Avant d'entrer dans le vif du sujet, il faut d'abord savoir que la succession, en droit musulman, est une science à part entière. Attitude médiane entre des individualistes, quand bien même morts, qui usent d'un pouvoir absolu sur leurs biens, privant ou avantageant au gré de l'humeur et des communistes qui prévoient l'Etat seul héritier, les biens constituant l'héritage en Islam doivent obligatoirement aller à des héritiers. Non seulement ils vont à des héritiers, mais ceux-ci sont précis. Disposant de ses biens à sa guise, le pouvoir de l'individu n'est cependant pas absolu ; il ne peut déshériter un héritier ; il ne peut de son vivant léser un futur héritier. En revanche, le droit prévoit des cas d'exclusion. Il est important de signaler que le caractère obligatoire de la succession présente une garantie incontournable pour les ayants droit, notamment les faibles de la famille : les femmes et les enfants, qui ne revendiquent pas. Aussi la précision des héritiers, tous de la proche famille et quelles que soient leurs conditions matérielles, sociales, casse-t-elle toute convoitise, influence, rancune, et tout conflit. On retient la notion de «partage» qui suppose solidarité, sécurité, lorsque l'«accumulation» en une seule main suggère injustice, voire despotisme. Le privilège est accordé aux descendants, bien que les parents n'en soient pas privés ; les besoins des premiers censés être plus importants, plus pressants. La mère prend le tiers de la succession en l'absence de descendance et de fratrie du de cujus. Les faibles demeurent protégés. Les parts du foetus et du disparu sont préservées. La succession est établie, de façon réciproque, entre la mère et l'enfant né hors mariage ; situation non citée par la loi n° 84/11 du 9 juin 1984 régissant la famille, complétée et modifiée par l'ordonnance n°05-02 du 27 février 2005, dont l'article 222 renvoie néanmoins aux préceptes du droit musulman. Le partage a lieu après respect de trois droits : droit du de cujus lui-même aux honneurs et au respect de sa dépouille par un rituel funéraire, droit des créanciers, droit des testataires. L'ordre est important, les obligations prioritaires aux libéralités. Selon Bokhari et Moslèm, le Prophète (QSSSL) se chargeait lui-même des dettes du de cujus insolvable : «Je suis plus proche des croyants qu'eux-mêmes. Celui d'entre les croyants qui vient à mourir en laissant une dette à payer, c'est moi qui m'en chargerai. Et celui qui laisse un bien, il est à ses héritiers.» En cas de testament, celui-ci ne dépasse pas le tiers, contrairement à la donation. Le testateur, qui ne dispose pas de pouvoir absolu sur ses biens, ne doit pas léser les ayants droit. Un jour, le richissime Saâd ben Abi Wakâss (père d'une unique fille) malade, reçut la visite du Prophète (QSSSL). Il dit : «Ô Prophète, léguerai-je tous mes biens ?» L'Envoyé répondit : «Non.» Saâd suggéra : «Alors les deux tiers de mes biens ?» L'Envoyé dit : «Non.» Saâd revint à la charge : «Alors le tiers ?» Et le Prophète de répondre : «Le tiers et le tiers c'est beaucoup ! Il est meilleur de laisser tes héritiers riches que de les laisser pauvres demandant l'aumône aux gens.» La libéralité qu'est le testament se fait par charité, amitié ou bienfaisance à un proche. Selon le Prophète (QSSSL), «certes Dieu vous a donné, au soir de votre vie, en sus de vos œuvres, l'aumône sur le tiers de vos biens. Alors mettez le là où bon vous semble». Les actes de bienfaisance demeurent vivement recommandés. Rappelons néanmoins que, par protection des droits, pas de testament à l'héritier, sauf ratification des co-héritiers. Le premier texte faisant état de la succession est un verset général qui évoque les droits des parents, sous-entendant donc la mère, ce qui fut déjà révolutionnaire, mais sans précision des quotes-parts ; et des proches, sans préciser leur identité ni leurs quotes-parts. Il ne fallait pas brusquer les Arabes à la mentalité farouchement hostile à l'héritage féminin (à l'instar des autres sociétés) par des concepts nouveaux. Ceux-ci apparaîtront au fur et à mesure de faits et