C'est la première évaluation locale des médias en Algérie. Réalisée en 2009 dans le cadre du projet médias de la Friedrich-Ebert Stiftung en Afrique (Fesmedia Africa), cette étude, baptisée Baromètre africain des médias (BMA), a pour objectif de fournir une première évaluation de la presse nationale. Une évaluation faite par des Algériens. En effet, le BMA est le premier système qui permet une description profonde et une évaluation compréhensive des environnements médiatiques en Algérie et sur le continent africain. Lancé en 2005, le BMA avait couvert, à fin de 2008, 23 pays de l'Afrique australe. En 2009, c'était au tour de l'Algérie. L'évaluation se fait selon des critères bien définis. La commission chargée de cette évaluation note chaque critère indicateur, à la suite du débat de fond, au cours d'un vote anonyme. Les notes pour chaque secteur sont déterminées de la manière suivante : les membres de la commission, après débat de fond en commun, attribuent leur note (de 1 à 5) à chaque indicateur d'un secteur. La somme des notes individuelles est ensuite divisée par le nombre de membres du jury. Cette moyenne est considérée comme la note finale du sous-critère indicateur. Le rapport qualitatif, notes comprises, vise à évaluer le progrès ou autrement l'évolution du paysage médiatique durant une période de temps donnée, sur la base des réunions bisannuelles de la commission. Nous reproduisons ici un résumé de ce rapport. Moyenne de tous les secteurs objet de l'étude : 1,9/5
Exercice des droits à la liberté d'expression. Note : 1,7/5 La liberté d'expression est en net recul. Le 18 juin 2001, les manifestations publiques ont été interdites par les pouvoirs publics. Cette interdiction faisait suite aux incidents qui ont coûté la vie à 130 personnes, dont deux journalistes, au cours d'une manifestation violemment réprimée, le 14 juin 2001. Un journaliste du quotidien privé El Watan est également mort dans des circonstances troubles, après avoir mis en cause le président de la Chambre de commerce et d'industrie des Nememchas (est de l'Algérie) dans le financement du terrorisme et le blanchiment de l'argent des groupes islamiques armés. Du reste, plus d'une centaine de journalistes ont été assassinés pendant les années 1990 par les terroristes islamistes. Enfin, l'Etat utilise, hélas, l'attribution de la publicité pour mettre au pas les médias récalcitrants. En dépit de ces risques, les membres du panel estiment que bien des médias continuent à exercer leur droit à la liberté d'expression. Ils se heurtent tout de même à un certain nombre de lois. D'abord le décret 92-44 du 9 février 1992 instaurant l'état d'urgence, toujours en vigueur. Ensuite, depuis 2001, de nouvelles dispositions du code pénal restreignent les libertés de la presse et renforcent les peines contre les médias. Enfin, la charte pour la paix et la réconciliation nationale interdit de parler des actes de guerre passés, prescrits ou amnistiés. Engagement international et national de l'état pour la liberté d'expression : 1,9/5 Au plan international, l'Algérie n'a rien à se reprocher, sur papier. Le pays a ratifié pratiquement toutes les conventions relatives aux droits de l'homme, depuis la Déclaration universelle des droits de l'homme jusqu'à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, ainsi que la Charte arabe des droits de l'homme ; mais l'application de ces instruments n'est pas toujours évidente. Dans certains cas, en effet – par exemple le Protocole de la Charte africaine relatif aux droits des femmes en Afrique – l'Algérie a soulevé des réserves qui vident le texte de sa substance. Au plan national, la réglementation sur les publications est très ouverte, en théorie ; mais sur le terrain, l'Etat a mis en place des mécanismes qui lui permettent d'avoir la mainmise sur le processus – par exemple, les imprimeries exigent un quitus du ministère de tutelle. L'exercice de la profession était également libre. Mais un décret daté du 10 mai 2008 stipule que pour être journaliste, il