Le 1er août 1996, l'évêque d'Oran, Pierre Claverie, fut le dernier mort d'une liste macabre de 19 religieux chrétiens tués en Algérie entre 1994 et 1996. Un hommage lui est rendu par ses pairs. Avignon (France). De notre correspondant Il y a quinze ans, l'évêque Pierre Claverie était tué à son retour de France, via Alger, en compagnie de son chauffeur, Mohamed Bouchikhi. Le 1er août 1996, à peine leur voiture était-elle arrivée à l'évêché d'Oran, qu'une puissante bombe explosait, ne leur laissant aucune chance de survie. Quelques semaines après le meurtre des moines de Tibhirine en mai 1996, ce nouvel assassinat d'un religieux chrétien en Algérie était le dix-neuvième depuis mai 1994. Les frères Dominicains de la Province de France dont était issu le prélat ont voulu en cet anniversaire lui rendre hommage. Adrien Candiard a rédigé un texte, Pierre et Mohamed, qui retrace en une heure le parcours et la pensée d'un homme ouvert au dialogue. Il a été donné à la chapelle de l'Oratoire, et sera vu lors d'une tournée en plusieurs lieux. A partir de nombreux textes, écrits en cette époque troublée du terrorisme, il redonne vie non seulement à Pierre Claverie, mais aussi à Mohamed, son chauffeur, dont l'auteur imagine l'état d'esprit avant le jour fatidique. La pièce est interprétée par Nâzim Boudjenah, pensionnaire de la Comédie-Française, et le musicien Francesco Agnello. Le message distillé n'a rien perdu de son actualité, alors que les différents intégrismes religieux, ou politiques, se font de plus en plus violents dans le monde. Le prêtre écrivait : «Découvrir l'autre, vivre avec l'autre, entendre l'autre, se laisser aussi façonner par l'autre, cela ne veut pas dire perdre son identité, rejeter ses valeurs, cela veut dire concevoir une humanité plurielle, non exclusive.» ENFANT DE BAB El OUED Pierre Claverie est né à Bab El Oued le 8 mai 1938. Après des études achevées en France, il revint après l'indépendance en Algérie, afin, disait-il, de «redécouvrir ce monde que j'avais ignoré». Il était évêque d'Oran depuis 1981, faisant «l'expérience (…) avec des milliers d'Algériens dans le partage d'une existence et des questions que nous nous posons tous». Nazim Boudjenah est le fils du militant communiste Ali Boudjenah, qui a quitté l'Algérie au lendemain du coup d'Etat de Boumediene en 1965, et qui est décédé en février dernier à Paris. Le comédien explique son goût pour le métier d'acteur : «Pierre Claverie parle des masques qui évitent de voir la réalité en face. Moi, je crois qu'à l'adolescence je n'avais pas envie de porter de masque. Dans un deuxième temps, je me suis rendu compte qu'il fallait, alors j'ai choisi d'en porter plusieurs. En devenant comédien. Je peux investir plusieurs types de caractères, de voir le monde de plusieurs façons.» C'est en cela, précise-t-il, «que la religion m'intéresse, non pas d'un point de vue confessionnel, d'appartenance, mais plutôt pour les façons de penser l'humanité pour un chrétien, un musulman, un juif, un bouddhiste… J'aime vivre les différences et les similitudes. Les religions ont toutes pour but le développement de l'individu et de l'individu en société.» Ce qu'il a aimé dans la personnalité de Pierre Claverie, c'est qu'il était «un homme engagé pour la vérité». UNE HOMME DE GRANDE TOLéRANCE Il est engagé pour la défense de la fidélité, de l'amitié, du dialogue entre les peuples, car la vérité est là, et pas dans le prosélytisme. «Chez les Dominicains, j'ai déjà joué Les Psaumes dans la traduction de Paul Claudel. Tout ce qui a trait à la spiritualité m'intéresse. Je n'ai jamais senti qu'on me regardait comme Algérien. Je n'ai jamais senti qu'on me regardait comme un étranger. Je n'ai vécu ni racisme ni défiance. Je suis d'abord celui qui porte une parole de partage. Dans la mesure où moi-même je n'ai pas envie d'avoir une étiquette, je suis acteur, instrument des pensées, diseur, conteur.» En tout cas, il est le chantre d'une parole qui engage et ouvre des portes. Les plus fraternelles.