Jadis, le Ramadhan était le mois de la réconciliation où l'on rompait avec toute espèce de joug. Le mois où nos actes étaient souvent accompagnés de sentiments charitables et d'un esprit de compassion envers les autres. Malheureusement, cela ne reste qu'en expression. Car d'aucuns attendent ce mois que pour se sucrer sur le dos des autres», regrette Ali K., la quarantaine à peine entamée. A Tamanrasset, comme dans nombre de régions du pays, tout cela semble une théorie que l'on n'a toujours pas pu mettre en pratique au vu de tout ce qui meuble le quotidien de ce mois de jeûne. Une virée dans les échoppes et les marchés de la ville suffit pour arrêter notre constat. 10h passées de 20mn, le marché de détail du centre-ville grouille de monde. Un point de convergence inéluctable pour les pères de famille qui, flanqués de leur marmaille en cette période de vacances scolaire, sont venus faire leurs emplettes et renouer avec les habitudes alimentaires du Ramadhan. «Au moment de la rupture du jeûne, on espère avoir une table plus au moins garnie», ironise Smaïl B., le sourire au coin des lèvres, non sans faire des observations sur la désorganisation qui règne sur les étals et les déchets et détritus jetés à l'entrée même du marché. Faire carême dans la ville de l'Ahaggar est probablement un moment de joie ineffable pour ceux qui parviennent à éviter ce marché, car ce moment d'ambiance n'est aucunement vécu par les parents qui, dans une affliction totale, font la comptabilité des dépenses journalières après le f'tour. Les prix affichés sur le marché donnent le vertige et démangent plus d'un. A cet effet, l'on cite le prix des produits essentiels, à l'exemple de la pomme de terre, l'oignon et la carotte, cédés respectivement à 70, 60 et 100 DA/kg, la tomate à 160 DA/kg ou encore la courgette et la laitue à 120 et 150 DA/kg. Ainsi, tout le monde s'accorde à dire que «c'est un Ramadhan des familles aisées financièrement puisque les pères à bourse plate reviennent souvent bredouilles ou bien attendent le solde de fin de journée pour acheter des légumes à moitié avariés». «Je ne sais pas quoi faire ni où aller pour faire mes courses. Les légumes sont excessivement chers. Nul besoin de vous dire que les fruits sont quasiment inabordables. En plus de cette fournaise, les produits brûlent à Tamanrasset», se lamente un père de famille rencontré devant l'enceinte dudit marché, signalant au passage qu'il n'a toujours pas perçu son salaire, en faisant allusion à la bureaucratie encombrante de nos administrations. A côté de lui, une femme, presque la quarantaine, déclarera d'une voix gutturale sous l'effet du jeûne : «Cela fait plus de dix ans que je travaille ici à Tamanrasset. Le scénario des prix exorbitants proposés en début de chaque Ramadhan est toujours le même et presque immuable. Avant, on disait que c'était à cause du manque d'eau que les agriculteurs grossistes de la région imposaient des prix un peu élevés aux détaillants. Maintenant que l'eau coule à flots, ils trouvent toutefois le moyen de justifier cette hausse en échappant aux organes de contrôle qui sont présentement classés aux abonnés absents. Céans, même les grands alchimistes des chiffres ne parviendront jamais à arrondir les fins de mois avec mon salaire très inférieur au SNMG, soit 9000 DA.» Ne restez pas pantois si l'on vous dit que la qualité des produits étalés est, en dépit de leur prix exorbitant, exécrable et donne des haut-le-cœur. Ce qui confirme davantage l'absence des autorités de contrôle de la qualité des produits et l'inattention des services de protection des consommateurs, laissant ainsi ces vendeurs sans scrupules régner en maîtres des lieux. Pour les marchands de la ville, la qualité des produits et la fixation des prix ne dépendent que du marché de gros de Tihagouine qui n'est pas approvisionné régulièrement. «On se déplace à 2000 km pour nous approvisionner en produits alimentaires de première nécessité. C'est une aventure qui dure jusqu'à quatre jours. Donc, le grossiste déjà ajoute une marge allant jusqu'à 30 DA par produit pour amortir ses frais et le coût de transport», nous confie un grossiste. Cependant, ce qui est inconcevable, c'est que l'on vende des produits cultivés localement à des prix exorbitants, à l'exemple de la laitue et du raisin. Interrogé sur la situation, un vendeur venu de Tazrouk (à 50 km de Tamanrasset) répond : «On reconnaît que l'offre est très inférieure à la demande et que nous sommes à la merci des intermédiaires qui appliquent des marges bénéficiaires à leur guise. C'est dire qu'il n'existe aucune politique des prix. Outre cela, l'agriculture est malheureusement un secteur qui agonise à Tamanrasset.» L'heure de la rupture du jeûne approche et tout le monde presse le pas pour vivre familialement ce moment en dégustant l'alléchante hrira avant d'aller accomplir la prière des tarawih et se laisser emporter par le chant psalmodique des extatiques dévots, pendant que certains se ruent vers l'agora du 1er Novembre où sont offerts des spectacles de musique des plus frénétiques, organisés par la direction de la culture.