faut être titulaire d'un diplôme de l'enseignement supérieur en rapport avec la profession, ne jamais avoir fait l'objet d'une condamnation définitive et jouir de tous ses droits civiques. A moins que l'on n'exerce déjà des activités en rapport avec la profession. Exercice de la profession de journaliste : 1,2/5 Il y a des obstacles à l'exercice de la profession de journaliste. La loi 90-07 oblige le journaliste à révéler ses sources dans certains cas : secret-défense, secret économique stratégique, atteinte à la sûreté de l'Etat, secret de l'enquête judiciaire. L'accès à l'information publique est théoriquement libre ; mais dans la pratique, elle n'est pas organisée et est difficile. L'Etat choisit, essentiellement par le canal de l'agence de presse Algérie presse service (APS), de livrer les informations qui lui conviennent. Internet est libre d'accès et il n'a été noté aucune tentative d'en filtrer ou bloquer le contenu. Médias et société civile : 2,3/5 La société civile n'est pas suffisamment organisée pour utiliser les médias ou constituer des lobbys forts pour leur défense. Même quand ces lobbys existent, ils subissent parfois la pression de l'Etat – par exemple, les mesures de rétorsion fiscales contre des chefs d'entreprises de presse qui se sont rendus à Bruxelles pour dénoncer la condamnation «arbitraire» de Mohamed Benchicou, directeur de publication du journal Le Matin. Pire, certaines organisations de la société civile accusent parfois les médias de servir d'instrument à l'Etat pour les attaquer. A l'exception de la loi 90-07, la société civile n'est pas impliquée dans le processus de législation sur les médias. Sources d'information pour les citoyens : 3,8/5 Actuellement, il y a environ 320 titres de publications répertoriés en Algérie, en français, arabe et tamazight. Sur un tirage cumulé de 2 500 000 exemplaires (constaté le 3 mai 2009), le quotidien El Khabar (arabe) fait à lui seul 500 000. Il y a des journaux pour tous les secteurs et toutes les catégories de la vie sociale. Par contre, l'audiovisuel est strictement contrôlé par l'Etat. Il n'existe ni télévision ni radio privée commerciale. En conséquence, les citoyens qui le peuvent se dotent de paraboles. Il est impossible aux médias audiovisuels internationaux d'émettre à partir de l'Algérie. La presse écrite internationale et internet sont disponibles ; il y a eu tout de même quelques cas d'interdiction de journaux étrangers (Le Monde, Jeune Afrique…). A cause de l'immense étendue du territoire national, la distribution de la presse écrite est difficile dans certaines parties du pays. Il y a également des différences de prix des journaux entre la capitale et certaines régions. Un fonds de péréquation avait été mis en place dans les années 1990, mais il n'a jamais été appliqué. Heureusement que quelques imprimeries, ça et là, contribuent à réduire ces disparités. En matière audiovisuelle, l'Etat a installé des stations régionales. Indépendance éditoriale de la presse écrite publique : 1,0/5 Les six quotidiens de l'Etat n'ont aucune indépendance éditoriale. Et cela en dépit des dispositions de l'article 9 de la loi 90-07 qui stipule le contraire. Ces journaux connaissent une faible circulation. Paysage médiatique : 1,2/5 Il est difficile de déceler la concentration éventuelle des médias entre les mains de quelques personnes car la pratique du «prête-nom» existe. En matière de concentration, la législation algérienne est plutôt faible. Pendant les années 1990, l'Etat avait tenté d'encourager la diversification médiatique par des mesures incitatives financières et économiques. Mais ces mesures s'effritent d'année en année. Par exemple, les 13 millions de dinars que l'Etat versait annuellement à la presse sont gelés depuis 2003. L'Etat explique que cette somme va actuellement à la subvention du papier journal et au logement sécuritaire des journalistes. Il est à noter un effort dans l'audiovisuel public pour tenir compte de la diversité linguistique et culturelle. La diversité politique