d'interrogations, donnant à la mère d'abord, puis un peu plus tard aux autres femmes de la famille, un droit inaliénable à la succession. La démarche pacifique, raisonnable et juste de l'Islam sera un succès fulgurant. Personne ne remettra plus en cause l'héritage féminin qui, quelque temps auparavant, présentait un sacrilège. Rappelons que l'Islam est le premier régime social à prévoir la succession féminine. Jusqu'à une époque pas très lointaine, la femme était «objet» de succession et non «ayant droit» à la succession. Ceci étant, voyons maintenant les règles d'héritage. Il faut savoir qu'en matière de succession, on retient quatre principes. - Le premier est que les bases de la vocation héréditaire sont la parenté et la charge. - Le deuxième est que des trois catégories d'héritiers, sont les «fardh», les «aceb» et les «arhâm» ; les femmes sont des héritières dites «fardh». - Le troisième, corollaire du premier, est que l'égalité numérique est loin d'être une égalité de fait. - Le quatrième est que contrairement à ce qu'on pourrait croire, les hommes n'héritent le double de la femme que dans quatre situations sur près de quarante. *Expliquons ces quatre principes Deuxième principe Selon ce principe, les femmes sont des héritières «fardh». Elles ne sont pas «aceb» et moins encore «arhâm». Qu'est-ce que cela signifie ? D'abord, que les femmes sont les premières à hériter : épouse, mère, fille ; ensuite selon les cas petite-fille, sœur germaine, utérine, ou consanguine. Le Coran a donné la priorité aux femmes. Ensuite, leurs parts sont déterminées, contrairement aux «aceb». Elles ne sont pas fixes mais déterminées selon les cas. Les femmes ne sont pas «aceb» car les «aceb» sont des mâles (excepté le mari, le père, le grand-père et le frère utérin qui sont des «fardh») qui prennent le reste de la succession, c'est-à-dire après que les femmes eurent pris leur part. Ces «aceb» sont des proches masculins du côté du père. Le verbe «açaba» signifie «cerner pour protéger», «défendre». Or, dans la plupart des cas, il reste peu, sinon rien de la succession. La part revenant au mâle (hormis le père et le fils) est souvent minime par rapport à la femme. Exemple : un homme décède laissant une épouse, une mère, deux filles et quatre frères. La mère prendra 4/24, l'épouse 3/24, les deux filles 16/24 soit les deux tiers (2/3) et les quatre frères se partageront le 1/24. Exemple où il ne reste rien au mâle : une personne décède, laissant trois filles (ou petites-filles), une sœur germaine ou consanguine, et un oncle. Les filles (ou petites-filles) prennent deux tiers (2/3), la sœur un tiers (1/3), et il ne reste plus rien à l'oncle. Soulignons cependant une entorse à la règle masculine de la «açaba» : la femme, en l'occurrence la sœur germaine ou consanguine du de cujus, devient héritier «aceb» lorsque le de cujus laisse des filles (ou petites-filles) et pas de garçons (fils et petits-fils). Elle prend le «reste» de la succession après les filles, comme dans le cas de figure précité. Aussi, selon le principe de «priorité» (hajb), les mâles n'ont pas tous vocation héréditaire. En présence du père ou du fils, les autres mâles n'héritent pas. Conclusion de ce principe : les femmes sont prioritaires à la succession ; lmâles ne prennent pas toujours la succession. Premier principe Revenons maintenant au premier principe, relatif aux bases de la vocation héréditaire. Ce principe établit que pour hériter, il faut avoir un lien de parenté (par le sang ou l'alliance) avec le de cujus ; idée sur laquelle nous ne reviendrons pas. Rappelons juste que l'enfant né hors mariage hérite de sa mère et vice versa. Le deuxième volet de ce principe, par contre, sollicite toute notre attention. En effet, il est établi dans le droit musulman, et de façon catégorique, que «l'obligation d'entretien» incombe exclusivement et inévitablement à l'homme. Ceci dit, ouvrons d'emblée une parenthèse pour faire savoir que le droit musulman connaît un pilier essentiel des relations sociales ; un système aux multiples ramifications appelé «anafakât achar- iya» qui