L'ENTV doit présenter des excuses aux téléspectateurs pour la médiocrité des programmes présentés durant le mois de Ramadhan.» La critique, sévère, est celle admonestée par Nacer Mehal, ministre de la Communication, à la fin de l'année 2010. Les leçons ont-elles été retenues ? Pas vraiment, si l'on devait en juger par la grille présentée au cours de cette première semaine ramadanesque. Concepts éculés, qualité d'image vieillotte, discours moralisateurs et démagogues, scénarios tarabiscotés, jeux des acteurs hasardeux et maladroits, humour qui tombe à plat et créativité en berne. Et du remplissage. Beaucoup de remplissage : espaces publicitaires aussi longs que juteux ou encore passages musicaux interminables. «Bien loin de détendre, les séries et autres sketchs-chorba énervent. Les scènes les plus comiques ne vous arrachent qu'un sourire, et lorsqu'il s'agit de feuilletons ‘'dramatiques'', vous ne pouvez vous empêcher de ricaner tant le ridicule flirte avec la nullité», assène, on ne peut plus sévère, une téléspectatrice dépitée, rencontrée dans une rue d'Alger. Et même la série phare du Ramadhan, Djemai Family, produite par Sd Box, déçoit. Ce dont a conscience Djaâfer Gacem, producteur exécutif et réalisateur de la Sitcom. «Jusqu'à l'heure, je ne suis pas très à l'aise avec le résultat du 3e opus de Djemai Family. La série a du mal à démarrer. Tout d'abord à cause du basculement de concept, de sitcom à série feuilletons. En sus, un épisode dure 20 minutes. Et c'est trop court pour que le téléspectateur entre vraiment dans le film», estime M. Gacem. Alors, pour l'heure, les jeûneurs algériens, pour lesquels f'tour rime avec «l'Unique», restent sur leur faim cathodique. Le temps et les moyens Pourtant, cela fait des mois que le bouquet prépare ce rendez-vous incontournable de la vie algérienne. «L'appel d'offres a été lancé par l'ENTV en janvier dernier. La commission qui a étudié notre projet a donné son aval vers le mois de mars», relate M. Gacem. Et ce ne sont pas les moyens qui manquent. Même si l'on reste très discrets quant aux coûts de la production et de l'achat des séries télévisuelles, l'on sait que l'on y met le paquet. La facture «officielle» pour les 24 épisodes de Djemai Family de 20 minutes chacun est de quelque 49 millions de dinars, en plus d'une permission de visibilité publicitaire, rare faveur accordée à SD Box. «Nous avons eu l'autorisation de faire du placement de produits pour différentes marques, et ce, en échange d'aide en nature pour le tournage», explique Djaâfer Gacem. Pour les autres feuilletons, l'on avance, par exemple, un coût de 17 millions de dinars pour les 14 numéros de Saâd El Gatt, réalisation de Yahia Mouzahem. Concernant la fiction Dhil Hikaya, production algéro-libanaise tournée à Damas, la mise en boîte des 31 épisodes de 45 minutes aura coûté la bagatelle de 5 milliards de dinars. «Les droits de retransmission du feuilleton reste le fruit des négociations entre l'ENTV et la société de production», affirme, sans vouloir s'avancer, Hakim Dekkar, producteur et acteur. L'on ne connaît pas le montant exact et exhaustif des dépenses liées à la concoction de la grille ramadanesque de l'ENTV, sa direction étant injoignable hier. Toutefois, lorsque l'on sait qu'il est question d'une trentaine de programmes, dont 24 nationaux, sélectionnés, l'on peut s'imaginer que le budget alloué s'élève à plusieurs milliards de centimes. Alors, comment expliquer ces piètres prestations, lorsque l'on sait que les talents algériens sont, sous d'autres cieux, reconnus et récompensés pour leur brio ? Consignes, lignes rouges et «bâclage» Chacun y va de son explication. Sous couvert de l'anonymat évidemment. Tout d'abord, la qualité de diffusion. «Il doit certainement y avoir un problème, car l'image est des plus médiocres. Ce qui donne des programmes rébarbatifs visuellement», explique-t-on. D'autres par contre imputent l'aspect «réchauffé» des productions à l'ENTV elles-mêmes. «Car, après tout, c'est elle qui fixe, délimite et décide des thèmes et des contenus que les sous-traitants peuvent ou ne peuvent pas aborder et montrer. Quitte à basculer dans le mièvre, l'insipide ou le pathos», affirme un habitué de la maison. «Il n'est d'ailleurs pas rare de voir des scènes entières passer à la trappe entre le montage et la diffusion», ajoute-t-il. Des consignes dans le fond, mais aussi dans la forme, qui peuvent handicaper. «Qu'un épisode dure 20 ou 45 minutes peut tout changer», affirme pour sa part M. Gacem. Selon un autre, faute de temps, l'on «bâcle» le travail livré, la plupart des producteurs versant dans les formules et scénarios «de facilité». «La lenteur dans la prise de décision et le travail dans la précipitation sont les deux critères caractérisant la production de l'ENTV», estime quant à lui un haut cadre à la télévision algérienne. «Il y a des épisodes qui passent en ce moment alors que l'intégralité de la série n'est pas livrée complètement», poursuit-il. La suite des programmes saura-t-elle sauver ce qui s'annonce d'ores et déjà comme une débâcle ?