani, personnage sans consistance qui ne s'est fait connaître que par ses excès et ses dépassements en tout genre, s'est vu offrir sur un plateau d'argent le projet historique de mettre au monde la première télévision amazighe nationale. Hélas, à l'heure de compter les résultats, on ne peut que constater les dégâts.