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«On ne peut pas faire de révolution sans femmes ni culture»
Entretien avec le chanteur Amazigh Kateb
Publié dans El Watan le 17 - 09 - 2011

Amazigh Kateb a fait vibrer le théâtre de Verdure, jeudi soir, en revisitant son répertoire pour un public algérois qui s'est enivré sans retenue de ses rythmes, ses fusions musicales et de sa parole contestataire. Un concert audacieusement organisé par l'équipe d'Adrénaline - une nouvelle boîte d'événementiels - où il a eu l'occasion d'absorber tous les désirs de sédition contenue par la jeunesse algéroise. Après une première partie consacrée au groupe Tatafull, Amazigh a scandé ses révoltes et a harmonieusement mêlé ses subtilités musicales.
En marge de ce premier événement de l'année, où il se produit sur une autre scène que celles des kheimates et des festivals, Amazigh Kateb, digne héritier des idées révolutionnaires de son père, s'est livré dans un entretien qu'il a bien voulu nous accorder, avant de monter sur scène. Dans un langage truculent, tranchant et le plus près possible des réalités du pays, il évoque, sans équivoque, ses espoirs pour l'Algérie, ses déceptions sur la situation politique du pays mais aussi l'univers musical qui lui permet, depuis plus de vingt ans, d'exprimer toutes ses contestations...
-Quelles sont vos impressions, par rapport à ce concert après l'annulation de celui qui était prévu à Béjaïa durant le mois de Ramadhan ?
Je trouve très courageux de la part de l'équipe d'Adrénaline d'avoir réorganisé ce concert après l'annulation de celui de Béjaïa. C'est très difficile de travailler quand les circuits n'existent pas et que le secteur manque de professionnalisme. Il est clair que c'est dur de travailler dans ce domaine, parce qu'on a toujours peur d'avoir des bâtons dans les roues et que la mafia te demande trop d'argent, etc. C'est tout le problème de ce système qui tire vers la médiocrité. C'est ce qu'on appelle la «médiocratie», et il est très difficile de maintenir un cap de décence dans l'organisation de ce genre d'événements. Et les jeunes d'Adrénaline ont été justement courageux en relevant ce défi.
-Justement, vous vous inscrivez depuis 20 ans dans une musique purement contestataire pour dénoncer toute cette «médiocratie» comme vous dites. Comment le vivez-vous ?
C'est une chance, parce que je fais le métier que j'aime. Je le vis fortement quand je suis face au public et que je me rends compte que je ne suis pas seul. C'est frustrant d'un certain point de vue, mais en même temps, le fait que ce régime écrase la musique contestataire et que, par exemple, il donne beaucoup plus d'audience au raï, il nous donne encore plus de légitimité par cette voie. La musique engagée lui fait peur, parce qu'il voit bien que l'écho du message existe réellement. C'est difficile à gérer pour nos dirigeants. Quelque part, ils n'ont pas le choix. Délivrer une parole contestataire est très difficile, mais quand on voit que cette musique fait peur au régime, ça donne de l'espoir. Le régime réprime les Algériens parce qu'il a peur, et s'il a peur, c'est parce qu'il perçoit une véritable force et il sait qu'elle existe. C'est justement pour ça qu'il y a de l'espoir.
-Vous êtes allé un peu plus loin dans la contestation en début d'année avec une présence très remarquée à la marche du 12 février, comment l'expliquez-vous ?
Avant de venir à Alger pour cette fameuse marche, j'avais eu des échos et beaucoup d'informations sur ce qui se tramait à Alger. On est clairement dans un pays où l'insurrection est permanente, en témoigne le nombre d'émeutes qui éclatent chaque semaine, je voulais donc être à Alger pour prendre la température moi-même. Je voulais savoir pourquoi les gens ne marchaient pas, et je suis arrivé à la conclusion qu'il y avait quand même beaucoup de pertinence dans le discours des gens qui ne voulaient pas marcher. Les revendications de la CNCD, des partis et des syndicats étaient certes valables, puisqu'on a mar
ché, mais ceux qui n'ont pas marché, avaient les véritables réponses de la non-mobilisation algérienne. Les Algériens ont cessé d'être romantiques. Ils ne veulent pas prendre des risques, ce qui est tout à fait compréhensif.
-D'où votre silence après...
