Pour entrer au Pakistan, via l'Inde, il faut transiter par plusieurs aéroports. L'alternative, pour les plus pressés – ou les plus démunis : traverser à pied le poste-frontière de Wagah, appelé «le mur de Berlin de l'Asie» et vivre une expérience unique et palpitante. Wagah (frontière indo- pakistanaise) La longue file de camions, stationnés sous les arbres, est un spectacle éblouissant. Car la réverbération des couleurs des dessins peints sur la carrosserie des engins, comme il est de coutume dans cette partie du monde, en met plein la vue. Le seul poste-frontière terrestre qui relie les deux pays frères ennemis, c'est celui de Wagah (Attari du côté indien), à 35 km de la ville indienne de Amritsar (Etat du Pendjab), capitale des sikhs et de son temple d'or qui attire des millions d'adeptes du sikhisme, mais aussi de touristes. La chaleur et le taux exceptionnel d'humidité transforment la traversée de ce no man's land, d'un kilomètre de long, qui sépare l'Inde et le Pakistan, en une épreuve d'endurance. Une demi-heure seulement nous sépare de la fermeture des frontières. Des porteurs indiens nous proposent leurs services. Pas le temps de négocier le prix, si on rate le passage, il faudra passer une nuit à Amritsar, ce qui reviendra plus cher. Marcher sous un soleil de plomb – il fait plus de 40°C – cela aurait été impossible sans l'aide de ces derniers. Essoufflés et trempés de sueur, nous arrivons enfin devant le premier guichet de contrôle. Il faut remplir des formulaires très détaillés, dans une salle d'attente obscure et privée de climatisation. Un ventilateur, hors d'usage, trône dans un coin et semble narguer les voyageurs en nage. Bureaucratie «Dépêchez-vous, vous n'avez qu'une demi-heure», hurle dans notre direction un employé, au frais derrière son guichet. Les agents semblent mettre un temps biblique à accomplir les formalités et à apposer le cachet d'autorisation de sortie sur nos passeports. Image ordinaire d'une bureaucratie indienne indolente et irritante. Le contrôle des bagages dure quelques minutes. Après quoi, un autre parcours, d'autres contrôles de documents et de douane, et finalement la course vers la grille métallique, au-delà de laquelle on ne sera plus en Inde. Un homme allant dans la direction opposée, nous lance : «Dépêchez-vous, il ne reste plus que huit minutes avant la fermeture.» Plus loin, un autre renchérit : «Vous n'avez que six minutes, allez...» Un dernier contrôle au niveau de la porte de sortie, puis une dizaine de pas, et on franchit, finalement, la grille du Pakistan. Les lettres en ourdou, identiques à celles en arabe, nous procurent un sentiment de familiarité. Ecrit en grand, le nom «Pakistan» annonce notre arrivée au «Pays des purs». Derrière un bureau installé à l'extérieur, un jeune homme souriant feuillette notre passeport, avant de lancer : «Algeria, arabic, muslim... Welcome.» Les agents sont plus décontractés et ne prêtent pas attention à leur montre, à notre grand soulagement. Insolite défilé Sur le mur qui sépare les deux pays est écrit en ourdou, du côté pakistanais, «Foi, union, discipline». C'est le mot d'ordre du Pakistan. Un grand portrait du père fondateur de ce pays, Mohammed Ali Jinnah, appelé Qaid-I-Azam (le grand leader), est accroché au-dessus de la porte d'entrée. Un tableau représentant l'exode forcé de plus de 6 millions de musulmans qui ont quitté l'Inde en 1947 témoigne des atrocités commises au lendemain de la partition et qui ont fait un million de victimes. Un autre parcours à traverser, et on arrive au bureau de l'immigration, pour un nouveau contrôle des documents et des bagages. Ici, la salle est propre, climatisée et l'équipement moderne, les agents prennent même une photo biométrique des voyageurs. Dans la salle d'attente fraîche, un vieil homme s'approche de nous et nous propose des roupies pakistanaises. En nous dirigeant vers la sortie, on croise des groupes de personnes habillées comme pour se rendre à une fête. «Elles sont là pour assister à la cérémonie», nous dit-on. Chaque soir, après la fermeture des frontières et quelques minutes avant le coucher du soleil, des groupes de familles pakistanaises se rendent au village de Wagah, direction le poste-frontière, pour assister à un curieux et insolite défilé. Un spectacle haut en couleur et en émotion. Bottes bien cirées Instruite en 1959, une parade militaire particulière se tient après la fermeture des frontières et permet aux Border Security Forces indiennes et aux Sutlej Rangers, les gardes-frontières pakistanais, d'étaler leur forme physique, leur élégance et leur patriotisme, dans une chorégraphie époustouflante. Venues pour assister au spectacle, ces familles prennent place sur des gradins spécialement installés. Un animateur se charge d'échauffer un public très excité de par et d'autre de la grille, comme dans un match de cricket, sport national pour tous. Dès que les soldats commencent à faire résonner le talon de leurs bottes bien cirées et à exécuter des garde-à-vous très énergiques, les spectateurs se lancent dans des ovations et des acclamations. La voix puissante des officiers clamant leurs ordres aux soldats ajoute un caractère solennel à la cérémonie. Même la mimique sur les visages des participants semble étudiée pour inspirer peur et respect. «Pakistan Zindabad» (longue vie au Pakistan), crient les spectateurs en saluant les hommes en uniforme noir. De l'autre côté, les soldats en tenue kaki sont ovationnés à leur tour par leur public indien. L'année dernière, les autorités indiennes ont demandé à leur homologues pakistanaises de revoir un peu le caractère «trop provocateur et hostile» du spectacle et de baisser le ton agressif des prestations des gardes. Mais Islamabad a répondu par un clair «non», au grand plaisir du public pakistanais. Cette cérémonie de fermeture des frontières dure quarante minutes environ. Ensuite au son du clairon, les deux drapeaux sont baissés et les soldats se serrent la main. Chaque partie ferme sa grille, qui le demeurera jusqu'au lendemain. Les retardataires, surtout des camionneurs, garent leurs véhicules en une longue file et attendent le lever du jour. Les autorités des deux pays, qui ont repris le dialogue politique, ont promis l'ouverture, dès octobre prochain, d'un second poste-frontière pour favoriser le transit de marchandises. Les échanges commerciaux entre les deux pays, pas plus de 2 milliards de dollars par an, sont fortement compromis par la fermeture anticipée des frontières. Conscients de l'ampleur des pertes économiques, Delhi et Islamabad veulent rectifier une situation absurde entre deux pays frères, coupés en deux. Passage to India (titre du célèbre roman de E. M. Forster, adapté au cinéma par David Lean), deviendra alors plus facile pour les Pakistanais. Le Pakistan et l'Inde, qui se sont affrontés dans trois guerres, partagent une frontière terrestre de 2912 km. Depuis peu, une navette hebdomadaire partant de la région de Lahore se rend dans la ville indienne de Amritsar, via le poste de contrôle de Wagah.