Aussi paradoxal que cela puisse paraître, c'est parce que la datte en général et le Deglet nour en particulier ont connu cette année une bonne récolte (1,5 million de quintaux) et une mévente non moins spectaculaire que les problèmes liés à leur commercialisation alarment à la fois producteurs et exportateurs. Avec leur 4 millions de palmiers dattiers dont la moitié a été plantée ces quatre dernières années et qui entreront tous en production dans les années à venir - un palmier mature produit jusqu'à un quintal de dattes, les fellahs des Ziban ont quelques raisons d'être inquiets quant à l'avenir de leur profession. En marge de la fête annuelle de la datte, une journée scientifique inaugurée par le ministre du Commerce ayant pour thème la problématique de la datte a permis à tous les intervenants d'échanger leurs points de vue. Considéré comme arbre sacré par les anciens Egyptiens qui le représentaient par des hiéroglyphes ornant les bas reliefs des chambres funéraires de leurs pharaons, le palmier est vraisemblablement apparu du temps des dinosaures, comme tous les arbres fruitiers. D'ailleurs des noyaux de dattes - graines de palmiers - datant de plus de 50 000 ans ont été retrouvés dans les cavernes de Shanidar au nord de l'Irak ; néanmoins le centre primitif de diffusion du Phénix dactylifera (nom scientifique du palmier) reste indéterminé. Quoi qu'il en soit, les Grecs et plus près de nous les Romains, connaissaient déjà le dattier dont la palme (djerid) « était le symbole de la victoire et était décernée au guerriers victorieux comme aux vainqueurs des épreuves sportives olympiques. » Par ailleurs, un proverbe arabe précise que « le palmier aime avoir les pieds dans l'eau et la tête au soleil » ; chez nous en Algérie, le pays est divisé en deux zones naturelles : le Sahara terre ancestrale du palmier, il y est cultivé depuis toujours et le reste appelé Telle où toutes sortes de palmiers y pousse mais restent irrémédiablement stériles. Les Ziban : terre de prédilection de la deglet Nour De par sa situation géographique - au sud-est du pays - la wilaya de Biskra, considérée comme la porte du désert, couvre une superficie de 21 671 km2, dépassant celle d'Israël et des territoires palestiniens occupés réunis. Bassin versant d'une demi douzaine d'oueds se jetant dans les chotts, les Ziban se prêtent bien à la phoeniciculture (culture des dattiers) ; le palmier, toute variété confondue, y est roi, plutôt un prince du désert qui sait se montrer peu exigeant quant à la qualité du terrain, de plus il s'accommode de sols basiques, neutres ou faiblement acides et tolère même jusqu'à un certain degré, les terrains salés. mais pour bien fructifier le dattier a besoin de beaucoup de chaleur et d'un sol humide en profondeur. Il trouve ces conditions de cultures idéales dans la région de Biskra et particulièrement dans le Zab El Gharbi, plus précisément à Tolga, terroir phoenicicole par excellence et terre de prédilection de la variété haut de gamme appelée Deglet Nour, label algérien incontestable. Dans les Ziban, 100 000 ha de terres gagnées sur le désert sont irriguées et consacrées aux cultures maraîchères, une partie seulement est réservée aux nouvelles palmeraies. Cela représente à peine 4% du territoire de la wilaya et ce, malgré les aides et autres subventions que l'Etat octroie à tour de bras dans le cadre de l'appui à la relance économique dans le Sud. Les palmeraies traditionnelles où se conserve pour combien de temps encore la biodiversité ? ont tendance à céder le pas à des exploitations modernes où le dattier type Deglet Nour surclasse toutes les autres variétés avec tout ce que cela comporte comme risque majeur pour le maintien du fragile équilibre de l'écosystème oasien, surtout en cas d'apparition de maladie fulgurante comme celle du bayoudh. Actuellement ce n'est pas le bayoudh appelé aussi cancer des palmiers - qui menace aussi bien à Biskra que dans le reste du pays une phoeniciculture en plein essor mais ce serait plutôt les problèmes insidieux résultant d'une mévente caractérisée des dattes au plan