Connu pour sa discrétion depuis qu'il a quitté ses fonctions de gouverneur de la Banque d'Algérie, Abderrahmane Hadj-Nacer est récemment sorti de son silence en composant un premier essai : La Martingale algérienne publié aux éditions Barzakh. Connu pour sa discrétion depuis qu'il a quitté ses fonctions de gouverneur de la Banque d'Algérie en 1992, Abderrahmane Hadj Nacer est récemment sorti de son silence. En composant un premier essai, l'un des plus jeunes à avoir été nommé au poste de banquier central, veut apporter sa contribution au débat, en ces temps marqués par des velléités de contestation et d'aspiration au changement. La Martingale algérienne, publié aux éditions Barzakh, est plus qu'une réflexion sur une crise. L'ouvrage de Hadj Nacer dépasse les postulats connus de tous à propos de la généralisation de la corruption et des comportements de recherche de la rente. C'est une autocritique, une introspection de l'absurdité du fonctionnement d'un système. C'est aussi l'émanation de la volonté d'un homme qui «bascule, à 60 ans, dans un autre âge» et veut initier un débat avec les jeunes sur le changement. Un changement qui ne devra pas passer par la négation de ce qui a été fait jusque-là, sa philosophie de base étant de «ne rien effacer et d'apprendre des erreurs du passé». C'est dans une approche khaldounienne que l'ancien gouverneur de la Banque d'Algérie outrepasse l'analyse économique pour un autre exercice : l'exposé anthropologique. «Chaque peuple a un génie qui lui est propre. On ne peut pas avancer lorsqu'on tourne le dos au génie d'un peuple», nous a-t-il confié en marge d'une séance de vente-dédicace, à Alger. Le défi est, pour lui, d'affermir une gouvernance assise sur un Etat fort et des institutions pérennes. Instaurer la citoyenneté ainsi que le contrat social en lieu et place de l'allégeance aux clans et à la rente. Un processus qui passe par une équation à quatre variables : pas de développement durable sans conscience de soi ; pas de gouvernance sans l'existence d'une élite nationale ; pas d'économie performante sans démocratie et pas d'avenir sans notre identité. Cette conscience de soi qu'on a aliénée au nom de la modernité. L'expérience du M'zab, d'où est originaire la famille de l'auteur, et sa stabilité historique est d'ailleurs bien présente dans le propos selon lequel la destruction des organisations et structures sociales s'est traduite par une aliénation pure et simple des populations, laquelle engendre la haine et l'obscurantisme. C'est aussi un défi aux élites à se réconcilier avec soi-même. Des élites que le pouvoir a d'abord cooptées. Le pouvoir a également entrepris, sous le couvert du socialisme, une chasse aux élites économiques, lesquelles n'ont pas de conscience de classe ni de base sociale ; elles n'ont pas non plus d'alliés à l'extérieur et «il est frappant de voir à quel point les élites algériennes manquent de relais et de soutiens à l'étranger. Elles n'ont pratiquement ni réseaux ni carnets d'adresses». Restaurer l'Etat dans ses fonctions régaliennes M. Hadj Nacer pense que le développement économique est intimement lié à la démocratie et à la création de contre-pouvoirs pour bénéficier d'une critique constructive. Aussi, la gestion centralisée affaiblit l'Etat. Celui-ci s'est trouvé seul investisseur légitime et on n'a plus jamais séparé la gestion de l'entreprise de la gestion du politique. «Depuis les années 1990, on a affaibli l'Etat. Et l'affaiblissement de l'Etat se manifeste par un contrôle direct de l'économie. Or un pouvoir, quelle que soit sa force, ne peut pas tout contrôler», nous a confié l'ancien banquier. Il préconise dans ce sens la restauration d'un Etat fort, assis sur le triptyque institution, autorité et discipline, dans ses fonctions régaliennes. On a bien tenté de le faire, selon lui. Or, la rente pétrolière a de tout temps réduit à néant les tentatives de réformes et a renforcé les monopoles élargissant à chaque fois la gabegie et la corruption. Cela ne justifie pas pour autant, avertit l'ancien patron de la Banque centrale, de tomber dans les ruses du système selon lesquelles les malheurs de l'Algérie sont issus de la malédiction du pétrole et de la main de l'étranger, usant même à outrance de concepts analogues au patriotisme économique alors que les efforts de développement entrepris ont surtout profité aux entreprises étrangères. Le fait est que tout processus d'arbitrage et de prise de décision a été délocalisé à l'étranger. Pour illustrer cet état de fait, M. Hadj Nacer précise que «pendant que Carlyle décide qu'Orascom sera le détenteur de la licence de téléphonie mobile, l'arbitrage se résume au partage du reliquat de la rente». Tous ceux qui espéraient quelques révélations fracassantes de l'ancien gouverneur de la Banque d'Algérie resteront cependant sur leur faim en abordant le chapitre consacré à la gestion de la dette extérieure et son rééchelonnement. Un laïus a toutefois été dédié à Mouloud Hamrouche, qui voulait engager le rééchelonnement de la dette extérieure en mars 1991 «pour ne pas laisser ce fardeau à son successeur». Hadj Nacer, qui voulait garder «une distance critique», se laissera dire qu'«il est très rare de trouver face à soi quelqu'un qui a un comportement d'homme d'Etat…»