Regard doux et déterminé. Yasmine bat de ses longs cils et fixe langoureusement de ses yeux noirs son diplôme fraîchement obtenu. A dix ans seulement, elle a été classée quatrième au concours international de piano à Rabat, dans la catégorie débutant. Ses parents ont de quoi être fiers d'elle. Cela fait seulement deux ans que Yasmine joue au piano et elle se débrouille déjà comme une grande. « Elle a l'oreille et les doigts musicaux », confie sa mère sur un ton d'humour, « c'est comme ça qu'on a eu l'idée de lui faire faire du piano, le médecin de famille a attiré notre attention sur ses longs doigts. » Attention, jeune talent ! Pourtant, rien n'est simple. La mère de l'artiste a opté pour des cours particuliers, car avec la circulation, une école aurait été source de fatigue, de stress et donc d'abandon. Il fallait aussi acheter un piano, ce qui n'est pas donné, et puis autre détail important : trouver une personne compétente pour accorder l'instrument. Or à Alger, il n'y en a qu'une seule. « C'est par le bouche à oreille qu'on a pu avoir ses coordonnées », ajoute-t-elle. Mais il fallait penser à tout car suivre des cours avec un professeur particulier peut avoir ses propres inconvénients. Pas de rencontre avec les autres enfants et donc pas d'esprit de compétition. Alors le professeur de Yasmine décide de l'inscrire à son premier spectacle. C'était à Bologhine, Yasmine s'en souvient encore, c'était la première fois qu'elle montait sur scène. Sûre d'elle, la petite gazelle n'a pas le souvenir d'avoir eu le trac. « Je n'ai jamais mal au ventre, je n'ai pas peur », dit-elle d'un air décidé. Il faut dire que Yasmine ne subit aucune espèce de pression de la part de son professeur, encore moins de ses parents. Elle joue avec plaisir. Elle suit ses six heures de cours avec assiduité. Sans rechigner, elle fait ses exercices : théorie parfois ennuyeuse, comme les dictées de solfège ; pratique, sans doute plus agréable, surtout pour sa famille, son premier et fidèle public. C'est la passion qui guide Yasmine, rien n'arrête la virtuose. Même pas les devoirs d'école qu'elle ne néglige jamais. Sa réussite scolaire est pour elle tout aussi importante que la musique. Yasmine considère que l'un n'empêche pas l'autre ; après tout il suffit de savoir s'organiser. « Je veux être architecte et continuer la musique en parallèle », affirme-t-elle sur un ton déterminé. Comme dans un conte de fées, cette toute jeune fille, baptisée comme l'une des plus belles héroïnes des Mille et Une Nuits, va séduire son public lors de sa première participation au concours international de piano. Pour elle, il ne s'agit pas de raconter des histoires au sultan, comme Shéhérazade, mais plutôt de caresser les touches de son instrument de prédilection et d'adresser des notes mélodieuses à son public et par là même à la marraine de ce concours « Son Altesse royale lalla Meryem » ; c'est sa façon à elle de s'exprimer. Précoce mélomanie Ce concours est organisé au royaume du Maroc chaque année du 1er au 8 juillet ; des enfants et adultes de toute nationalité y participent. Peuvent concourir les pianistes âgés de 6 à 35 ans. L'inscription s'effectue en janvier. La jeune pianiste a dû travailler un morceau imposé à tous les candidats et un autre morceau qu'elle aura choisi d'une liste. Elle s'entraînera avant même d'avoir reçu une réponse favorable des organisateurs. Elle a eu sept mois pour se préparer jusqu'au moindre détail. Même la tenue est notée. Yasmine se souvient encore de ses chaussures blanches, de sa robe noire, de sa queue de cheval et de ses belles boucles. Ce soir-là, Yasmine parviendra à conquérir les plus grands concertistes et pianistes membres du jury. Pourtant, cette magnifique aventure, elle la doit au pur hasard. « Mes parents ont des amis algériens au Maroc. Leurs enfants font également du piano et participent régulièrement au concours, c'est comme ça que je l'ai su. » C'est aussi grâce à cela que le public marocain a pu la découvrir. « A quand le public algérien ? », se demande la maman de Yasmine. « Je trouve désolant de voir que de telles manifestations n'existent pas dans notre pays », dit-elle, et d'ajouter : « Je suis prête à rencontrer des pianistes et à m'investir pour organiser ce genre de manifestations. » Pour l'heure, Yasmine ne se soucie pas trop de l'organisation, son seul message s'adresse aux enfants de son âge : « Surtout si vous rêvez de faire du piano, battez-vous pour en faire. » Par Meriem Amellal