dépasse de loin la timide «obligation d'entretien» du droit civil positif. Mais nous nous contenterons, dans cette contribution d'un résumé de la dimension réduite de ladite obligation. L'«obligation d'entretien» incombe donc exclusivement aux mâles. La fameuse «kawâma», souvent interprétée de façon tendancieuse, s'en tient d'abord et avant tout à la sacrée obligation de dépenser. Le verbe «kâma» signifie « prendre en charge», «servir», «être aux petits soins d'une personne». Sur cette base, les docteurs sont allés dire que l'homme est le «serviteur» de la femme ! Il est le «serviteur» de la femme parce que la femme n'est tenue de débourser le moindre sou. Elle demeure exonérée de l'obligation de dépenser, et ce, aussi pourvue soit-elle et aussi indigent soit l'homme. Faisons cependant une légère distinction entre la femme mariée et la célibataire. Le principe demeure le même, sauf que la deuxième, si elle est pourvue de ressources, s'entretient elle-même. A l'instar de sa personnalité juridique entièrement indépendante, son patrimoine est lui aussi entièrement indépendant. Elle en dispose à sa guise (la femme mariée aussi). Mais si elle est sans revenus, alors l'obligation d'entretien incombera au père, sinon au frère, sinon à l'oncle. Bref, c'est aux hommes de dépenser. Remarquons que du côté du père, la bienveillance à l'égard des filles est vivement recommandée. D'après le Prophète (QSSSL), les filles font entrer leurs parents (qui leur ont donné une saine éducation) au paradis. Le Prophète cite les filles et non les garçons. Toujours selon l'élégant Prophète (QSSSL), «tout musulman qui voit grandir chez lui deux filles, puis leur fait bonne compagnie, elles le feront certainement entrer au Paradis»(1). «Celui qui honore les femmes ne peut être que noble. Celui qui les humilie ne peut être que vil.» Dans un autre hadith rapporté par At Tahâwi, «celui qui entretient trois filles, ou trois sœurs, le Paradis lui sera imposé». Nul ne recommandera la bienveillance à l'égard des femmes comme le fit le Messager (QSSSL) : «Le meilleur d'entre vous est celui qui est meilleur envers sa famille (son épouse). Et moi je suis meilleur que vous pour ma famille (mes épouses)»(2) ; «Parmi les croyants, le croyant à la meilleure foi est celui à la meilleure moralité ; et le meilleur d'entre vous est le meilleur envers ses femmes»(3) ; «Craignez Dieu à propos des femmes ! Ce sont des assistantes chez vous. Vous les avez prises avec le serment de Dieu (serment de confiance et de protection du « dépôt »)… il vous incombe de les nourrir et de les vêtir selon la bonne coutume». Le mari entretient donc son épouse, aussi riche soit-elle et aussi pauvre puisse-t-il être, et ce, qu'elle soit musulmane, chrétienne ou juive. S'il est lié à une musulmane et à une non musulmane (chrétienne ou juive), il ne doit faire de distinction entre elles. Un contrat de mariage valide génère à lui seul l'obligation d'entretien. Si à propos de la femme divorcée et pendant le délai de viduité, le Coran dit : «Logez-les dans une partie de votre habitation selon vos moyens et ne leur faites aucun tort en vue de les mettre à l'étroit (dans l'alimentation et le logement en faisant partager ce dernier par des gens indésirables). Si elles sont enceintes, entretenez-les jusqu'à leur accouchement. Si elles allaitent pour vous, donnez-leur leur salaire et que tous vos rapports soient sous le signe de la bienveillance», ou encore : «Que celui qui est dans l'aisance dépense de son aisance et que celui qui a reçu sa part de biens avec parcimonie dépense de ce que Dieu lui a donné. Dieu ne charge une âme que selon ce qu'Il lui a donné (comme richesse). Dieu vous fera après vos difficultés une situation facile.»