Le propos est à la fois grave et important pour qu'il puisse susciter une telle réaction israélienne, en tout cas pas de la même ampleur que celle qui a suivi l'attaque, il y a une semaine, de son ambassade dans la capitale égyptienne. En effet, son ministère des Affaires étrangères a convoqué l'ambassadeur d'Egypte en Israël pour protester contre les propos du Premier ministre égyptien, affirmant que le traité de paix avec Israël «n'est pas sacré». Il y a là un changement substantiel dans la position de l'Egypte à l'égard de cet accord signé en mars 1979. Jusque-là, l'Egypte laissait entendre qu'il s'agit d'un accord international et qu'en aucun cas, elle ne pouvait l'amender, le réviser, et encore moins y mettre fin unilatéralement. C'est ce qui a été constamment opposé à toutes les critiques portées à l'endroit de cet accord considéré comme un reniement des engagements du Caire vis-à-vis du monde arabe, si l'on estime qu'il s'agit d'un accord séparé en opposition avec l'approche globale. C'est ce que Le Caire a fait valoir pour maintenir un même niveau de relations, même quand les Palestiniens étaient massacrés et que le risque de guerre au Proche-Orient était élevé. Sauf que la pression est venue, cette fois, de l'intérieur, avec une opinion déterminée à une mise à plat. Son intrusion sur la scène politique ne s'est pas arrêtée aux portes du palais présidentiel, mais bien au contraire, elle a investi tous les domaines, comme celui de la politique étrangère. En tenant de tels propos, Essam Charaf a apporté une réponse qui ne peut que satisfaire cette même opinion, certainement déçue par l'absence de suite à l'attaque israélienne en territoire égyptien tuant cinq policiers. C'est ce qui explique alors son occupation de l'ambassade israélienne, et les pressions de plus en plus fortes exercées sur le pouvoir. Ce traité de paix «n'est pas quelque chose de sacré et il peut subir des changements», a-t-il alors déclaré. Ou encore, ajoutera-t-il, le traité en question «peut toujours être discuté ou modifié dans l'intérêt de la région ou tout simplement de la paix», ce qui est alors une question d'appréciation. Et là, le propos s'adresse directement à Israël afin qu'il comprenne qu'il y a une fin pour tout, et que l'Egypte de l'après-Moubarak doit désormais tenir compte de son opinion. C'est aussi un démenti aux affirmations israéliennes, selon lesquelles la campagne qui le vise actuellement était le fait d'extrémistes et d'ultranationalistes, donc d'une minorité. D'une autre manière, l'Egypte n'a pas seulement mis fin à un tabou, en quelques mots portés contre un texte vieux de trente-deux ans – mais qui reste la pièce maîtresse du dispositif israélien dans la région – elle va au-devant de son opinion et tend à redessiner les contours d'un conflit, et surtout son propre rôle. Reste maintenant à savoir jusqu'où iront les dirigeants égyptiens, le verbe, seul, ne suffisant pas. Et dire que les Israéliens étaient les premiers à s'inquiéter des changements survenus en Egypte. Ils avaient raison de le faire.