Est-ce du Kamel Bouchama, du Ibn El Mùqaffaâ, ou du Jean de La Fontaine qu'on savoure sans modération dans ce roman époustouflant qui nous est présenté, peu après la sortie de Kaïd Ahmed, homme d'Etat, ou bien… les trois à la fois ? Détrompez-vous, il s'agit bien de Kamel Bouchama, cet auteur bien de chez nous qui, loin de nous étonner, nous présente un autre show littéraire, sous forme de roman, en s'engageant dans le style combien souple et naturel des fables. L'Exil fécond est le titre de cette dernière livraison qui s'empare de thèmes sociaux et… politiques – pour ne pas changer, me diriez-vous –, afin de relater des comportements moraux empruntés à une jungle réelle, traditionnelle, mais qui traduit concrètement…, la réalité au quotidien que nous vivons en notre pays. Cette fois-ci, l'auteur innove, bouscule et… va droit au but. «Je me sers d'animaux pour instruire les hommes», disait Jean de La Fontaine. Bouchama en fait autant avec ce roman qu'il signe en ce début de vacances, mais qu'il a écrit il y a quatre ans de cela, nous précise-t-il, pour ne pas figurer sur le registre des «opportunistes», et vous comprendrez pourquoi…, avec tous ces soulèvements dans les pays arabes.Kamel Bouchama a cette inspiration qui lui donne ce souffle créateur et le pousse à aller dans notre réalité de tous les jours pour dénoncer les excès et les péchés commis par des gens de l'espèce humaine qui nous révulsent et soulèvent notre répugnance. Alors, il s'exprime dans un style allégorique, en substituant les animaux aux êtres humains. Il reconstruit l'espace-temps de notre pays tourmenté par une dégénérescence profonde, à travers le voyage d'une mouche…, avec laquelle il a voulu partager notre quotidien qui, souvent, est triste, affligeant et douloureux. Et de ce fait, il n'exécute pas un dangereux numéro de funambule, affirme-t-il, comme pourraient le croire certains aux jugements hâtifs. Il ne dit que la vérité à travers des histoires vécues et des intrigues du système, tout en réfléchissant, à haute voix, au sujet de la gouvernance et des règles de conduite d'une jungle…, pardon d'un pays qui a besoin de se refaire pour son salut. Ainsi, avant d'avoir en votre possession, pour l'apprécier, ce roman très intéressant, notre quotidien El Watan vous propose ces bonnes feuilles où l'auteur Kamel Bouchama fait parler donc les animaux, les écoute, les saisit, les analyse et nous donne son point de vue en des termes clairs, plutôt crus. La mouche, nous dit-il – l'héroïne de mon roman –, que je me suis imaginé fort intéressante avec une intelligence hors du commun, m'a permis d'accéder à ce stade de l'enthousiasme et du bonheur à travers ce conte (imaginaire ?!). Elle m'a permis d'avoir le courage, celui de monter au créneau pour dénoncer des pratiques insensées, invraisemblables et mettre en exergue les valeurs qui n'ont plus cours hélas dans notre monde des humains. Avec cette mouche, je suis revenu à l'évidence en me désolidarisant de mon milieu fait de duplicité et de fausseté, à travers un tout petit animal qui a osé bousculer la confusion en essayant d'entreprendre une action de salubrité dans son propre univers. En fait, un animal qui veut «secouer le cocotier». Alors, j'ai imaginé tous ces dialogues avec elle et d'autres animaux pour étayer mon roman d'images évidentes, qui reflètent la triste situation qui existe vraiment sur le terrain de la réalité et qui nous contraint de crier très fort : «Basta !», car tout est à revoir pour le salut du pays ! Tout doit changer pour la bonne santé et l'avenir de nos enfants, le contenant et le contenu, en termes clairs : le système et les hommes. Sans cela, «jouez violons, sonnez crécelles», personne ne vous entendra, personne ne vous suivra, sauf les opportunistes calculateurs, bien sûr…, ceux qui ont toujours intérêt à ce qu'une faillite pareille se perpétue. Ceux «d'en haut» De ce fait, le roman insiste sur ce changement radical avant même de procéder au changement superficiel, à l'image d'un «replâtrage habituel» car, ceux «d'en haut», ne comprennent pas le langage de ceux «d'en bas». La mouche nous raconte tout cela dans les détails et nous apprend à travers sa jungle et ses animaux – comprenez les nôtres, les humains –, qu'ils ne se rendent pas compte que le monde ne peut plus supporter d'entendre crier urbi et orbi que notre pays est riche, que nous sommes solvables sur tous les plans, que nous n'avons plus de dettes, sinon une somme modique, au moment où de nombreux jeunes, désespérant de leur pays, meurent en pleine mer au cours d'opérations suicidaires dans une poignante quête de vie meilleure n'importe où, pourvu