(4) Qu'en serait-il alors de l'épouse dont le «pacte épais» (mithâk ghalîdh) demeure en vigueur ? Selon le Prophète (QSSSL), «les meilleurs d'entre vous sont les meilleurs envers leurs femmes»(5). Ceci dit, non seulement l'époux doit dépenser pour les siens, mais doit le faire de façon à concrétiser la fameuse «kifâya» (suffisance). Un homme incapable financièrement d'entretenir une famille ne contracte mariage. Les docteurs se sont étalés sur le concept, poussant la civilité jusqu'au bout. Ainsi doit-il fournir un logement décent, convenable et surtout vide de tout proche tel un enfant d'un précédent lit, une co-épouse, etc., sauf consentement de l'épouse. On ne doit pas mettre la femme dans la gêne. Les père et mère de l'époux en proie à la sénilité font exception. Alors non seulement le logement doit être fourni, mais celui-ci doit être équipé selon les us et coutumes, et au gré du temps et de la modernité. La «kifâya» suppose aussi une nourriture convenable, un habillement convenable et un mode de vie convenable. Les docteurs (quatre écoles) n'ont pas fait qu'évoquer un serviteur, mais se sont étalés sur…le nombre de serviteurs que l'épouse d'un homme solvable serait en droit d'avoir ! Ceci dit, les docteurs s'accordent aussi sur le fait que l'épouse ne doit pas accabler son mari, soit revendiquer des dépenses que la raison juge inutiles alors que sa situation ne le permet pas. Les dépenses utiles ne peuvent être réfutées sous aucun prétexte. Elles incomberont toujours au mari. Les trois écoles (malékite, chaféite, hanbalite) parlent de dette «forte» qui ne s'éteint que par l'acquittement ou la remise (libération). Si celle-ci a lieu, elle ne touchera que des dettes antérieures. Sur le plan législatif et à propos d'entretien, l'article 75 de la loi 84/11 reprend le principe, mais avec un bémol : en cas de nécessité, l'obligation de dépenser revient à l'épouse. Ceci concerne les enfants uniquement. L'esprit de la Loi demeure observé puisque la femme n'a pas à entretenir son époux. Concernant donc cette «kawâma», le Coran dit : «Les hommes ont la charge et la direction des femmes vu les avantages que Dieu a accordés aux uns de préférence aux autres et vu ce qu'ils ont dépensé de leur argent.»(6) Ces avantages sont la force physique et la part d'héritage qui est parfois double (parfois et non souvent, comme nous le verrons ultérieurement). Remarquons dans ce verset que Dieu Le Sublime dit «aux uns de préférence aux autres». L'exégèse supposerait que Dieu Tout-Puissant préfère «certains hommes à certaines femmes», mais aussi «certaines femmes à certains hommes»... La «kawâma» découle directement de l'obligation de dépenser. On ne peut évoquer la succession sans mettre en exergue l'incontournable «obligation d'entretien ». Les deux notions s'enchevêtrent. Conclusion de ce principe : si, sur 4 cas sur 40, l'homme hérite le double de la femme, d'abord cette femme n'est autre que sa sœur germaine ou consanguine (La fratrie utérine suppose un partage égal entre filles et garçons. Elle est considérée par égard à la parenté maternelle contrairement à la mentalité hostile au remariage de la mère, perçu comme une honte), ensuite c'est parce que ce même homme est tenu par l'obligation de dépenser. Il entretient, et de façon «suffisante», mère, épouse, enfants, père et même cette sœur germaine ou consanguine qui a hérité la moitié de ce qu'il a pris. C'est-à-dire, en langage populaire, que ce que la femme perd d'une main, si perte il y a, elle le récupère de l'autre. Et au contraire, ce que l'homme gagne d'une main, il le perd de l'autre main. Le mâle n'est ainsi pas avantagé. Le principe suivant, qui est le corollaire du principe de la «charge», suppose que finalement, la supériorité numérique dans la succession, si supériorité il y a, n'est pas une supériorité de fait. L'inégalité numérique n'est pas une inégalité de fait dès lors que la quote-part de la succession est subordonnée à la charge. Le quatrième principe préconise que le mâle ne prenne pas toujours le double de la femme. Dans seulement 4 cas sur 40, soit le dixième des situations, le mâle prend le double de la femme ; ceci non pas parce qu'elle est femme, mais, comme soutenu, parce que ses charges financières sont infiniment moindres, sinon inexistantes. Ces 4 cas sont les suivants : une personne décède laissant : des fils et des filles ; ou des frères germains ou sœurs germaines ; ou des frères consanguins ou sœurs