local comme à l'exportation. Pour une poignée de centimes d'euros ! Commercialiser les diverses variétés de dattes communes molles, demi molles ou sèches ainsi que la Deglet Nour sur les marchés étrangers (à peine 2230 tonnes) semble être devenu aujourd'hui, de l'aveux même des « explorateurs », une gageure alors que pour le ministre du Commerce qui ne conteste pas d'ailleurs la surabondance de la récolte 2005 : « il n'est jamais trop tard pour bien faire »... M. Djaâboub préconise de booster l'exportation afin que l'accord de partenariat avec l'Europe ne fonctionne plus seulement à sens unique. « Nous devons, a-t-il ajouté, saisir cette opportunité pour placer pourquoi pas ? sur les 20 marchés européens nos 200 000 tonnes de dattes qui, vendues en moyenne à 2 dollars le kilo, nous rapporteraient la coquette somme de un demi milliard de dollars », alors qu'actuellement les exportations hors hydrocarbures ne dépassent guère les 8,5 millions de dollars/an. Malheureusement la réalité est tout autre quand bien même l'ambition fictive de tout exporter fut-elle légitime et néanmoins irréalisable à court terme. L'exportation réelle, la vraie, demeure quoi qu'on dise, un baromètre précis de la santé économique d'un pays. Il est utile de rappeler que dan les années 1950 l'entreprise Okba datte créée par S. Mebarek, B. Agli et G. Moretti exportait la deglet Nour aux... USA ! Et qu'au lendemain de l'indépendance le marché de la datte avait pignon sur rue à Biskra, qui dès la fin de l'autonome devient la Mecque des négociants européens en datte et autres courtiers locaux. A cette époque, 20 000 tonnes de dattes payées rubis sur l'ongle à Biskra trouvaient preneur en l'Europe via Marseille. Aujourd'hui tout un chacun peut s'autoproclamer importateur et pourquoi pas ? exportateur de dattes, quitte à casser les prix et à brade le kilogramme d'un produit emblématique de notre agriculture pur une poignée de centimes d'euros. « En quantité nous exportons depuis quelques années, précise un fin connaisseur de cette filière, à peine 10 000 tonnes par an, soit 2% de notre récolte annuelle de dattes, ce qui est insignifiant comparé aux 30% que réalisent nos homologues tunisiens dont la production est 5 à 5 fois moins importante que celle de l'Algérie. » Les contraintes liées à l'exportation de la datte M. Hassan Soltani, ingénieur agronomie, PDG de Sudaco a bien voulu nous faire visiter l'unité de conditionnement de dattes issue de la restauration de juillet 1998 qui a scindé l'Office national de la datte (OND) en plusieurs unités dont celle de Biskra qu'il dirige depuis une dizaine d'années. A leur réception, les dattes achetées directement aux fellahs au prix du marché, sont désinfectées et triées par les mains expertes d'une centaine d'ouvrières, travaillant 11 moins sur 12 à l'usine située non loin de la gare de Biskra, dans la zone des parcs où plusieurs entreprise privées de conditionnement de produits dattiers ont élu domicile. Les dattes ainsi traitées sont ensuite entreposées dans des chambres frigorifiques d'une capacité de stockage de 1000 tonnes. Les nombreux tapis de triage et les chaînes de conditionnement automatisées permettent en vitesse de croisière d'atteindre et même de dépasser les 2000 tonnes/an de dattes traitées, toute catégorie confondue. Le savoir-faire et la rigueur d'un personnel d'encadrement chevronné, garantissent l'excellence aux produits destinés à 80% pour l'exportation vers l'Europe, le Canada l ,es Emirats et même la lointaine Indonésie. Par ailleurs l'unité de Sud Datte compagnie (Sudaco) est dotée d'un laboratoire de contrôle et d'analyses physico chimiques et bactériologiques équipé de tous les appareils nécessaires au contrôle et à la vérification de la qualité du produit et ce, à toutes les étapes du traitement et du conditionnement. « Nos clients ne badinent ni avec la traçabilité ni avec la qualité du produit qu'ils achètent pour le compte du consommateur européen, réputé exigeant, explique M. Soltani qui ajoute qu'une seule erreur dans un colis de 1 kilo peut nous coûter le rejet d'une