que ce soit loin de chez eux. Ainsi, allez chanter l'hymne de la justice avec ceux-là, allez-y les condamner à des peines de prisons, alors, qu'en guise de désespoir, ils sont prêts «à être mangés par des poissons», plutôt que par des vers de terre…, selon leur propre langage. La jungle et ses animaux, pardon le peuple, dans cette ambiance ténébreuse, pis encore, effrayante, ne veut plus entendre les «homélies» insipides, qui n'ont aucune saveur – excusez la redondance –, qui sonnent faux et qui sentent la duplicité, car il sait maintenant ce qu'est sa valeur à l'ombre d'un système érodé, qui ne plait qu'aux mythomanes parmi les responsables – qui sont nombreux – et qui savent profiter des effets de son laxisme. Il sait, malgré tous les discours rassurants de ces derniers, qui ne connaissent pas la réalité du pays, que chaque soir, des poubelles sont visitées par des démunis qui se font de plus en plus nombreux… L'auteur n'oublie pas de faire une nécessaire incursion dans son roman pour rappeler que ce langage direct «n'est pas un appel à la désobéissance, à la sédition, loin s'en faut». Et de continuer dans sa lancée : «Je ne fais pas dans l'aventurisme ni même dans le clanisme et le marchandage sordide, je ne tiens pas également à flatter les passions populaires. Je suis assez éduqué pour ne pas proposer de pareilles recettes, dangereuses et inopérantes, au demeurant. Je veux dire, tout simplement, qu'il y a toujours un espace de débat, de dialogue et d'enrichissement mutuel entre gens de bonne foi, ceux qui doivent aller vers la bonne émulation dans un esprit de total respect. Je veux dire que les choses doivent nécessairement changer dans notre pays. Elles doivent changer, non pas pour satisfaire des besoins de quelques mécontents ou insatisfaits invétérés que sont les pharisiens qui vivent à l'ombre du système, mais pour être à l'écoute des attentes d'une société qui espère beaucoup d'une sérieuse réforme qui permettra aux gens réfléchis de bâtir un nouveau monde de progrès. En effet, un nouveau monde qui leur permettra d'avancer dans le sens de l'élévation, à travers un développement qualitatif dans tous les domaines, à l'image de ceux qui avancent dans le respect de ce qu'ils se sont imposés, pour vivre les exigences du siècle nouveau.» Un verdict implacable, sans rémission… Ainsi, après ce constat sévère, mais juste pour notre part, il nous vient à l'esprit de lui poser cette question : «Mais pourquoi avoir choisi ce style pour charger ou, à tout le moins, pour définir les humains que nous sommes ?» Sa réponse est claire, en une autre explication, sans fioritures : «D'abord, je n'attaque personne. Je dis les choses comme elles se présentent dans la réalité. Ce roman est une sorte de bilan, où la chute est positive, comme à l'accoutumée, dans tous mes écrits. Elle est positive, parce que je fais des propositions concrètes. Alors, j'ai choisi cette forme d'écriture, celle du conteur de la Perse radieuse, Ibn El Mùqafaâ, pour dénoncer un monde fait d'hypocrisie, de corruption, de népotisme et de déception…, un monde dans lequel nous avons perdu notre capacité à donner un sens à notre vie… Je l'ai choisie à dessein pour heurter les opinions convenues et leur faire admettre qu'il est temps de changer de méthode, de gouvernance, de régime, pour être au diapason de la civilisation moderne universelle.» Paroles, paroles… Et de développer des arguments, courageusement, comme il le fait dans tous ses écrits… C'est honnête de sa part puisqu'il dit, entre autres :«Oui, je me considère coupable – et je m'assume entièrement, sincèrement – même si de mon temps, les soucis du peuple n'étaient pas de cette ampleur, en tout cas, ils étaient mieux appréhendés par le pouvoir qui les considérait comme sa première préoccupation. Ce qui se passe aujourd'hui, je le dis clairement, n'a rien de commun avec hier, même s'il est, en grande partie, une conséquence d'hier. Et là, je l'énonce, franchement et courageusement, pour ne pas essuyer les couteaux sur le dos des autres : on ne peut «saucissonner» l'histoire…, jamais, tant les faits s'imbriquent et se perpétuent souvent pour devenir récursifs et survivre au temps et aux hommes. Ainsi, nous sommes tous, de près ou de loin, – je veux dire ceux qui ont géré les appareils, les structures, les instances et les entreprises – responsables de la situation actuelle. Personne ne peut, à mon avis, échapper aussi facilement à cette lourde accusation.»Avec cet aveu courageux, El Watan vous souhaite bonne lecture d'un ouvrage qui promet de soulever beaucoup de commentaire et de… passions. L'exil fécond Editions JUBA 244 pages