consanguines ; ou des petits-fils ou petites-filles. En vérité, il existe 10 situations où la femme hérite plus que l'homme et 30 situations où la femme hérite autant ou plus que l'homme. Ainsi, si une personne décède et laisse une fille et pas de garçon, celle-ci prend la moitié de la succession. Si elles sont plus d'une, elles se partageront les deux tiers. C'est énorme ! Plus, en absence de «aceb» (père, fils, frère, oncle paternel ou cousin), on évoque la notion du «retour» (radd), c'est-à-dire que le reste de la succession retourne aux «fardh», soit les femmes. Le Trésor public «n'hérite» qu'en l'absence totale de tout héritier et de toute catégorie : fardh, aceb et arhâm. Ainsi, si une personne décède et laisse une fille, sans «aceb», elle prendra la moitié de la succession de par sa qualité de «fille fardh» et aussi la seconde moitié «par retour». C'est-à-dire qu'elle prend tout. Idem si elles sont nombreuses. Rappelons que les «arhâm» (oncle maternel, tante paternelle) n'héritent qu'en l'absence de «fardh» et de «aceb». Considérés comme appartenant à d'autres familles, ils héritent d'autres de cujus. Exemple : la tante paternelle hérite d'un de cujus en tant qu'épouse, d'un autre en tant que mère, d'un autre en tant que fille, etc. Ceci étant, un détail nous interpelle : pourquoi est-ce que le frère (sinon l'oncle, sinon le cousin…) du de cujus qui ne laisse pas d'héritier mâle (fils ou petits-fils) hérite-t-il ? La réponse est simple : d'abord, ce cas de figure est rare puisqu'il faut que le de cujus ne laisse non seulement pas de descendant mâle (fils, petit-fils, arrière-petit-fils) mais aussi d'ascendant mâle (père, grand-père, arrière-grand-père). Ensuite la part de cet héritier est minime (si ce n'est rien) puisque «aceb» prend le «reste» après les femmes. Enfin, ce qui semble intéressant, c'est parce que c'est à ce même frère (ou oncle, ou cousin…) que revient l'obligation d'entretien. La «açaba» qui sous-entend «protection» et donc «solidarité», fait que la parenté qui a vocation héréditaire est la même parenté qui observe l'obligation d'entretien. Soit la fameuse règle «al gharam bi al ghanam» (droits aux gains fonction des pertes en dépenses). Sur les quatre écoles sunnites, l'exégèse des Hanbalites s'avère la plus judicieuse quant à la «aççabiyya» en matière d'héritage. N'est-ce pas cette fameuse aççabiyya qui fut derrière la civilisation pour le fondateur de la sociologie Ibn Khaldoun ? Conclusion générale Les règles successorales ne lèsent pas les femmes. Elles sont justes dès lors que les «charges» sont inégales. Un système social juste suppose des droits équitables aux devoirs. Or, plus vous avez de charges, plus avez de moyens aux fins, et aux fins uniquement d'honorer ces charges, et donc de garantir les droits des tiers assurés par ces obligations. L'évolution socio-économique de la situation de la plupart des femmes n'a pas d'impact sur leur « libération » de la charge de dépenser. La règle juridique demeure générale et abstraite. Rappelons qu'il s'agit ici d'«obligation» et non de « bénévolat ». Etablir aujourd'hui une égalité numérique dans les quatre cas précités remettrait en cause l'obligation d'entretien. A qui incomberait-elle ? La maintenir aux mâles lèserait non pas ceux-ci, mais les personnes à leur charge, c'est-à-dire les femmes : épouse, mère, fille, sœur (Rappelons que la femme n'a pas à dépenser fut-elle bien pourvue). La transférer à la femme, dont la bonne volonté à dépenser n'est pas à prouver, serait l'accabler d'une charge dont elle se passerait volontiers. Par ailleurs, l' « obligation » d'entretien symbolise le « labeur ». Elle doit demeurer masculine. Un jour, voyant les mains abîmées d'une femme usée par le travail, le Prophète Bénédiction et Salut sur lui dit en substance : «Ceci ne devrait pas être les mains d'une femme !» C'est aux hommes de courir, de battre le pavé pour nourrir les leurs, et ce, bien que la femme ne soit pas interdite au travail. Au temps du rigoureux calife Omar, la femme était à même d'endosser les plus dures responsabilités publiques telles la