Ce n'était pas vraiment un silence, mais je n'ai personnellement pas donné suite à la marche du 12 février, tout simplement parce que je suis convaincu qu'on ne fait pas une révolution sans les femmes et sans la culture. Malheureusement, on est dans un pays où les femmes ont une très petite place dans la société. Et la culture alors... la solution pour moi, c'est que tout se mette en marche, au-delà des marches symboliques, et pour ça, il faut restaurer le lien social et c'est ce qui pose problème pour nous.
-Qu'est-ce qui peut le restaurer, d'après vous ?
Indéniablement la culture collective. Un vrai ministère de la Culture avec une politique sérieuse. Ce qui est loin d'être le cas quand on voit que le ministère de la Culture participe à l'islamisation de la société, en témoigne l'événement «Tlemcen, capitale de la culture islamique». Je trouve scandaleux de prétendre combattre le terrorisme islamique et de faire en parallèle un programme culturel qui renvoie à l'identité islamique qui, certes, existe, mais pourquoi ne pas parler également de la dynastie berbère de Tlemcen... Cet Etat qui prétend combattre le terrorisme islamique ne fait que le servir par ce genre d'événements concoctés par le ministère de la Culture et qui ne font que conforter les fermetures d'esprits, comme s'il n'y avait que la religion dans la vie. Une vision qui nous empêche d'aller vers l'autre, partager avec l'autre, construire sa liberté avec l'autre : le principe fort de toute religion.
-En parlant du ministère de la Culture, le fait d'avoir accepté leur invitation au Panafricain en 2009, vous a valu beaucoup de critiques...
Il y a des artistes qui sont clairement boycottés dans les manifestations officielles. Il me semble évident que si, à un moment, on nous donne l'occasion de nous produire, on ne peut pas la refuser. Au bout du compte, quand j'ai joué sur l'esplanade de Riadh El Feth, j'étais face à 50 000 personnes qui ont adhéré au message que je leur ai délivré sans l'édulcorer. Pour moi, ça avait du sens de me produire dans le cadre du Panaf. Le Panaf n'était pas à eux. Il est à nous ! Il a été organisé avec notre argent. Je suis monté sur scène et j'ai chanté mes textes, donc c'était loin d'être une récupération. Et le fait que ma participation au Panaf ait été contestée en soi, ça ouvre le débat et ça me permet d'exprimer une position et de donner des arguments. Même si on continue en parallèle à être boycottés par la télé, etc.
-Justement, l'ouverture du champ audio- visuel a été annoncée dans le cadre des réformes menées par le Président, que pensez-vous de l'attitude du régime ?
Si les gens qui nous gouvernent remplissaient leur véritable rôle de gouvernance, on ne leur en voudrait pas. Mais ce qui est révoltant, c'est d'avoir un président qui refuse ou se ferme à nos doléances, alors qu'il oublie qu'il est payé pour ça. Il est censé être à nos ordres, et si ça ne correspond pas à sa logique et qu'il trouve cela barbant, il aurait dû opter pour une carrière de femme de ménage.
Ces personnes nous prennent pour leurs ennemis, alors que c'est loin d'être la réalité. S'ils se nourrissaient des messages que le peuple, dans toutes ses catégories, leur délivre, ça pourrait régler pas mal de leurs problèmes.
Pour ce qui est de l'ouverture du champ audiovisuel annoncé récemment, je crains qu'on ne puisse pas aller dans la créativité et de verser plutôt dans le mimétisme du modèle américain ou anglo-saxon. On va inéluctablement vers l'ouverture, mais il ne faut pas croire qu'ils vont nous la servir sur un plateau. Je pense tout de même qu'ils la conçoivent comme une libéralisation de l'économie. On va vers quelque chose de sauvagement capitaliste.
-Revenons à la musique, vos projets...
Je me redirige vers le son de Gnawa Diffusion. Donc, après 15 ans avec eux, j'ai ressenti le besoin à un moment d'aller vers une démarche individuelle qui m'a d'ailleurs permis de me ressourcer et de vivre de nouvelles expériences, d'où mon dernier album qui s'est fait de manière singulière. J'ai vécu de très belles choses, je suis tombé amoureux et ça a modifié mon rapport à la musique et le monde. Maintenant, je compte revenir vers le son de Gnawa Diffusion avec un album qui se prépare pour avril prochain, et Gnawa Diffusion qui se reforme pour fêter ses 20 ans et le cinquantenaire de l'indépendance et éventuellement la fin du monde (rires) et puis celui du régime algérien aussi, pourquoi pas ?!


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