Scénario cauchemardesque pour les dignitaires les plus zen du régime algérien qui voient (de nouveau) s'opérer à ses frontières la magie de l'effet dominos. Après Ben Ali et Moubarak, El Gueddafi est chassé après plus de 40 ans de pouvoir absolu. Signe d'un profond désarroi, de peur panique s'emparant du sérail, les autorités d'Alger observent, groggy, 48 heures après la chute précipitée du régime d'El Gueddafi, un silence assourdissant. Aucune réaction officielle. Pas un mot sur ce que vient de vivre le très «encombrant» voisin de l'Est. Le régime d'Alger en tirera-t-il pour autant les bons enseignements et éviter au pays un sort analogue ? Lâchera-t-il du lest face à la demande populaire d'un changement démocratique ? Le déroulé du scénario libyen l'incitera-t-il à opérer une plus grande ouverture, ou au contraire le fermera comme une huître. Difficile de préjuger, à l'heure qu'il est, des intentions du pouvoir. Pour Rachid Malaoui, secrétaire général du syndicat autonome Snapap, un des initiateurs de la Coordination nationale pour le changement démocratique (CNCD), le pouvoir est dans une «confusion totale» et invite ce dernier à «faire» comme El Gueddafi : «Quitter très vite la ville car, jure-t-il, dès septembre, nous allons reprendre la protestation pacifique.» Le syndicaliste autonome déplore que le pouvoir algérien ait soutenu «jusqu'au bout» le régime d'El Gueddafi, et ce, au mépris des aspirations des Libyens à la liberté et à la démocratie. Le pouvoir algérien a multiplié, d'après lui, les «manœuvres dilatoires, joué la carte de l'intervention atlantiste, instrumentalisé la peur d'une guerre civile en Libye pour mieux renier ses propres engagements en matière de changement démocratique». Le président de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l'homme (LADDH), maître Mustapha Bouchachi – porte-parole de la CNCD-Barakat – se réjouit de la chute d'El Gueddafi et des impacts que celle-ci aura sur l'évolution de la situation en Algérie. «Ça servira, affirme l'avocat, d'exemple à tous les régimes totalitaires et despotiques et mettra plus de pression» sur le régime algérien pour aller vers de «vraies réformes» et un «changement réel» du système politique. Le changement démocratique est désormais inéluctable : il sera choisi ou subi. «J'espère que les gens qui gèrent ce pays, ajoute-t-il, sont conscients qu'ils n'ont d'autre alternative que d'amorcer un changement réel. Car le cas contraire, ça sera la catastrophe. Je ne pense pas, en effet, qu'on puisse continuer à gérer le pays de la même façon, avec un pouvoir apparent et un pouvoir occulte, alors que toute la région a entamé sa marche pour la démocratisation.». Le député MSP Abderrazak Mokri espère que la chute d'El Gueddafi serve aussi «de déclic» au pouvoir algérien.
«Le processus de réformes doit être mené dans la transparence et la sincérité, car dans le cas contraire, l'Algérie n'est pas à l'abri d'un scénario à la libyenne», déclare-t-il. Le pouvoir algérien doit savoir, selon lui, assimiler correctement les enjeux de cette période charnière dans l'histoire des pays de la région. «Il est clair qu'il ne peut indéfiniment lutter contre la marche de l'histoire et brider l'aspiration du peuple au changement démocratique. Les promesses et les engagements pris par les tenants du pouvoir ne sont pas honorés. Nous le constatons avec le contenu des nouvelles lois que le gouvernement compte réviser. Le président de la République a amorcé un processus, lequel processus manque de sincérité et de sérieux.» Vice-président de l'APN et n°2 du RND, Seddik Chihab fait porter le chapeau à l'opposition qui, selon lui, n'a pas saisi l'opportunité des consultations politiques. L'Algérie n'a pas attendu, à ses dires, la chute d'El Gueddafi pour entamer des réformes et concède toutefois la nécessité de les «approfondir». «Je pense que si certains acteurs politiques avaient saisi cette opportunité, l'état d'esprit national aurait été autre aujourd'hui.
Les Algériens doivent comprendre que nous devons aller de l'avant. Le gouvernement, de son côté, se doit d'approfondir ces réformes, de façon sérieuse, rapide et claire. La classe politique aussi doit se mettre d'accord sur un SMIG patriotique et intégrer ce processus sans arrière-pensée, ni hésitation.» La gauche anti-impérialiste ne crie pas victoire, ou plutôt crie à la victoire de l'OTAN ! Salhi Chawki du Parti socialiste des travailleurs dit refuser «comme beaucoup d'Algériens l'enthousiasme atlantiste» pour la chute du régime d'El Gueddafi. Et pour cause ! Sur l'Algérie plane, souligne-t-il, des «menaces encore plus importantes, car la Libye n'est qu'une étape dans le plan de recolonisation de la région». Chawki regrette que le régime algérien se mette d'ores et déjà «en posture de soumission, alors que nous venons de célébrer le 50e anniversaire de l'indépendance acquise, les armes à la main, contre l'OTAN».