redoutable «hissba» sur les grands centres commerciaux que furent les marchés de La Mecque et de Médine. Mais toujours est-il que l'obligation d'entretien reste masculine. Il ne s'agit pas de rester figés sur des rôles stéréotypés réfutant toute souplesse — le Prophète n'aidait-il pas son épouse dans les tâches ménagères ? — mais de lignes principales qui rappellent à l'ordre ceux (les hommes) qui ont tendance à se dérober de leurs devoirs, rejetant la totalité de la responsabilité sur l'autre partie (la femme). Le foyer est une entreprise qui se gère à deux. Aussi faudra-t-il ne pas perdre de vue, et c'est très important, que la contrainte de dépenser éduque l'homme. La contrainte de dépenser responsabilise l'homme, le retient des jupons et autres vices, impératif même de la stabilité et de l'harmonie du couple et de la famille. Impératif dont le bénéficiaire demeure au final… la femme. Ceci étant, le statut personnel prévoit, en sus des règles successorales, d'autres modes de garantie de l'aisance des femmes : la donation. La donation Très ferme sur le principe d'égalité des sexes, le Prophète, bénédiction et salut sur Lui, prôna l'égalité en toute matière. On serait même amenés à sourire sur cette affable égalité dans l'affection affichée aux enfants. En matière de patrimoine, il faut savoir d'abord que le mode de donation n'est pas un «contournement» des règles successorales. «Contourner» signifie se dérober, dans ce contexte, d'une règle injuste. Or, les donations sont des «compléments» à même de garantir encore plus l'avenir de sa descendance, soit filles et garçons, et ce selon la situation de chacun. Ainsi, bien que l'égalité soit vivement prônée en matière de dons faits aux enfants — «Craignez Dieu et soyez équitables envers vos enfants»(7) — le droit musulman recommande de consentir d'abord des donations aux enfants atteints d'infirmités ou de tares. A défaut de maladie, le Prophète nous surprendra par ce hadith rapporté par At Tabarâny : «Faites des donations égales à vos enfants. Et si je privilégiais quelqu'un, ce serait les femmes.» Il est louable de faire des dons à ses filles si un doute subsiste quant à leur avenir, tout en se gardant toutefois de verser dans la mauvaise foi en excluant délibérément un futur héritier alors que leur subsistance paraît garantie. La législation algérienne favorise les donations entre ascendants et descendants au travers des allègements fiscaux : taux d'enregistrement de 3% sur la valeur du bien contre 5% (ordonnance n°76-105 du 9 décembre 1976 portant code de l'enregistrement). Le «takharouj » ou «système de compensation» Lorsqu'un «aceb» se retrouve à même de mettre dans la gêne les héritières, celles-ci peuvent avoir recours au système dit «takharouj», soit le «sortir de la succession». Accord à l'amiable, le «takharouj» se fait en contrepartie d'un bien ou d'une somme d'argent équivalent à la quote-part de l'héritier sorti.Cette alternative s'avère très pratique lorsque le bien constituant la succession réside en un bien immobilier, tel un logement. Les héritières gardent à elles seules la totalité de la maison, cédant au «aceb», dont la part est infime, une somme d'argent ou un bien d'un montant égal à sa part. Curieusement, aucune allusion n'est faite au «takharouj» dans la loi n°84/11. La pratique suggère cependant des partages à l'amiable auprès d'experts fonciers agréés. Infractions Le droit confère à toute personne lésée en matière d'entretien une action en justice. D'après l'article 77 de la loi n° 84/11 du 9 juin 1984 régissant la famille, «l'entretien des ascendants incombe aux descendants et vice versa, selon les possibilités, les besoins et le degré de parenté dans l'ordre successoral». Ainsi, une mère ou un père est en droit d'ester ses enfants en justice dès lors que ces derniers se dérobent à leurs obligations. L'article en question ne précise pas le sexe du débiteur. Il pourrait être déduit de l'article 75 qui prévoit que l'entretien des garçons se fait jusqu'à la majorité, contrairement aux filles, jusqu'à consommation du mariage. Rappelons qu'il n'existe