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« La crise va exclure l'Algérie des lieux de négociation stratégique »
L'ancien gouverneur de la banque d'Algérie Abderrahmane Hadj Nacer prévient
Publié dans El Watan le 30 - 10 - 2008

Le banquier international, ancien gouverneur de la Banque d'Algérie, lance une alerte pressante. La crise financière est en train de redistribuer les cartes. L'Algérie est en passe de ne plus être un interlocuteur parmi les pays du Sud.
La crise financière mondiale est en train d'exclure l'Algérie des cadres de négociation stratégique multilatéraux. » Le banquier international Abderrahmane Hadj Nacer, ancien gouverneur de la Banque d'Algérie, a usé d'un ton alarmant dans un entretien accordé à El Watan, pour décrire la brutale accélération des évènements sous l'effet de l'effondrement des capitalisations boursières depuis la mi-septembre et du passage de la crise à l'économie réelle déjà perceptible au dernier trimestre de l'année. Les grands pays industriels se sont lancés dans la définition d'un nouveau système financier international, « un Bretton Woods 2 » et configurent les formats et les lieux de négociation. Un premier sommet du G20, auquel participent l'Afrique du Sud pour le continent noir et l'Arabie Saoudite pour le monde arabe, aura lieu le 15 novembre à Washington pour lancer le chantier du recadrage des pratiques financières internationales. « L'Algérie figure parmi les pays qui vont être poussés à la lisière du système. » M. Hadj Nacer évoque les tentatives qui se profilent pour déplacer les lieux de discussion et leurs composantes par pays. Il s'agira, pour lui, d'être notamment très attentif à l'évolution du rôle et de la composante de divers centres de coordination, à l'instar du Comité monétaire et financier international (CMFI) du FMI, l'ancien comité intérimaire du FMI, passé de 22 à 24 pays, une instance qui reflète le conseil d'administration. « Le CMFI est un lieu de négociation peu connu. Les pays membres sont représentés par le gouverneur de leur Banque centrale ou leur ministre des Finances et l'on peut s'y interpeller de manière informelle sur des questions clés de la régulation de l'économie mondiale. De fait, loin du regard des médias, c'est là que se négocient les orientations qui vont marquer les forums économiques multilatéraux, y compris celles du G8 », car les pays industrialisés et ceux du Sud peuvent s'y consulter.
« On vient de désigner notre remplaçant »
L'Algérie siège au CMFI pour le compte d'un groupe de pays d'Afrique du Nord et d'Asie. Sa participation est ancienne et même si elle est restée discrète, elle a toujours servi à exposer un point de vue autonome sur les enjeux de l'organisation du système financier international. « La participation de l'Algérie au comité intérimaire puis au CMFI repose sur une double légitimité. Il fallait que le Tiers-Monde soit représenté par un pays pivot, ensuite ce pays s'est conduit de manière sage en s'ouvrant dans les années 1980 et 1990 », devenant au sein de cette instance un grand pays témoin des transitions vers l'économie de marché. L'ancien gouverneur de la Banque d'Algérie se rappelle une discussion « avant l'heure » au sein du CMFI au début des années 1990 sur « les barrières non tarifaires » dressées par les marchés des pays avancés devant les produits du Sud. La crise en cours peut mettre fin à cette présence. Le Bretton Woods 2 en préparation se promet de tout chambouler, y compris les cadres de concertation multilatéraux efficaces comme le CMFI. « Des noms d'autres pays de la région commencent à circuler. Je ne veux manquer de respect à personne, mais le sentiment est que ce qui se prépare c'est la cooptation de pays qui disent oui. Il faut bien comprendre que nous vivons un moment clé. Le moment qui correspond à la montée de l'impuissance des puissants. On peut redouter une réaction dure des puissants, surtout lorsqu'ils s'effondrent. Cela passe pour les pays dominants du système actuel par un