se retrouve surtout dans la presse privée. En ce qui concerne les TIC, le taux de pénétration de l'outil informatique est bas : 1,06% en 2007, comparé par exemple à la Tunisie qui était à 5,63% pour la même période. Revenus publicitaires des médias : 1,8/5 En Algérie, toutes les structures publiques sont obligées de passer par la régie publicitaire de l'Etat pour placer leurs annonces dans les médias. Et cette régie ne place pas ces annonces de façon objective. Pourtant, le marché de la publicité est suffisamment important pour soutenir les activités de presse. Il est estimé à 350 millions de dollars par an. Législation et régulation de l'audiovisuel : 1,2/5 Il n'y a pas de législation spécifique à l'audiovisuel en dehors de la loi 90-07 qui est pratiquement caduque. Il n'y a pas non plus d'organe de régulation. Gestion et fonctionnement de l'audiovisuel public : 1.0/5 Il n'y a pas de conseil d'administration de l'audiovisuel public. Celui-ci est directement sous le contrôle de l'administration et l'Etat en est le principal bailleur. Il n'y a pas de procédures indépendantes de recrutement ou de fonctionnement. Disponibilité du signal du diffuseur public : 1,0/5 Le diffuseur public couvre la totalité du territoire national. Le passage au numérique devrait se faire en 2015. En ce qui concerne le contenu, il est plutôt monolithique avec la domination des préoccupations du gouvernement. En période électorale, cependant, une commission ad hoc organise l'accès à l'audiovisuel public. Cet accès est réservé exclusivement aux partis concernés par l'élection. Il n'y a pas de médias communautaires. éthique et médias : 1,3 Il existe bien une structure d'autorégulation mise en place par les médias, mais elle n'est pas opérationnelle. Certains journaux se sont donc organisés à l'interne. Mais ce sont surtout les tribunaux qui tranchent les conflits, car le public n'a pas d'autre recours face aux dérives. Pratiques professionnelles dans les médias : 2,0/5 A cause d'une formation professionnelle généralement insuffisante, les normes techniques ne sont pas toujours respectées. Le traitement des événements est largement superficiel. Dans certains cas, les journaux se contentent de l'information qui leur est donnée ou des «fuites organisées», sans mener leur propre enquête. L'information scientifique en particulier suscite peu d'intérêt. Le recrutement et la promotion du personnel se font par affinités, souvent politiques, surtout dans la presse publique. Dans les médias privés, il y a plus de concurrence. L'autocensure est une pratique courante. Les médias privés font attention aux gros annonceurs. Dans les médias publics, c'est surtout la pression politique. Enfin, il y a des sujets sensibles tels que la sécurité, les tabous religieux et culturels. A côté de l'autocensure, les propriétaires des médias empiètent sur l'indépendance des journalistes. La corruption est également courante. Cela a installé une crise de confiance entre les médias et les bénéficiaires. Conditions de travail dans les médias : 1,8/5 Les niveaux de rémunération des journalistes sont jugés généralement bas : en moyenne 560 dollars par mois ; mais cela cache des pointes de jusqu'à 2000 dollars, alors qu'il y a des journalistes qui ne dépassent pas 140 dollars. En comparaison, un enseignant débutant du secondaire gagne entre 280 et 340 dollars, contre 560 pour un enseignant du supérieur. Environ un tiers seulement des journalistes en activité a bénéficié d'une formation initiale. Il existe pourtant une école de journalisme en Algérie depuis 1964 ; elle offre une formation en arabe. Pour le reste, certains organes de presse, y compris l'audiovisuel public, initient des sessions de formation continue. Organisations de journalistes : 1,3/5 Très peu de journalistes sont affiliés à un syndicat (entre 5 à 10%). Le syndicat qui existait a été affaibli par des querelles internes. Toutefois, une nouvelle association, la Fédération nationale des journalistes algériens (FNJA), a été créée le 28 mai 2009.