nul grief à ce que la fille dépense pour les siens. Mais cette action relève plus de la libéralité que de l'obligation, sauf exception. Aussi, il limite les ayants droit aux ascendants et descendants directs et indirects, se conformant au rite chaféite. Se montrant plus restrictive, l'école malékite ne prévoit que ascendants et descendants directs. Le droit musulman, deuxième source de ladite loi (article 222) vient combler les vides. Ainsi serait-il permis à une sœur sans ressources (école hanafite) de demander l'entretien de son frère si elle a vocation héréditaire (hanbalite) et que la situation financière du frère le permet. Il est malheureusement constaté qu'ignorance et même pudeur familiale entravent la culture du droit, notamment du côté des femmes. Par ailleurs, de nombreuses veuves bénéficiant d'une reconversion de retraite se voient escroquées par leurs propres fils mandatés à gérer leurs comptes, se retrouvant ainsi sans ressources lorsqu'une simple révocation du mandataire par acte notarial pourrait mettre fin à la situation. Encore une fois, l'ignorance, si ce n'est la crainte, bloque toute contestation. Force est de constater que la législation apporte une garantie de taille en matière de droit à l'entretien : la procédure d'urgence que constitue le «référé» (art 57 bis de la loi n°84/11). Aussi, la pension alimentaire due par le débiteur à sa famille a privilège sur tous ses biens, meubles ou immeubles (art 993 de l'ordonnance n°75/58 du 26/09/1975 complétée et modifiée, portant code civil). D'autre part, constituent des biens insaisissables les pensions alimentaires allouées par justice, les produits alimentaires nécessaires à la subsistance du saisi et de sa famille pendant un mois, les salaires, les appointements, les pensions de retraite et les pensions d'invalidité corporelle (articles 636 et 639 de la loi n° 08-09 du 25/02/2008 portant code de procédure civile et administrative). Selon le code pénal, «est punie d'un emprisonnement de 6 mois à 3 ans et d'une amende de 50 000 à 300 000 DA toute personne qui, au mépris d'une décision de justice rendue contre elle ou en méconnaissance d'une ordonnance ou d'un jugement l'ayant condamnée à verser une pension alimentaire à son conjoint, à ses ascendants, à ses descendants, est volontairement demeurée plus de 2 mois sans fournir la totalité des subsides déterminés par le juge ni de s'acquitter du montant intégral de la pension. Le défaut de paiement est présumé volontaire ». Aussi, «toute personne condamnée pour l'un des délits (…) peut, en outre, être frappée pour un an au moins et 5 ans au plus de l'interdiction des droits mentionnés à l'article 14 (droits civiques) du présent code» (articles 331 et 332 de l'ordonnance n°66-156 du 8 juin 1966 portant code pénal, modifiée et complétée notamment par la loi n°06-23 du 20 décembre 2006, et la loi n°09-01 du 25 février 2009). Mais force est de constater que l'arsenal juridique ne suffit point. Le législateur aurait pu faire preuve de plus de pragmatisme. L'emprisonnement ne servant à rien, il aurait fallu prévoir des mesures plus efficientes comme la création d'un fonds national pour les personnes démunies telles les femmes (notamment veuves ou divorcées), les enfants et les personnes âgées (dispositif en vigueur chez les ibadites). Il est étonnant d'observer le «retard» du législateur positif en la matière lorsqu'on sait que bien plus tôt, Abou Bakr créa «mouassassat al atâ» dont bénéficia toute la société, pourvus et dépourvus. Omar, au sens «obsessionnel» de la justice, viendra modifier certaines dispositions pour inclure les nouveaux-nés. Musulmans et non musulmans en profitaient tous, et de façon égalitaire. La responsabilité de l'Etat demeure plus que jamais engagée. Sur le plan local, «si parmi les habitants d'une même rue il se trouve un individu qui a faim, ils deviennent tous exclus de la protection du Tout-Puissant» (Hadith 8). Ibn Hazm ira jusqu'à évoquer une «complicité de meurtre», exigeant la «diyya». Pour Al Djouaïni, la vie d'ici-bas, avec tout ce qu'elle comporte, ne saurait s'estimer