Jamais artiste algérien n'a fait une telle demande. «La statue de l'Emir Abdelkader portant une épée et qui est en plein centre d'Alger doit être remplacée par une autre statue de l'Emir lisant un livre. On oublie souvent que l'Emir Abdelkader était un poète», a confié la chanteuse Nassima Chaâbane, mercredi soir à la salle El Mouggar à Alger, quelque minutes avant de monter sur scène, à la faveur des soirées du tarab qu'on organise depuis une semaine l'Office national de la culture et de l'information (ONCI). Nassima Chaâbane aime reprendre les textes de l'Emir Abdelkader dans ses concerts. «J'ai étudié en Algérie et je n'ai pas beaucoup appris sur cet homme. Tous les Algériens connaissent l'Emir Abdelkader comme un homme d'Etat, un guerrier. J'ai fait des recherches et j'ai voulu présenter un autre visage de lui. C'est un homme d'une vaste culture, un passionné de manuscrits rares, un soufi pieux, un savant», a-t-elle expliqué. Elle a tenu 0 animer un concert à Mascara, la région de l'Emir Abdelkader, une manière de lui rendre hommage. Avant d'entamer la première partie andalouse de son concert à la salle El Mougar, Nassima Chaâbane a déclamé un poème de l'Emir Abdelkader : «Je suis à la fois, l'amour, l'amant et l'aimé. Je suis l'amoureux aimé secrètement ou au grand jour.» Elle a ensuite interprété le poème sur une variation de la mélodie de Koum tara. Le poème Je suis l'amour, de l'Emir Abdelkader, est inspiré des idées du poète soufi Ibn Arabi sur la présence divine dans le monde. En mode maya, elle a chanté Zarani mahboubou qualbi, suivi de Ala mentakoun hadi zeyara et un khlas Allah yehdik. En deuxième partie, Nassima Chaâbane a repris des extraits de ses deux derniers albums Voie Soufie, voix d'amour et Des racines et des chants. Ainsi, a-t-elle interprété Layssa fil el oujoud de Ibn Arabi, de cheikh Al Akbar , Leila, de cheikh Ahmed Al Alaoui, un poème de Aboumediène El Ghaouth (Sidi Boumediène) et des textes des tarikat tidjania et kadiria. Tous les poèmes sont enrobés de musique savante avec une forte présente du oud, du qanoun et du bendir. Des airs arrangés par Nassima elle-même. Le timbre vocal particulier de l'artiste, une véritable mezzo-soprano, a donné une autre saveur au chant dont l'origine est mystique. «Le soufisme est le battement du cœur de l'Islam. Depuis mon enfance, j'ai été baignée dans une certaine ambiance. On chantait les mawlidatte durant la fête du Mawlid Ennaboui. Donc, c'est ma tradition», nous a-t-elle expliqué. Sorti en 2006, l'opus Voie soufie, voix d'amour se veut le résultat de recherches menées par Nassima Chaâbane, qui est professeur de musique aussi, sur le soufisme. «Je chante le samaâ qui est l'écoute spirituelle soufie. J'ai produit un album, Voie Soufie, voix d'amour. Des voix qui portent les messages de l'amour et de la paix. Et je rappelle encore une fois que l'Islam vient de salam (paix). La paix qui est l'un des noms divins et qui s'enracine en nous grâce à la gnose, la connaissance et à l'amour. Donc, j'ai revisité presque un millénaire de tasaouf », a-t-elle noté. Dans son dernier album consacré au châabi, Des racines et des chants, elle rend hommage à des artistes algériens, tels que Slimane Azem, cheikh El Hasnaoui, Boudjemâa Al Ankis et El Hachemi Guerouabi. Nassima Chaâbane prépare un nouvel album qu'elle qualifie de belle surprise. «Cela concerne toujours l'Algérie. Je reste une ambassadrice mobile de mon pays. Je suis présente sur le terrain depuis presque trente ans. Je fais tout mon possible pour représenter au mieux la culture algérienne», a-t-il souligné avant d'enchaîner avec amertume : «Je souhaite que les responsables en charge des institutions culturelles donnent plus d'importance et de respect aux artistes algériens qui représentent le pays à l'étranger. Je souhaite être plus présente dans les festivals en Algérie. Il n'est pas normal qu'on donne les grands moyens aux artistes du Moyen-Orient, qui sont du reste mes amis que je respecte, et qu'on oublie les artistes algériens. Il faut que cela soit aussi à double sens, pas à sens unique.» Nassima Chaâbane est fière de rappeler son passage mémorable au Carnegie Hall, la célèbre salle de spectacle au sud de Central Park, à New York, là où a chanté Franck Sinatra, Pavarotti, Miles Davis, Pink Floyd, Judy Garland, Edith Piaf, The Beatles et autres grands noms de la musique. «Je suis toujours attachée à l'authenticité et au patrimoine algérien. Je suis arrivée avec tout mon ensemble. Les musiciens se déplacent avec moi dans tous les festivals à travers le monde. Ils ont été avec moi au Pakistan, en Turquie, aux Etats-Unis et ailleurs», a tenu à dire l'artiste. Originaire de Blida, Nassima Chaâbane, qui est installée en France depuis 1994, a été aidée à ses débuts par les maîtres du chant arabo-andalous Dahmane Benachour, Saddek Béjaoui, Mohamed Bengergoura, Hadj Medjbar et Hadj Hamidou Djaïdir. Elle a appris le chant et le jeu d'instruments au conservatoire de la ville des Roses avant de perfectionner son art à l'ensemble El Widadia, puis Nedjma. Elle a enregistré son premier album en 1979, une anthologie de la musique arabo-andalouse à la radio algérienne, avant de chanter avec l'Orchestre symphonique national. Aujourd'hui, Nassima Chaâbane sera au grand chapiteau de La Médina, de la Radio algérienne et de Nedjma, au complexe olympique Mohamed Boudiaf, à Alger. Et, avant la fin du Ramadhan, elle animera un autre concert à Oran.