cargaison entière ». Les divers processus utilisés au sein de l'unité de conditionnement sont, qui plus est, certifiés Iso par des organismes internationaux. C'est grâce à tout ce cahier de charge que Sudaco a su fidéliser ses clients et réaliser l'an dernier à titre d'exemple un chiffre d'affaire de l'ordre de 2 millions d'euros, confie à El Watan M. Soltani. A la question de savoir pourquoi les produits algériens et notamment la Deglet Nour n'ont pas encore regagné les parts de marché qu'ils avaient perdues en Europe ?, notre interlocuteur précisera que plusieurs facteurs ont des incidences négatives sur le développement de l'exportation. D'abord la corporation des exportateurs n'a pas su ou n'a pas voulu s'organiser en association de professionnels, ensuite les problème du fret, de la desserte à partir des ports algériens vers Marseille et des subventions au transport n'ont jamais été réglés de façon convenable ; de plus, les banques au lieu de jouer pleinement leur rôle de conseils auprès de leurs clients, à savoir les exportateurs, ne prennent aucun risque et pire encore n'accordent aucun crédit à l'export ! Par ailleurs, la Banque d'Algérie qui a le pouvoir de contrôler et de suivre les rapatriements de fonds liés à l'exportation, s'arroger le droit de ne restituer en devises fortes que 50% des recettes à l'exportateur, l'autre moitié, il la touchera en dinars. Bien sûr, d'autres goulots d'étranglement se situent entre autres, au niveau de la douane dont le code est parfaitement clair mais l'interprétation des textes diffère d'un poste à un autre. La transformation des dattes comme alternative à l'exportation Selon M. Gelguedj, chercheur à l'INRA et expert PNUD, la situation générale du marché intérieur en Algérie se caractérise sur le plan local par une faible consommation (à peine 10 kg par an et par famille) dans les Oasis contre seulement quelque 4 kg par an et par famille hors des oasis, avec comme corollaire l'effondrement des prix de la date commune dès l'apparition de la Deglet nour récoltée 1 à 2 mois plus tard, quoique l'existence d'un flux important mais très mal connu presque clandestin de dattes communes vers les pays du Sahel est avérée. Toujours selon M. Belguedj, l'alternative à la mévente des dattes serait leur transformation traditionnelle et/ou artisanale au niveau des ménages et des petits producteurs du moment que les savoirs-faire ancestraux existent ; quant à la transformation industrielle elle aura pour objectif de valoriser la filière pâte de dattes, un créneau porteur, puisque le produit se conserve facilement. Cette transformation visera aussi le développement des sous-produits de la datte tels que vinaigre, miel, alcool, sirops confitures... et également l'intégration de la datte sous différentes formes dans d'autres produits alimentaires (yaourts, jus, biscuits crèmes glacées, biscuits et autres chocolats). Tout est question de prix. Tout est relatif... Malgré la mévente évidente, et sans regarder à la dépense électrique, les gros producteurs ont trouvé la parade pour éviter la chute des prix, ils continuent en attendant des jours meilleurs, à stocker à tout va les dattes muscades de premier choix dans leurs entrepôts frigorifiques, pénalisant ainsi le consommateur qui ne comprend pas qu'un kilogramme de la Deglet nour à Biskra puisse toujours se situer entre 160 et 180 DA ; en d'autres termes valoir le double de celui des bananes qui proviennent de pays souvent lointains. Le marchand des autres saisons vous r rétorquera ironiquement : « Regardez les olives noires qui nous viennent simplement du Telle, elles valent 200 DA le kilogramme »,et d'ajouter que heureusement que les frontières avec le Maroc ne sont pas ouvertes sinon il ne restera en Algérie plus une seule datte à se mettre sous la dent ; les trabendistes avant les exportateurs iront troquer nos dattes nourricières contre des produits moins ragoûtants comme les alcools frelatés et autres « sems » à l'instar du nouveau hachich avec lesquels ils inonderont le marché et la datte coûtera à ce moment là le prix d'un médicament.