réaménagement des règles et des lieux de négociation de sorte à gagner du temps face à ce qui se profile. Et ce qui arrive, c'est la rentrée pour la première fois dans l'ère du vrai multilatéralisme. » Avoir des vis-à-vis en Afrique qui ne portent pas de « projets alternatifs » à ce que proposent les pays industrialisés sur la nouvelle régulation de l'économie mondiale est subitement devenu très important. Cela est une manière de prolonger un ascendant dont la crise actuelle a annoncé les proches limites. Face à « l'arrivée des nouveaux acteurs de la puissance » que sont la Chine, l'Inde et les autres pays émergents : « C'est de la re-captation de pouvoir. » Pour Abderrahmane Hadj Nacer, les trois pays africains qui représentent des « interlocuteurs légitimes par leurs capacités de leadership et leur positionnement stratégique » dans cette « redistribution des cartes » demeurent l'Afrique du Sud, le Nigeria et l'Algérie. Mais la réalité est que « l'on vient de désigner notre remplaçant dans les négociations stratégiques. Il s'agit de l'Egypte ».La crise financière mondiale a également mis à nu la faiblesse de « l'anticipation stratégique » de l'Algérie. « Sommes-nous juste devant la transition du capitalisme financier vers autre chose ? » Et quoi ? M. Hadj Nacer déplore le fait que l'Algérie ne se soit pas donné, depuis trois ou quatre ans, les instruments financiers pour profiter des opportunités qui se sont ouvertes avec la dévalorisation des patrimoines, prendre des actifs technologiques à l'international et « acheter du temps en transférant les capitalisations de savoir-faire que nous avons perdues ». Il propose qu'une réflexion stratégique soit organisée dans le pays face à « la guerre de position que la crise annonce ». « Nous achevons probablement un cycle long de Kondratieff. Au-delà de la renégociation internationale en cours, il nous faut une réflexion stratégique sur le long terme. L'Etat doit impulser un cadre pour cela. Nous devons donner un territoire à la nouvelle croissance et un nouveau contenu. » Abderrahmane Hadj Nacer décline en trois volets l'orientation stratégique à laquelle il pense. « L'Union pour la Méditerranée est une inspiration fulgurante » qui va non seulement accélérer les retrouvailles maghrébines, mais va repositionner la Méditerranée au centre de la relance de la zone Eurafrique, qui peut faire de l'Algérie le hub logistique de cette région. « C'est un lieu de relance où nous sommes interlocuteurs des membres du G8 et un espace où il existe un vrai projet. »
« Mutualiser les problèmes et les solutions »
Au cœur de la récession qui arrive, « le capitalisme se cherche de nouveaux moteurs de croissance. La contrainte écologique, avec le réchauffement climatique est aujourd'hui déterminante. Les politiques publiques des pays avancés sont en train de l'intégrer. Pour l'Algérie, le prochain modèle de croissance doit glisser vers ces nouveaux métiers », ce sera une tendance mondiale et l'Algérie doit être à l'initiative de ces redéploiements. Enfin, troisième volet, l'Algérie devrait initier – c'est toujours dans sa vocation – « de nouvelles formes de solidarité dans le monde : face à la guerre qui se profile, il faut mutualiser les problèmes et les solutions. Il faut redéfinir les géographies et les frontières. Nous devons dire à la rive Nord nous avons l'énergie, les marchés, la main-d'œuvre ; vous avez la gouvernance, les brevets, les modes d'organisation ; les comptes sociaux, la sécurité sociale et autres ; mis en commun, seraient en faveur de l'équilibre et au profit de tous ». Enfin, au-delà de la nécessaire réforme du FMI et de la Banque mondiale (BM), il convient de ne pas oublier d'inclure la Banque des règlements internationaux (BRI) et surtout l'Organisation mondiale du commerce (OMC) qui ne sont que les miroirs des égoïsmes du Nord ; l'Algérie doit être à l'initiative du nouveau tropisme qu'ils doivent accueillir, le vrai multilatéralisme.


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