quitte du préjudice d'un seul indigent musulman. Sur le plan national, l'Etat se doit d'entretenir ses défavorisés, de couvrir entièrement leurs besoins. D'après le Prophète (QSSSL), «celui qui laisse des biens, ceux-ci reviennent à ses héritiers. Et celui qui laisse des orphelins, ces derniers sont à notre charge»(9) (c'est-à-dire l'Etat). Certains Compagnons inséreront même faillite et dettes dans ce cercle. L'obligation d'entretenir les personnes sans ressources ou les personnes dont les débiteurs ne peuvent ou ne veulent assumer les charges, revient inéluctablement à l'Etat. «Vous êtes tous des administrateurs et chaque administrateur est responsable de ses administrés. Celui qui gouverne les gens est leur administrateur ; il est alors responsable de leur sort»(10). Un jour, voyant un vieil homme juif faire la manche, le calife Omar ordonna au «beytelmel» de lui porter assistance à lui ainsi qu'à tout démuni. Dans un autre hadith, «la mendicité est comme une écorchure qui enlaidit le visage de son auteur… Que celui qui veuille garder son visage intact ne demande qu'au gouverneur»(11). Le commandant en chef de l'armée, Khalid Ibn Al Walid, dont la mission fut loin du social assura aux non musulmans démunis l'exonération de la «djiziyya» ainsi que l'aide du Trésor public. L'Algérie ottomane, malgré lacunes et excès du pouvoir, prenait en charge périodiquement les démunis, non pas tous les mois mais toutes les semaines (les jeudis), etc. Bref, l'histoire de la civilisation musulmane déborde de faits tous aussi glorieux et civilisés les uns que les autres se rapportant à la responsabilité sociale de l'Etat et de ses commis, qu'il est impossible de citer dans cette contribution. Par ailleurs sera-t-il étonnant de constater cette fois-ci le retard de la conscience collective en matière de droits vis-à-vis de l'Etat : les premiers doctrinaires n'ont pas hésité à établir le droit de l'individu à l'action en justice via laquelle le juge astreint «beytelmel» (soit l'Etat qui manque à ses obligations) à s'acquitter de ses dettes. Ceci dit rendons aujourd'hui hommage à un citoyen algérien qui a osé faire le pas et qui…obtint gain de cause ! Pour revenir à la législation algérienne, la femme mariée lésée dispose, face à l'entêtement du mari (soit après action en justice), du droit d'obtenir le divorce (article 53 de la loi 84/11 précitée). Les écoles malékite, chaféite et hanbalite parlent du droit à la «résolution» du mariage. Cette option est juridiquement plus bénéfique puisqu'elle suppose «inobservance des obligations de l'époux», ce qui donne lieu au droit à réparation. Enfin, l'entrave aux règles successorales s'avèrerait une grave erreur. Lesdites lois demeurent justes, saines et clémentes, au gré du temps et des situations, en dépit de notre conception restrictive. Les «pseudo-solutions» de certains milieux qui nous ont habitués à déshabiller Paul pour habiller Pierre seraient désastreuses pour l'équité sociale. Egalité n'est pas équité. Si aujourd'hui des femmes se retrouvent sans ressources, la «faute» n'impute point à un système successoral au contraire pionnier des droits des femmes (et des faibles : fœtus, enfants, absents, enfants biologiques) s'articulant autour de la «solidarité» et de la «protection», mais sur une flagrante mauvaise distribution des richesses et une démission totale de l'Etat. Par ailleurs sera-t-il aisé de retenir le caractère mystérieux des six fractions «fardh» : un demi, un quart, un huitième, deux tiers, un tiers, un sixième (½, ¼, 1/8, 2/3, 1/3, 1/6) dont seul Dieu l'Omniscient détient la science. Pour notre part, nous pouvons juste observer l'incroyable règle des deux tiers, sur laquelle par ailleurs s'assoit la création de l'univers, et qui, de façon surprenante, est attribuée dans ce contexte… aux femmes ! A méditer…
Notes de renvoi : (1) Bokhari. (2) Ibn Madja, Ibn Haban (3) Authentique (Djâmi'e saghir) (4) Le divorce, v.6 et 7 (5) Ibn Madja (6) Les Femmes, v.34. (7) Bokhari, Moslèm. (8) Rapporté par Ahmed. (9) Bokhari. (10) Bokhari et Moslèm (11) Abou Dawoud, Tirmidhi et Nassâi.