Faut-il parler d'intransigeance ou d'acte de souveraineté au sujet du chef de l'Etat syrien d'être entendu comme témoin dans l'enquête sur l'assassinat de l'ancien Premier ministre libanais Rafic Hariri ? Alors que toutes les voies menaient vers lui, surtout après la sortie fracassante de l'ancien vice-président et autre homme fort du régime syrien Abdelhalim Khaddam, qui a apporté plus d'insinuations que d'accusations directes, le président Bachar El Assad a tout simplement refusé d'assumer ce rôle auquel il a été contraint par une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies, laquelle balaie toute notion de frontière ou de souveraineté. Ce refus a été annoncé samedi par une source diplomatique syrienne à Beyrouth, là justement où la Commission internationale d'enquête a installé son quartier général. Un porte-parole de la Commission onusienne, que dirige encore pour quelques jours le procureur allemand Detlev Mehlis, s'est refusé à tout commentaire, se bornant à dire que la Syrie avait répondu à la demande des enquêteurs d'entendre le président syrien. Mais de source diplomatique, on confirme que la réponse de Damas est négative. « L'explication principale est que la Syrie estime que cette requête viole les principes de la souveraineté », ajoute-t-on. Le président syrien avait indiqué que les enquêteurs de l'ONU avaient déjà « proposé de venir en Syrie à la fin de l'été pour écouter des témoins syriens, comme ils les appellent ». « Ils avaient demandé à l'époque de rencontrer le président Bachar. Le président de la République a une immunité internationale », ajoute-t-il. Lors de cette même occasion, le président Bachar Al Assad a démenti également les accusations de Abdelhalim Khaddam, affirmant que le président syrien a menacé Rafic Hariri avant son assassinat. « Cet incident n'a jamais eu lieu. Le but de ces allégations est clair, c'est de lier les menaces à l'assassinat », affirme M. Al Assad. « Je souhaite affirmer ici que personne n'était avec nous la dernière fois que Hariri et moi nous sommes rencontrés. D'où sortent donc ces accusations ? », poursuit-il. Khaddam, qui vit dans un hôtel particulier d'un quartier huppé de la capitale française, a affirmé que Assad avait menacé Hariri. « Assad m'a confié qu'il avait dit des mots très durs à Hariri (...), quelque chose comme : ‘‘J'écraserai tous ceux qui me désobéiront''. Le nez de Hariri s'est mis à saigner après cette rencontre », déclarait celui qui fut, jusqu'à sa démission en juin dernier, l'un des hommes les plus en vue, se maintenant au pouvoir durant plus de trois décennies. Ce qui tend à mettre en cause sa crédibilité surtout au sein de l'opposition syrienne qu'il avait contribué à combattre. M. Khaddam a été entendu vendredi pendant deux heures par le procureur Mehlis à Paris. Plusieurs hauts responsables syriens et libanais ont été mis en cause par la commission Mehlis sur l'assassinat de Rafic Hariri et de 22 autres personnes dans un attentat à la bombe le 14 février dernier à Beyrouth. Damas, qui nie toute implication, a dû se retirer du Liban après 29 ans de présence militaire. M. Khaddam semble, quant à lui, n'avoir jamais douté de la réponse de Bachar El Assad. Peut-être était-ce là une manœuvre politique pour amener ce dernier à afficher des positions qui pourraient au contraire le desservir. « Bachar Al Assad est un impulsif, un nerveux et un grand peureux. Il suffit que le dernier venu lui rapporte qu'untel a médit de lui pour que ce dernier se retrouve immédiatement en prison, quitte à être libéré trois ou quatre jours plus tard, parce qu'un autre quidam aura assuré le Président du contraire. » Influençable aussi, si l'on en croit M. Khaddam qui raconte comment dès 1999, lorsque feu son père lui avait confié le dossier du Liban, Bachar Al Assad avait été littéralement dressé contre Rafic Hariri par un groupe de jeunes Libanais de son âge, à l'instigation d'officiers des services de renseignements de l'armée de leur pays et du président libanais, Emile Lahoud. Autant dire que la marge de manœuvre du chef de l'Etat syrien ne cesse de rétrécir avec cette opposition qui vient de l'intérieur. Des propos qu'il a pu démentir jusque-là sans la moindre difficulté, surtout en ce qui concerne son tête-à-tête avec Hariri, sans témoin, selon lui, détruisant la thèse de Khaddam. Demeure alors la question de la crédibilité de ce dernier qui se dit aujourd'hui déterminé à « œuvrer à la chute du régime » dont « les politiques erronées » à l'intérieur et avec l'étranger « infligent au peuple syrien de grandes souffrances, étouffent les libertés et interdisent toute participation politique, alors que la crise économique est étouffante et que les pressions extérieures suscitent de vives inquiétudes ». Ses biens en Syrie ainsi que ceux de ses enfants viennent d'être saisis, et il dit savoir que « la décision a été prise de ‘‘le'' tuer », avant même les critiques publiques qu'il a faites au régime. Mais il affirme n'en avoir cure et qu'il fallait une « décision courageuse ». Il est convaincu que « le processus de changement va se déclencher ». Il est « hostile à un coup d'Etat militaire et à l'ingérence de l'armée dans la politique ». « La Syrie en a suffisamment pâti, dit-il. C'est le peuple qui doit conduire le changement. Ce n'est pas la voie la plus facile, mais c'est la plus sûre et d'une meilleure garantie pour l'avenir. » Quelle place occupera celui-là même qui avait dirigé la diplomatie syrienne et fait admettre l'entrée de troupes de son pays au Liban en 1976 dans le cadre de ce qu'on appelait alors la Force arabe de dissuasion (FAD) qui n'avait d'arabe que le nom ? Plus qu'une simple controverse, les déclarations de M. Khaddam alourdiraient le dossier syrien au sein du Conseil de sécurité, et ce pays est menacé de perdre ce qu'il ne cesse de revendiquer avec acharnement : sa souveraineté. Mais comment y échapper. Là réside toute la question.