Climat de terreur au Liban avec la poursuite des assassinats politiques. Le député libanais chrétien Jebrane Tuéni, directeur du journal An Nahar, en est la nouvelle cible.Il a été tué hier matin dans l'explosion d'une voiture piégée qui a fait au moins quatre morts, selon des sources concordantes. Ce sont des cibles parlantes comme les décrivent les spécialistes, puisque le défunt incarnait un certain renouveau du Liban qui se veut multiconfessionnel et libre. Né en 1957, Jebrane Tuéni a été élu pour la première fois député orthodoxe de Beyrouth sur la liste du Courant du futur de Saâd Hariri sorti grand vainqueur des élections législatives de mai-juin, les premières après le retrait de l'armée syrienne du Liban fin avril. Père de quatre enfants, dont deux petites jumelles nées il y a quelques mois, Jebrane Tuéni était un des leaders de la « révolution du Cèdre » qui a succédé à l'assassinat de l'ancien Premier ministre Rafic Hariri et qui a conduit au départ des forces syriennes du Liban. Jebrane Tuéni était ces derniers temps un vigoureux partisan de la création d'un tribunal international pour juger l'assassinat de Rafic Hariri, à la lumière du rapport de la commission internationale d'enquête de l'ONU sur ce crime où la Syrie a été mise en cause. Prônant sans relâche l'indépendance et la souveraineté du Liban, il était connu pour ses articles virulents contre la politique syrienne. M. Tuéni est également le neveu du ministre Marwan Hamadé qui a échappé de justesse en octobre 2004 à un attentat. Un combat en somme pour ceux qui connaissent la réalité politique et institutionnelle du Liban basée sur un strict partage du pouvoir entre les communautés comme le stipule le fameux Pacte national de 1943. L'on retiendra aussi que ce nouvel assassinat intervient alors que la seconde phase de l'enquête sur l'assassinat de l'ancien Premier ministre libanais Rafic Hariri perpétré le 14 février dernier vient d'être bouclée et qu'un rapport en ce sens remis dimanche au secrétaire général de l'ONU, par le chef de la mission, doit être examiné cette semaine par le Conseil de sécurité. L'attentat contre Jebrane Tuéni est le 13e attentat depuis l'assassinat de Rafic Hariri en février 2005. Tous ont visé des personnalités anti-syriennes et des régions chrétiennes. Le dernier avait mutilé le 25 septembre la journaliste anti-syrienne, May Chidiac. Début juin, An Nahar avait déjà été endeuillé par l'assassinat d'un de ses éditorialistes anti-syriens, le journaliste Samir Kassir, tué dans un attentat. Sans même attendre la moindre revendication, parce qu'il n'y en aura certainement pas, et que l'enquête qui va s'ouvrir risque de mener nulle part, comme c'est la règle avec ces attentats, œuvre, dit-on toujours, de spécialistes. Le chef et député druze libanais, Walid Joumblatt, a accusé indirectement la Syrie du meurtre de Jebrane Tuéni. « Les menaces ne nous font pas peur et nous continuerons notre combat pour l'indépendance du Liban et réclamer de faire la vérité sur l'assassinat de Rafic Hariri », a dit M. Joumblatt qui a accusé à maintes reprises Damas d'être derrière le meurtre de l'ancien Premier ministre libanais. Quant au ministre syrien de l'Information, Mehdi Dakhlallah, il a affirmé sur la même chaîne de télévision que « l'ingérence étrangère est à l'origine du chaos actuel » au Liban. Le ministre druze des Télécommunications Marwan Hamadé, également oncle maternel de Jebrane Tuéni, a menacé de démissionner si le Conseil des ministres ne se réunissait pas hier soir « à demander une enquête sous l'égide du Conseil de sécurité de l'ONU sur tous les crimes commis par la Syrie » au Liban. Des cris de douleur, mais c'est tout le poids du malheur qui s'abat sur le Liban comme s'il s'agissait d'une malédiction. Et Ghassan Tuéni, le père du député assassiné, a si bien décrit la réalité qui frappait son pays, lui qui avait accompagné et conseillé nombre de présidents libanais. De par ses fonctions, il avait accès à des éléments d'analyses très précieux. Il avait toujours dit que son pays était en danger, et que celui-ci n'est pas écarté, et qu'il ne le sera pas aussi longtemps que n'auront pas disparu les convoitises dont le Liban est l'objet.